Covid-19: Didier Raoult a-t-il raison de dire que le remdesivir « ne soigne pas » et « cause des insuffisances rénales » ?

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XALIMANEWS- Le médicament du laboratoire américain Gilead n’a montré qu’une efficacité très limitée contre le Covid-19 mais n’a pas provoqué d’effets secondaires majeurs, d’après les résultats de deux essais cliniques menés notamment en Chine et aux Etats-Unis.

Le remdesivir ne soigne pas, accuse Didier Raoult. Pire, il cause des insuffisances rénales. » Dans un tweet publié jeudi 9 juillet, le controversé défenseur de l’hydroxychloroquine contre le Covid-19 s’attaque à la molécule du laboratoire américain Gilead ayant reçu une autorisation de mise sur le marché de la part des autorités américaines comme européennes.

« Sur les cinq premiers patients traités par ce médicament à l’hôpital Bichat, deux ont été mis sous dialyse », dénonce le directeur de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection, renvoyant vers une publication de médecins du CHU parisien. Mais l’iconoclaste professeur marseillais dit-il vrai ou « fake » ?

La référence citée par Didier Raoult est une pré-épreuve (PDF) d’une étude relue et validée par l’International Journal of Infectious Diseases, mise en ligne le 30 juin. Ses auteurs y décrivent l’évolution de l’état de santé de cinq patients. Il s’agit des premiers à avoir reçu du remdesivir en intraveineuse après avoir été hospitalisés en réanimation à l’hôpital Bichat, entre le 24 janvier et le 1er mars, pour une forme sévère de pneumonie due au Sars-CoV-2. Le médicament leur a été administré dans le cadre d’un « usage compassionnel », le seul cas dans lequel il pouvait jusqu’à présent être prescrit en dehors d’un essai clinique.

« Impossible » d’imputer l’insuffisance rénale au remdesivir

« On a constaté que la charge virale baissait dans les voies respiratoires supérieures chez tous les patients sauf un, mais qu’elle restait détectable dans les voies respiratoires inférieures chez un sujet, résume Jade Ghosn, l’un des auteurs de l’étude, joint par franceinfo. On n’a pas vu d’augmentation de la charge virale sous remdesivir. » Mais pas question pour autant d’attribuer ce résultat au remdesivir. « La charge virale aurait peut-être baissé sans traitement. On sait qu’au bout d’un certain temps elle diminue », insiste le médecin. 

Le traitement a cependant dû être interrompu en raison d’effets secondaires majeurs sur quatre des cinq malades. Deux patients ont en outre succombé à la maladie, après avoir eu besoin d’une dialyse. Mais contrairement à ce qu’affirme le patron de l’IHU de Marseille, « il est impossible de dire si l’insuffisance rénale a été causée par le remdesivir ou par la maladie elle-même », explique Jade Ghosn. « De nombreux patients atteints du Covid-19 placés en réanimation souffrent d’insuffisance rénale », rappelle le médecin, spécialiste des maladies infectieuses.

Il ne faudrait surtout pas prendre cette étude pour ce qu’elle n’est pas, insiste Jade Ghosn. « On n’a aucunement cherché à tirer une conclusion sur l’efficacité du remdesivir. On a juste décrit ce qu’il s’était passé pour cinq patients. Ce n’était pas un essai ‘randomisé’ avec bras comparateur (un autre groupe de patients à qui on donne autre chose, en général un placebo). On ne pourra jamais démontrer qu’il y a un effet ou non avec cinq patients seulement. »  

Un essai chinois pas concluant

Le remdesivir a fait l’objet de deux essais contrôlés « randomisés » en double aveugle, le standard de la recherche médicale. Une partie des patients ont reçu le médicament en intraveineuse et l’autre, un placebo. Le premier de ces tests a été mené sur 237 patients dans 10 hôpitaux de Wuhan, le foyer de l’épidémie, entre le 6 février et le 12 mars. Les résultats ont été publiés dans le Lancet le 29 avril.

Les chercheurs chinois n’ont constaté aucun « avantage clinique statistiquement significatif » à l’utilisation de ce médicament. La santé des malades traités avec du remdesivir ne s’est pas améliorée plus rapidement que celle de ceux ayant reçu un placebo. Ils se sont remis en 21 jours dans le premier groupe, contre 23 dans le second. Mais la marge d’erreur étant de 1,23, difficile d’en tirer quelque conclusion que ce soit.

La charge virale a décru de manière similaire dans les deux groupes. Il n’y a pas eu non plus de « différence significative » dans la durée pendant laquelle les malades ont dû être placés sous oxygène, voire sous ventilation mécanique invasive. La mortalité à 28 jours a également été « similaire ». Les auteurs de l’étude concèdent que leur étude a ses limites. Ils n’ont en effet pas pu inclure dans leur essai autant de sujets qu’ils l’auraient souhaité, faute de patients en nombre suffisants, les mesures draconiennes prises par les autorités chinoises ayant permis de freiner l’épidémie à Wuhan. 

Un résultat modeste dans une étude américaine

Le second essai conduit sur le remdesivir a été bien plus vaste. Il a porté sur 1 063 patients, hospitalisés dans plus de 70 sites différents, dont 45 aux Etats-Unis. Il a été baptisé ACTT-1 et financé par l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses (NIAID), une agence du ministère américain de la Santé. Gilead a fourni le remdesivir mais n’a apporté aucun soutien financier. Le laboratoire américain a également participé aux discussions autour de l’élaboration du protocole de test et a suivi l’avancée des travaux. L’essai a débuté le 21 février et s’est achevé le 19 avril. Un rapport préliminaire de l’étude est paru dans le New England Journal of Medicine (PDF) le 22 mai.

Les patients sous remdesivir se sont remis un peu plus vite de la maladie que ceux sous placebo : en 11 jours en moyenne, contre 15. La différence la plus nette, quoique modeste, est observée chez les malades placés sous oxygène, ceux qui ne sont ni dans l’état le moins grave ni dans celui le plus critique. Les complications ont été légèrement plus fréquentes chez les patients sous placebo. La très faible différence de mortalité entre les deux groupes (14% pour le groupe sous remdesivir, contre 13% pour celui sous placebo) n’est pas jugée significative par les chercheurs. Aucun décès n’a toutefois été attribué au traitement. 

Un effet « pas très important » et « limité à certains patients »

Cette étude a également ses limites. Les chercheurs ont changé leur critère d’évaluation en cours de route. Initialement, ils avaient retenu comme indicateur la différence d’état de santé entre les patients sous remdesivir et ceux sous placebo au 15e jour de la maladie. Ils se basaient alors sur une échelle à huit degrés, allant de la sortie de l’hôpital à la mort, en passant par l’oxygénation, voire l’intubation. Mais entre fin mars et début avril, ils ont préféré fonder leur analyse sur un autre indice : le temps de rétablissement du patient, à savoir le premier jour à partir duquel il était soit sorti de l’hôpital soit toujours hospitalisé mais plus sous oxygène et sans besoin de soins médicaux. Ce changement est loin d’être anodin. « Quand on fait une étude, on part d’une hypothèse qu’on cherche à vérifier, on établit un modèle à partir duquel on fait des statistiques. Si vous changez des paramètres, ça peut tout changer du résultat », pointe Morgane Bomsel, directrice de recherche au CNRS et cheffe de service à l’institut Cochin à Paris. De plus, « le critère d’évaluation retenu, le temps de rétablissement des patients, n’est pas un critère très ‘dur’, comme la diminution de mortalité ou l’absence de passage en réanimation », juge Anne-Claude Crémieux, médecin spécialiste des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Louis de Paris et membre de l’Académie nationale de médecine. Et « ce critère retenu ne se dégage que pour une seule catégorie de patients. L’effet n’est donc à la fois pas très important et limité à certains patients »

Un autre point chiffonne les spécialistes. Les premières conclusions sur l’essai clinique ont été tirées alors que seuls 482 des 1 063 patients enrôlés étaient considérés comme guéris. L’essai a de plus été arrêté juste après la publication de ce rapport préliminaire, rappelle Stat, site américain spécialisé dans l’actualité de la recherche médicale. « Pourquoi l’étude a-t-elle été arrêtée avant le jour 28 ? Pourquoi n’ont-ils pas voulu ou pas pu attendre ? », s’interroge Morgane Bomsel. « Quand vous avez 1 000 patients dans une étude, vous ne les incluez pas tous en même temps, ça se passe sur deux ou trois mois. Il faut attendre. Il faut être patient. On veut toujours aller vite. Les gens veulent des résultats tout de suite », déplore la chercheuse.

Or cette étude est justement « celle sur laquelle se basent les autorisations de mise sur le marché aux Etats-Unis et en Europe », pointe Anne-Claude Crémieux. Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA), l’autorité fédérale du médicament, a autorisé en urgence la prescription du remdesivir dans les hôpitaux, hors essai clinique. La décision a été prise le 1er mai. Pour l’occasion, le directeur général de Gilead, Daniel O’Day, se tenait dans le Bureau ovale de la Maison Blanche aux côtés du président américain Donald Trump.

« On aurait pu penser que si ce médicament avait eu un effet quelconque, ils l’auraient dit », note Morgane Bomsel, qui souligne l’absence de nouvelle publication scientifique sur ce point depuis un mois, alors que la molécule est « abondamment »prescrite dans les hôpitaux américains. Gilead a certes publié un communiqué le 10 juillet, assurant que sa molécule réduisait de 62% le risque de mortalité et que seuls 7,6% des malades sous remdesivir mouraient après deux semaines de maladie, contre 12,5% pour ceux ne prenant pas ce médicament. Mais ce n’est pas le compte rendu d’un essai clinique, seulement une communication promotionnelle, comparant des groupes de patients variés, traités ou non selon des protocoles différents, rétorquent des experts interrogés par le British Medical Journal.

Comment expliquer alors ces autorisations en cascade du remdesivir, aux Etats-Unis, dans l’Union européenne, en Suisse ou encore au Japon ? « Quand il n’y a rien d’autre, on prend le moins mauvais. Comme les études ont montré qu’il n’y avait pas d’effets secondaires majeurs, on a décidé l’autorisation de mise sur le marché », répond Anne-Claude Crémieux. « C’est un geste politique par lequel on dit : ‘Il y a un traitement. On n’est pas démunis.’ Les Etats-Unis ont fait la même chose avec l’hydroxychloroquine. C’est aussi un geste économique », analyse l’experte.

L’autorisation du remdesivir à elle seule ne règle pas le problème. « La grande difficulté, c’est de savoir quand on le donne et à qui, poursuit Morgane Bomsel. Tout dépend de l’effet attendu. Est-ce pour réduire la mortalité, les effets secondaires, les symptômes ? » énumère la spécialiste. Sans compter qu’« on n’a pas d’antiviraux suffisants pour empêcher l’aggravation de l’infection pulmonaire », rappelle Anne-Claude Crémieux. « Peut-être que ça peut aider. Mais pour l’instant, l’effet n’est pas bouleversant. Ce n’est pas ça qui va sauver le monde », tranche Morgane Bomsel. 

Les auteurs de la seconde étude le reconnaissent. Ils concluent certes que leurs « résultats préliminaires soutiennent l’utilisation du remdesivir pour les patients hospitalisés avec Covid-19 et nécessitant une oxygénothérapie supplémentaire ». Mais ils ajoutent qu’« étant donné la mortalité élevée malgré l’utilisation de remdesivir, il est clair que le traitement avec un médicament antiviral seul ne sera probablement pas suffisant ». Ils plaident donc pour l’emploi combiné de plusieurs antiviraux ou le recours à d’autres approches thérapeutiques, en plus des antiviraux. Le remdesivir est encore testé dans le cadre de deux autres essais : Discovery en Europe et Solidarity, sous l’égide de l’Organisation mondiale de la Santé. Leurs résultats permettront peut-être de mieux juger de son efficacité face au Covid-19.

Source: Francetvinfo

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