Le discours du chef de l’Etat, qui insiste sur la déclaration de patrimoine, est une façon simple de mettre ses ministres et les élus devant leur responsabilité en cas d’éventuelle faute de gestion.
Depuis son élection à la magistrature suprême, Macky Sall essaie d’instaurer la déclaration patrimoniale comme un rituel républicain. Soumis par la Constitution à cette obligation, comme chaque président de la République à l’orée de son mandat, il a remis au Conseil constitutionnel une déclaration de son patrimoine, publiée au Journal officiel. Lors du dernier Conseil des ministres, il a demandé aux élus et aux ministres de sacrifier à ce principe de transparence pour concrétiser sans doute la gouvernance vertueuse et démocratique qu’il prône depuis son élection. Aujourd’hui, il est connu de tous que plusieurs membres du gouvernement traînent encore les pieds et/ou essaient de faire la sourde oreille pour ne pas respecter cette déclaration de patrimoine qu’il essaie d’instaurer comme le cachet de sa gestion à la tête du pays. En s’apercevant que certains veulent le faire à reculons, il prend ses distances par de petits gestes et de petites phrases pleins de sens.
Cette piqûre de rappel de Macky Sall, qui demande aux élus et aux ministres de lever une partie du voile sur leurs revenus précédents, cache une certaine déception. En coulisses, il parle de «gros problèmes» par rapport à la gestion de certains de ses proches qui se seraient rapprochés dangereusement des deniers publics. Informé de certaines «dérives» dans certains ministères, jadis occupés par des responsables de son parti, il a averti que la gestion de la chose publique ne peut être source d’enrichissement. Intransigeant sur ces questions, il est même prêt à faire face à des frustrations de son camp se plaignant d’être trop écarté de la gestion publique. Ce qui fait que les appels de certains membres de son parti à occuper plus de responsabilités le «laissent indifférent». Et il l’a confié à certains d’entre eux qui s’en plaignaient. Chat échaudé craint l’eau froide. En mondovision, le chef de l’Etat se fait le chantre de la «gouvernance vertueuse», qui a conduit aujourd’hui aux auditions et même à l’emprisonnement de dignitaires de l’ancien régime. Il a rappelé qu’il ne peut créer des conditions de poursuites, demain, contre sa propre personne pour des fautes de gestion. Pour Macky Sall, à la fin de son mandat, il restera le «seul à devoir rendre compte». Par conséquent, il n’est pas question «de prêter le flanc». C’est d’ailleurs ce souci qui a motivé son rappel aux membres du gouvernement et aux élus locaux le devoir de faire leur déclaration de patrimoine et de la rendre publique.
Et pourquoi pas le Premier ministre lui-même ?
En décodé, Macky Sall ne parle pas dans le…vide. Il a donné en exemple Moustapha Niasse, président de l’Assemblée nationale, qui a déclaré son patrimoine. Il est évident que cette allusion recèle une stratégie de communication dans ce contexte politique tendu par la démission de l’ex ministre du Commerce El Hadji Malick Gackou du gouvernement. Ce qui permet de raffermir davantage les liens l’unissant à l’Alliance des forces du progrès (Afp). Cette image fait oublier le verbe. Car, cette «exemplarité» est une tournure pour demander, en même temps que ses ministres, que Abdoul Mbaye devrait le faire. Des indiscrétions font pourtant état de la déclaration de patrimoine du chef du gouvernement, qui serait passée inaperçue, parce que non rendue publique.
Pourtant, le ministre de la Justice, Aminata Touré, s’est acquittée de cette tâche avec son patrimoine qui a fait la Une de L’Observateur, que certains avaient jugé d’ailleurs «colossale». Pourquoi alors Macky Sall ne l’a pas associée aux modèles vertueux ? Il se susurre qu’il l’a volontairement omis pour ne pas donner raison à l’existence du «froid» qui entoure les relations entre la Garde des sceaux et le Pm, surtout que le départ de Malick Gackou, dit-on, a été précipité par ces mêmes raisons. Macky Sall mêlant le symbole et l’allusion n’a pas fait dans le clair-obscur pour demander surtout à ses ministres et aux élus de s’inspirer d’eux.
Cette initiative réitérée maintes fois, pour bouleverser les mœurs politiques, mérite donc d’être saluée. Elle doit cependant être poussée bien plus loin. Par ailleurs, les déclarations de patrimoine ne permettent pas, en l’état actuel, de garantir que des revenus illicites n’interviendront pas au cours du processus législatif et administratif pour gonfler leurs biens. Alors que les déclarations patrimoniales des présidents ont déjà montré leurs limites, celles publiées par les élus et les ministres seront confrontées aux mêmes objections. Il résulte de ce principe de bonne gouvernance des rubriques vides. Dans ce pays, la déclaration patrimoniale est surtout un inventaire à la Prévert.
Une loi à parfaire
En France, La loi du 11 mars 1988 sur la transparence financière de la vie politique impose à tous les candidats à la présidentielle de déposer au Conseil constitutionnel une déclaration de patrimoine. Celle du Président élu est rendue publique. Le chef d’Etat a ensuite l’obligation de faire une nouvelle déclaration à la fin de son mandat pour savoir l’évolution de ses revenus. Il faut par ailleurs noter que les attributions du Conseil constitutionnel se limitent à la transmission de cette déclaration au «Journal officiel», les Sages ne disposant d’aucune compétence de contrôle sur leur contenu. En remettant leur déclaration aux Sages, chacun des candidats s’est aussi engagé, s’il est élu, à déposer une nouvelle déclaration de patrimoine, en cas de démission, dans un délai d’un mois après celle-ci, et sinon, au plus tôt deux mois et au plus tard un mois avant la fin de son mandat. Ceci, afin d’en mesurer leur évolution. Les candidats sont donc libres de déclarer ce qu’ils veulent. Il faudrait donc y adjoindre le risque de devoir ensuite se justifier s’ils ont sous-estimé leurs biens. Certains se demandaient comment Macky Sall -au vu de son parcours- avait pu acquérir des biens pour un montant déclaré de 1,3 milliard de francs Cfa. Ismaïla Madior Fall, constitutionnaliste, a exprimé les limites actuelles de cette mesure sur Rfi : «Le président entrant peut facilement déclarer son patrimoine, mais ils sont rares ceux qui le font à la fin de leur mandat et pourtant, c’est à ce moment-là que cela compte vraiment. Il serait plus efficace de préciser les délais dans lesquels il faut faire ces déclarations, délais qui doivent être le plus court possible. Par ailleurs, il n’y a pas d’organe habilité à vérifier la véracité de cette déclaration.»
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