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Crise Casamançaise. Faut-il reposer l’armée ? Par Madior Fall

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La récurrence de la violence armée en Casamance qui (re)connait une recrudescence en ce début d’année 2010 consacrant les 28 ans d’un conflit ainsi que ses motivations, posent indubitablement la problématique de l’intervention militaire ainsi que la gestion de la sécurité dans cette partie du pays avec beaucoup plus d’acuité qu’ailleurs. Pour plusieurs spécialistes militaires et civils interrogés, il est grand temps de questionner le rôle, la place et l’intervention de l’armée dans la gestion de la crise. Alors faut-il reposer l’armée ou redéfinir à tout le moins son intervention en Casamance ? Quelles forces pour la suppléer ?

Le Sénégal est considéré jusqu’ici comme un modèle, présentant la particularité en Afrique de l’Ouest d’être le seul pays où le pouvoir est toujours civil et le reste. Il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas épargné pour autant par l’instabilité, parfois violente, à l’interne, une instabilité ou des troubles qui obligent ses forces de sécurité en général à intervenir dans la sphère publique et à infléchir si elles ne dictent pas certaines politiques.

Ses frontières certes, à l’exception des incidents pendant la guerre de libération en Guinée-Bissau et aux Iles du Cap Vert contre le colon portugais du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée Bissau et des Iles du Cap Vert (Paigc) et ceux de 1992 à la lisière avec le même pays, n’ont connu aucune violation sérieuse depuis 196O. Ce qui n’est pas le cas à l’interne, notamment dans la région sud. Le pays est en effet, confronté dans sa partie méridionale depuis 1982 à un irrédentisme armé de la part d’éléments se réclamant du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc) qui y fragilise la stabilité sociale et plombe l’essor régional.

Une situation qui a amené le pouvoir central à renforcer le dispositif sécuritaire en Casamance. Même si les gouvernements successifs depuis 1983, date de la création d’Atika, la branche armée du Mfdc par l’ex sergent de l’armée française, Sidy Badji décédé en 2003 ont oscillé entre durcissement avec une option répressive accentuée et négociations, ils semblent jusqu’ici dans l’incapacité d’offrir solution définitive à une crise qui perdure. Si dès le début de la crise, le pouvoir politique surpris par la soudaineté et l’ampleur de la révolte a tergiversé dans sa caractérisation du phénomène entre « simple question de maintien de l’ordre » d’Abdou Diouf à une simple « jacquerie paysanne » de Robert Sagna, a semblé cafouiller dans ses réquisitions des forces d’intervention.

Les forces de première catégorie de maintien de l’ordre, constituées des unités de gendarmerie territoriale et des commissariats de police ont tôt été dépassées. Elles n’ont quasiment pas eu à intervenir. Celles de deuxième catégorie, notamment, les légions d’intervention de la gendarmerie et du Groupement mobile d’intervention (Gmi) de la police, n’ont pas également eu à agir outre que dans les centres urbains, principalement à Ziguinchor, laissant les frondaisons du maquis casamançais à l’armée nationale.

En vérité, font remarquer certains officiers supérieurs, « il ne s’est point agi d’un maintien de l’ordre dans la question casamançaise, mais plutôt d’un rétablissement de l’ordre public face une insurrection à confrontation armée avec des éléments armés basés à l’extérieur des frontières et qui font irruption dans la région ». Une situation qui, selon eux, a donc nécessité l’intervention dès le départ de l’armée.

L’usage des forces en question

Pour d’autres cependant, s’il est vrai que les forces de premières et secondes catégories n’étaient pas suffisamment à l’époque outillées tant au point de vue effectif que logistique et souffraient également d’un commandement apte à gérer un grand nombre et de grosses manœuvres, ce « qui se passe en Casamance reste et demeure une simple affaire de maintien de l’ordre ». Pour eux, l’appareil sécuritaire du Sénégal hérité de la colonisation, s’inspire grandement du dispositif français, devrait aujourd’hui faire l’objet d’un questionnement, notamment dans son usage en Casamance. Il est vrai que la politique de sécurité est définie par le président de la République qui exerce le commandement général de la Défense, une situation consacrée par l’article 45 de la Constitution du 22 janvier 2001 et par la loi 70.23 du 6 juin 1970 portant organisation générale de la défense nationale, modifiée par les lois 72.92 du 29 mars 1972 et 82.17 du 23 juillet 1982 qui régentent la défense nationale, il importe par conséquent qu’il soit bien conseillé dans ses réquisitions. Pour ces officiers et homme de l’art, « l’armée gère les ennemis, tandis que la gendarmerie et la police traitent les adversaires. Elles admettent par conséquent un certain niveau de désordre ».

Ces observateurs avertis, admettent cependant que la police nationale et la gendarmerie souffrent de la faiblesse de leurs effectifs qui sont aussi inégalement répartis dans le pays. A cela s’ajoute le fait que la composition des ces effectifs notamment dans la police a été grandement perturbée lorsque des militaires ont été intégrés dans le corps pour participer à des opérations de maintien de l’ordre. N’étant pas spécifiquement formés pour, ils ont été souvent à l’origine de dérapages et de bavures.

L’incorporation « d’autorité » de certains membres du service d’ordre du Parti démocratique sénégalais (Pds), les fameux calots bleus et leur nomination au grade d’officiers supérieurs ont perturbé la cohérence des effectifs et la pyramide des grades. Tout cela pour dire que les premières forces d’intervention à l’intérieur du territoire national que sont la gendarmerie et la police, malgré le fait de disposer d’unités spéciales que sont la Légion d’intervention pour la gendarmerie (Lgi), le Groupement d’intervention de la gendarmerie (Gign), le Groupement mobile d’intervention (Gmi) et la Brigade d’intervention polyvalente (Bip) pour la police, attendent encore d’être bien employées dans la résolution de la question casamançaise notamment dans son volet sécuritaire. D’autant plus que le Mfdc et les forces qui s’en réclament paraissent s’éloigner depuis longtemps de l’idéal politique d’indépendance qui a justifié leur révolte au début.

Même s’ils s’en réclament encore dans le discours de certains de leurs chefs, leurs actes et le modus operandi de leurs « troupes » ou supposées telles, qui renvoie à de simples pillages de populations esseulées, de vulgaires braquages, de vols et de rapines, bref à un simple banditisme des grands chemins sous le prétexte fallacieux de la faim, ne les intègrent dans aucune catégorie de rébellion. A cette « économie de subsistance armée » de bandes éparpillées s’ajoute aujourd’hui le phénomène plus dangereux des narcotrafiquants qui ont jeté leur dévolution dans la sous-région qu’ils veulent rendre ingouvernable ainsi. Le trafic des armes légères et le vol de bétail complètent le tableau.

Instauration de forces spéciales

Si d’aucuns comme les officiers généraux versés à la deuxième section que sont le général Amadou Abdoulaye Dieng, ancien gouverneur militaire de la région et le général Mamadou Mansour Seck, ancien chef d’état-major général des forces armées du Sénégal, ont invité face à la dégradation de la situation à une intervention musclée de l’armée en préconisant son renforcement, d’autres officiers par contre, trouvent qu’il est grand temps de revoir le mode d’intervention. Pour ceux-là, il s’agirait plutôt de mettre en place des forces spéciales ou de réactiver celles qui existent déjà tout en complétant leur arsenal juridique, de compétence et d’intervention. Il faudrait également les outiller d’hélicoptères d’attaque et de transport pour doper leur mobilité et l’efficacité de leur intervention. Selon eux, ces forces spéciales devraient également être soutenues par des services de renseignement aux moyens accrus et qui travailleraient avec leurs collègues des pays voisins ou à tout le moins y disposeront d’antennes actives et efficaces.

Pour des spécialistes civils des questions de sécurité, il s’agira aussi de mettre en contribution les forces de sécurité voisines en Gambie et en Guinée Bissau principalement, qui ont tout aussi intérêt que le Sénégal à juguler, notamment dans ses conséquences sécuritaires, l’irrédentisme casamançais. Toujours est-il que concluent plusieurs observateurs, il revient à l’autorité politique d’avoir des options claires et des réquisitions qui ne souffrent d’aucune ambiguïté. Pour l’instant, faut-il reposer la troisième force qu’est l’armée pour (re)mettre en « consommation » les forces de premières et deuxièmes catégories que sont la gendarmerie et la police ? Ou faut-il simplement créer des forces spéciales en raison de la spécificité du problème casamançais posé et des nécessaires réponses qu’il réclame.

sudonline.sn

1 COMMENTAIRE

  1. Cher Madior Fall
    J’ai lu avec beaucoup d’interet votre excellent article sur une proposition d’une nouvelle stratégie à déloyer en Casamance.J’ai apprécié l’historique que vous faites sur la montée en puissance des forces de sécurité sénégalaise sur le thêatre des opérations ;en fait montée en puissance imposées par un aguerrissement progressif du MFDC et une maitrise par son aile militaire dans le temps d’armes de plus en plus sophistiquees.En effet de 1983 à 1992 en terme d’utilisation d’armes parMF DC on constate surtout des fusils traditionnels qui lors d’embuscades(souvent ce sont des rebelles juchés sur des arbres) infligeaient des blessures parfois lethales aux forces loyales de sécurité de façon isolèe .Les traumatismes ballistiques n ‘avaient pas encore atteint le caractère massif actuelsavec son lot de blessés militaires et civils.Peu de combattant du MFDC disposait d’armes classiques tels que les AK47(Kalachnikov). En 1993La crise de leadership au niveau de l’ élite politico militaire en Guinée Bissau avec comme corollaire la deliquescence de l’ armée bisssau guinéenne ,et surtout la présence d’un chef d’etat major comme Ansoumana Mané qui ne cachait pas sa proximité ethnique avec celle des dirigeants du mouvement irredentiste casamançais,ont permis un renforcement indeniable de l’ arsenal de guerre du MFDC avec l’ acquisition en grande quantité de fusils d’assaut tels que des AK47 et surtout des lances roquettes (RPG7),telles armes pouvant infliger de pertes lourdes à l’armée sénégalaise.En outre la disposition de mines anti personnelles et anti chars demeurent une contrainte operationnelle notable pour l’ armée sénégalaise.L’on connait les difficultés pour qu’ une armée conventionnelle s’adapte aux conditions tactiques imposées par une guerilla qui opère dans une zone forestière et qui s’appuie sur le concept attaque -retrait.
    L’implication des hommes politiques dans la crise casamançaise il faut le dire fut une veritable catastrophe.Je ferai un economie de la lecture de la gestion politique de la crise casamançaise.
    Il faut d’abord comprendre la Casamance(titre d’un livre majestueux mais helas peu exploité) pour traiter la situation malheureuse qu ‘elle traverse.Beaucoup d’intellectuels sénégalais comme Boucounta Diallo ont toujours pensé que le problème casamançais est un problème culturel ,les germes de l’ irredentisme casamançais sont à rechercher dans les multiples frustrations que les populations du Sud ont eu a ressentir et accumuler par rapport au mode de gouvernance locale et centrale exercèe par les gouverneurs et prefets et par l’ état. Le mode de gouvernance post coloniale marqué par la primauté du paradigme islamo-wolof apparaît aux yeux des populations du sud surtout Diolas comme inadaptées à leurs pratiques quotidiennes donc autoritaires.Le cadre de cette contribution ne me permet pas d’analyser tous les textes et reglements rediges par les gouverneurs et prefets en zone sud ( qui reproduisent les memes schemes de pensées que les administrateurs coloniaux),j’aurai pu montrer leur caractère inique et cynique.
    Pour faire simple la gestion inegalitaire du fonçier et surtout l’aisance materielle toute relative que montrait les fonctionnaires locaux qualifiées de nordistes et surtout le mepris que ceux ci affichaient dans leur rapport avec les populations du sud ont été la goutte qui a fait deversée le vase.La grille de lecture que le regime de Diouf a eu a faire par rapport à ce mouvement irredentiste fut desastreux; au lieu d’essayer de rectifier le mode de gouvernance,la seule réponse qu’il apporta fut l’utilisation de la force au nom du principe sacro saint de l’unité et l’ integrité territoriale.De l’ autre côté la reaction fut immediate avec une crispation de plus en plus forte.Je lancerai l’argument paradoxal que la militarisation du MFDC a été organisé inconsciemment par l’ etat central.Les elites politiques sénégalaises n’ont pas eu la clairvoyance ni la capacité pour négocier avec les identités autres qui ne se reconaisaient pas en tant que faisant partie du projet de réalisation d’un etat national.
    Quelle est la place de l’ armée maintenant?A coup sûr sur le plan institutionnel et constitutionnel,,elle ne prendra pas la place des civils politiques.Je ne crois pas que la solution de cette crise revienne à la gendarmerie et à la police.Ces deux forces de securité ne disposent pas de moyens operationnels pour contenir la poussée de ce mouvement de rebellion.Reflexion à poursuivre

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