Cinq mois après la notification du 1er cas de COVID-19 au Sénégal, le gouvernement sénégalais semble plongé, depuis plusieurs semaines, dans une profonde torpeur, donnant l’impression d’avoir perdu le leadership de la gestion de la pandémie.
ALIBI PAR ANTICIPATION
On se rappelle la levée totale du couvre-feu et la fin des limitations de la circulation interurbaine, au lendemain des émeutes du 03 juin, que le ministre de la santé avait mis sur le compte d’une tendance baissière, aussi fictive que saugrenue. Bien au contraire, on avait plutôt constaté une circulation active du virus se manifestant par une explosion des cas positifs et un accroissement de la létalité, si évidents qu’ils ont suscité un tollé général.
Le communiqué du conseil des ministres du mercredi 05 août 2020, traitant de la COVID-19, semble surtout destiné à se fabriquer, par anticipation, un alibi sur les conséquences redoutées, suite au laxisme observé durant la période de Tabaski et ce, depuis l’assouplissement des mesures barrières.
Cela dit, il est permis de douter qu’on puisse résumer, en deux phrases, la complexité de la riposte à la pandémie et la nécessité de mesures correctrices. C’est précisément à cause de ces schémas simplificateurs, que notre pays n’arrive pas à s’extirper des sables mouvants de la COVID-19.
Ainsi, il est trop facile pour les tenants de l’idéologie dominante, de réfuter des critiques objectives sur la gestion de la pandémie, en rejetant toute la responsabilité sur une jeunesse inconsciente ou égoïste, ne se préoccupant pas du sort des séniors. De même, une politique exclusivement répressive ne saurait prospérer, comme on l’a déjà constaté.
Les forces vives, dans leur quasi-totalité, ont montré leurs bonnes dispositions pour faire bloc contre ce fléau redoutable que constitue la pandémie de COVID-19.
Cela ne peut, en aucun cas, signifier un alignement inconditionnel sur la démarche gouvernementale, qui doit faire l’objet de discussions franches, libres et loyales telles qu’on ne peut plus rêver d’en avoir à l’Assemblée Nationale où règne un unanimisme stérile, à l’instar des autres institutions. La lutte contre ce nouveau virus est en soi assez complexe pour qu’on n’ait pas besoin d’y greffer des considérations politiciennes.
Il devrait plutôt s’agir d’approfondir la réflexion sur certaines problématiques comme le dépistage, la maîtrise des causes de décès et l’engagement communautaire.
POUR UNE STRATÉGIE NATIONALE DE DÉPISTAGE
À entendre nos autorités, le port obligatoire du maque constitue l’alpha et l’oméga de la lutte anti-COVID-19. Mais le but ultime de la manœuvre devrait être l’isolement des individus infectés et de leurs contacts.
Or, le gouvernement, a décidé, avec les nouveaux algorithmes, de restreindre le dépistage aux seuls cas-contacts symptomatiques et/ou porteurs de comorbidités, laissant en rade les porteurs asymptomatiques. Cela revient à faire des économies de bouts de chandelles au détriment d’une lutte efficace contre la pandémie. On en revient toujours à cette approche médicalisée qui privilégie la prise en charge curative individuelle sur l’interruption des chaînes de transmission.
Au total, il est difficile, pour la communauté nationale, d’avoir une claire perception de l’ampleur de l’épidémie et d’être consciente des menaces, en raison des énormes gaps dans le dépistage, insuffisant depuis le début et devenu encore plus restrictif, depuis quelques semaines.
La sous-estimation du nombre de cas positifs semble relever d’un manque notoire de volonté politique d’instituer une stratégie nationale de dépistage appropriée. Elle devra associer plusieurs variétés de tests (PCR, sérologiques, TDR) et diverses modalités de dépistage, comme des investigations ponctuelles au niveau de certains groupes (professionnels et/ou à risques) et utilisant des techniques judicieuses d’échantillonnage. C’est ainsi que le dépistage permettra une bonne surveillance épidémiologique, une détection précoce et un isolement des cas positifs, un traçage des cas-contacts, et l’évaluation de l’immunité collective…
Pour y arriver, notre pays devra se libérer de la « tutelle » encombrante de laboratoires comme celui de l’Institut Pasteur, préconisant des recettes pas forcément adaptées à nos réalités africaines. Ainsi, par exemple, les pays occidentaux utilisent des tests, certes un peu plus sensibles (10-20%) que les tests antigéniques, mais onéreux et hors de portée de nos pays pauvres, à mesure que la pandémie progressera.
POUR UNE MAÎTRISE DES CAUSES DE DÉCÈS
Malgré les insuffisances du dépistage, la progression inexorable de la mortalité renseigne sur le sérieux de la situation. Certes, les statistiques sur les causes de mortalité, sont faussées par le fait que la détermination du genre de mort ou l’autopsie ne sont pas systématiquement faites pour les décès survenant à domicile ou au sein de la communauté.
Néanmoins, il demeure indéniable que l’aggravation de la pandémie s’affirme de plus en plus, avec le pressentiment diffus d’une surmortalité caractérisée par la disparition brutale et spectaculaire d’éminentes figures nationales contrastant avec les morts plus discrètes de dizaines de braves citoyens anonymes.
C’est le lieu d’en appeler à la mise sur pied d’un observatoire des causes de décès ouvert aux organisations de professionnels de santé et aux organisations de la société civile et communautaires, pour mesurer l’impact réel de la pandémie, en termes de mortalité.
Cet état de fait devrait amener la communauté nationale à faire preuve de plus de responsabilité, en garantissant la confidentialité des données sanitaires des patients, tout en protégeant l’entourage des patients et la société contre tout risque infectieux.
En effet, le déni de la maladie – du fait de la stigmatisation ou de l’ignorance – par les proches de patients décédés de la COVID-19 peut revêtir des formes insupportables, pouvant donner lieu à des actes de violences. Il aboutit assez souvent à la non-application des protocoles de gestion de dépouilles mortelles, exposant ainsi des centaines de personnes, lors des levées du corps et enterrements à la maladie.
POUR UNE VÉRITABLE RUPTURE DANS LA LUTTE CONTRE LA PANDÉMIE
Notre conviction est que nous devons tous faire preuve de courage pour dépasser les vieilles approches de gestion des politiques publiques, particulièrement celles relatives à la santé, car c’est la survie de nos Nations, qui est en jeu.
Le changement de paradigme, dont il est question a trait à une implication accrue des usagers, des patients, des ONG et de la société civile, y compris les organisations féminines.
Il y a aussi la transparence et la redevabilité qui doivent présider à toutes les actions entreprises pour juguler la pandémie et ce, d’autant plus, que les populations ont de bonnes raisons d’être méfiantes envers leurs dirigeants.
Une fois, le processus de rétablissement de la confiance amorcé, on peut envisager l’implémentation de stratégies d’engagement communautaire. Mais là encore, il s’agit de partir des ressorts internes à la communauté dans une optique d’appropriation de la lutte anti-COVID-19 et non d’utilisation d’auxiliaires communautaires, censés prêcher la bonne parole apprise auprès des techniciens.
Il ne faut pas se faire d’illusions sur une fin prochaine de la crise sanitaire actuelle, car la disponibilité de vaccins semble encore hypothétique, incertaine et probablement lointaine, surtout pour nos pays. Ce qui semble plutôt se dessiner, c’est une cohabitation durable avec le nouveau coronavirus, en privilégiant le contrôle social (éducation civique et citoyenne), par le biais d’un engagement communautaire bien compris sur le contrôle d’autorité (peur du gendarme).
Dr Mohamed Lamine LY