Les problèmes de courant que connaît le pays sont devenus un facteur d’émigration et de fuite de cerveaux. Illustration par le témoignage de quelques artisans sénégalais rencontrés à Bamako, qui expliquent les raisons de leur «exil». Ils sont nombreux à avoir fui les coupures intempestives d’électricité au Sénégal pour rallier la capitale malienne où on ne connaît pas de délestage. Ils sont souvent tailleurs, bijoutiers, manœuvres ou autres. Pour tous, le discours est le même : les choses ne vont plus bien au Sénégal. Ils ont fui le pays à cause des coupures d’électricité. C’est l’une des raisons qui ont poussé ces jeunes trouvés dans le quartier de Faladié de Bamako à tenter l’aventure.
Si certains sont là depuis quelques mois, d’autres viennent à peine de débarquer au pays de Amadou Toumani Touré, dans l’espoir de trouver de quoi aider à subvenir à leurs besoins et assister leur famille laissée au pays. Au Sénégal, la vie quotidienne est devenue impossible pour eux, comme déclarent certains d’entre eux :
Pape Diouf, tailleur, Keur Massar
«Je suis tailleur. Cela fait trois mois que je suis à Bamako. Je restais plusieurs jours sans avoir l’électricité. Il arrivait des fois où, juste pour confectionner un boubou, il fallait au moins une semaine. A ce rythme, il m’était impossible de rester. C’est pour cette raison que j’ai décidé de partir et de venir tenter l’aventure ici à Bamako. Je ne regrette pas le choix. Même si c’est difficile, j’avoue que c’est mieux qu’à Dakar. Ici au moins, il n’y a pas de coupure, et je parviens à gagner un peu d’argent.»
Mamadou Faye, maçon, Sébikotane
«Je suis là depuis à peine une semaine. Je rends grâce à Dieu. Nous sommes là uniquement pour le travail. Le Sénégal est devenu invivable en ce moment. Il y a trop de problèmes d’électricité. Je veux que les autorités prennent leurs responsabilités. Si les jeunes commencent ainsi à fuir le pays, c’est en grande partie de par leur responsabilité. Beaucoup ne veulent pas retourner au pays. Les gens que j’ai trouvés sur place disent la même chose. Personne n’a envie de retourner au pays. Quand on entend les discours des politiques, on n’a même pas envie de rentrer à Dakar. Surtout qu’ici, la vie est meilleure. On parvient à s’en sortir sans problème.»
Babacar Dione, maçon, Malika
«Cela fait une semaine que je suis arrivé. Ce n’est pas facile. Mais c’est à cause du régime actuel qu’on a tous fui le pays. Je ne pouvais plus m’en sortir. J’ai eu l’opportunité de venir à Bamako et je n’ai pas hésité. Depuis que je suis là, les choses vont bien. Il n’y a pas de coupure ici. On ne se plaint vraiment pas. Ce n’est pas facile, mais on parvient quand même à s’en sortir.»
Pape Sène, Yeumbeul cité Comico
«Je suis un coffreur de bâtiment. Je suis là depuis une semaine. A l’image de mes amis, je ne pouvais plus rester au Sénégal. Je suis l’aîné de ma famille, donc je ne pouvais plus rester. C’est beaucoup de responsabilité. Malheureusement, les choses ne marchaient plus. On s’endette tout le temps. Et le pire, c’est que les gens qui te doivent de l’argent, ne peuvent pas te rembourser. Au-delà de cela, il y a aussi les coupures. Ce qui est bizarre, c’est qu’ici, ça ne coupe jamais. On peut travailler le jour comme la nuit. Les gens sont accueillants. On a une certaine expertise qu’on peut exploiter ici. On aurait aimé le faire chez nous, malheureusement, les conditions ne sont pas réunies.»
Laye Pouye, membre Gie, Sébikotane
«Je suis dans une Gie qui se trouve à Thiaroye Azur et qui s’appelle Senbag Tp. Il n’y a que des experts en bâtiment. Malheureusement, pour les appels d’offres, on donne à des amis ou aux étrangers. On ne fait rien pour les petites entreprises, sinon leur demander des impôts en exigeant souvent 10%. Pour des petites entreprises comme nous, on ne peut pas s’en sortir de cette manière. Pendant ce temps, on voit le président de la République offrir de l’argent aux lutteurs. Alors qu’il y a des gens compétents qui aiment leur pays et qui ne veulent que travailler, mais qui subissent toutes sortes de contraintes parce qu’ils n’ont pas les moyens ou qu’ils n’adhèrent pas à un certain système. Vraiment, la politique a tué notre pays, le Sénégal. Et cela nous fait très mal.»