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Dedodages – Amady Aly Dieng, Economiste : « Le projet de l’unité africaine doit être porté par des forces sociales »

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Dans son récent ouvrage intitulé « Les Grands combats menés par le mouvement estudiantin africain en France de 1955 à 1960 », l’économiste Amady Aly Dieng explore un sujet d’une brûlante actualité : l’unité africaine. Mais l’ancien fonctionnaire de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) et enseignant de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) est formel : ce rêve africain ne se réalisera que lorsqu’il sera porté par les forces sociales du continent.

AMADY ALY DIENG, ECONOMISTE : « Le projet de l’unité africaine doit être porté par des forces sociales »

Lors de la présentation de votre dernier ouvrage, vous disiez qu’on ne peut réaliser, en Afrique, l’unité nationale a fortiori l’unité africaine. Et, cela cinquante ans après les indépendances. L’aveu d’un échec ?

« Je crois que ce problème de l’unité africaine doit être abordé avec beaucoup d’objectivité et non de manière sentimentale, comme nous le faisons. C’est un souhait, un désir d’avoir l’unité africaine. Pour qu’il se réalise, ce projet doit être porté par des forces sociales qui ont intérêt à l’unité. Autant certaines forces sont pour l’unité, autant d’autres sont hostiles à cette unité. Il est vrai que la colonisation a tout fait pour nous diviser afin de régner. Et nous aussi, nous voulons l’abattre en nous unissant contre elle, de telle sorte qu’on risque de sacraliser l’unité. L’unité pour quoi faire ? Au lieu d’être un moyen, l’unité devient une fin. Chaque fois que vous dites unité, posez la question : « l’unité autour de quoi ? ». Et ce « quoi »-là, doit être quelque chose de commun. Bien entendu, nous avons été très sensibles à la loi cadre qui nous a « balkanisés », comme disait Senghor. Donc ce sont des micro-Etats qui accèdent à l’indépendance, en 1960. Il faut également dire que les intérêts des uns et des autres n’ont pas milité en faveur de l’unité de certaines régions ».

Vous pensez aux divergences Senghor-Houphouët ?

« Oui. Il faut dire que c’est avant tout des questions d’intérêts. Il y a, certes, un aspect personnel qui vient masquer les choses. Houphouët-Boigny est le produit des écoles de la Fédération, l’école de Médecine. Senghor est un produit du système français. L’un est planteur. L’autre est poète. C’est ce qui fait que les Sénégalais s’intéressaient beaucoup à la politique, alors que les Ivoiriens s’intéressaient plus à l’économie. Houphouët est devenu anticolonialiste parce qu’il ne bénéficiait pas de la main-d’œuvre recrutée par le travail forcé. Les Africains étaient exclus. Seuls les Blancs avaient la possibilité de les utiliser. C’est ainsi que Houphouët a demandé l’abolition du travail forcé… »

Ces mêmes conflits d’intérêts existent-ils encore entre les leaders africains actuellement au pouvoir ?

« D’abord, il y a un premier problème qui est posé. Quand on parle de panafricanisme et qu’on regarde les théoriciens de ce concept, ils insistent sur la peau noire. En le faisant, ils excluent les Magrébins, l’Afrique blanche. Tous ces théoriciens s’inscrivent dans ce label. Alors, peut-on parler franchement de panafricanisme ? Il faudrait plutôt parler de panégrisme. C’est une question qui demande réflexion. Maintenant, si on veut faire une unité de l’Afrique, il faut qu’on se demande sur quelles bases nous allons la faire. Les forces sociales qui sont à la tête de nos pays n’ont pas souvent intérêt à être seconds dans une organisation continentale. Chacun veut être chef chez lui. Personne ne veut pas d’un seul chef. Donc, le problème n’est pas bien posé par ces dirigeants. Ils sont verbalement pour l’unité mais, en réalité, ils sont contre. Et aussi, le dommage, pour l’Afrique, c’est l’un des continents qui a le plus d’Etats au monde. 53 Etats, vous imaginez ! Par rapport à l’Europe et l’Asie, c’est une catastrophe. Les frais de gestion administrative sont énormes et représentent des dépenses improductives qui vont à l’encontre du développement. Voyez le nombre de ministres que nous avons, d’ambassades que nous ouvrons et les armées que nous entretenons et qui sont incapables de défendre nos territoires à tel point que nous sommes obligés de signer des accords de défense avec des pays extérieurs. Regardez les bases militaires françaises qui existent encore chez nous. C’est intolérable pour un pays qui se dit indépendant.

Dans votre ouvrage, vous dites que le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing a précipité la mort de la Feanf (La Fédération des étudiants d’Afrique noire en France) en 1980. Jusqu’à ce jour, l’ex-colonisateur est-il hostile à l’unité africaine ?

C’est normal que les ex-colonisateurs soient hostiles à l’unité africaine. Ils sont soucieux de la défense de leurs intérêts. Nous ne pouvons ne pas tenir compte de ce fait. Mais je dois dire que l’Afrique est mal placée pour assurer son développement. Nous imitons les pays développés. L’essentiel de nos ressources va dans les frais de gestion pour entretenir une clientèle politique dans des sénats, parlements, conseils économiques et sociaux. En Afrique, chacun regarde la composition des gouvernements en fonction de ses propres identités. Tel est de telle confrérie, de telle religion, de telle ethnie, de telle région, etc. Cela est un émiettement terrible. Nous avons aussi hérité d’une doctrine jacobine, c’est-à-dire : la République est une et indivisible. Est-ce que c’est nous qui avons établi les frontières de nos Etats ? Non ! C’est l’extérieur qui l’a fait en fonction de ses propres intérêts. Ensuite, il n’existe pas réellement une diversité culturelle, ethnique, linguistique et religieuse dans nos pays. Or, quand il y a diversité, c’est le fédéralisme qu’on utilise la plupart du temps. Le cas des Etats est illustratif. Les Etats-Unis ne sont pas un Etat-nation, mais un Etat fédéré qui reconnaît la diversité. J’entends souvent des gens dire « l’unité culturelle de l’Afrique noire ». Nous devons faire attention en manipulant ce concept. A mon avis, l’Afrique est diverse. Même au Sénégal, il n’y a pas une unité culturelle. Par exemple, en Casamance, les Diolas ne connaissent pas les castes encore moins les hiérarchies, alors que, dans certaines régions du Sénégal, il y avait les royaumes qui consacrent les hiérarchies. Tout cela pour dire qu’il y a des questions sur lesquelles les intellectuels doivent discuter.

La Feanf, objet de votre récent ouvrage, n’avait pas, elle aussi, pris en compte cette question de diversité du continent. Votre avis ?

« Avec la Feanf aussi, nous avions des problèmes. C’est une Fédération d’étudiants d’Afrique noire en France. Et nous ne regroupions que les pays évidemment francophones. Les pays lusophones étaient laissés en rade et tous les pays anglophones n’étaient pas concernés. Quand on parle de l’Afrique occidentale, on oublie souvent qu’il y a six Etats qui ne sont pas francophones : Gambie, Libéria, Sierra Léone, Nigéria, Ghana et Guinée-Bissau. Donc, ce sont des phénomènes qui introduisent une diversité qu’il faudra gérer.

Est-ce cela qui bloque la marche des organisations sous régionales ?

« D’abord, il faut dire que ce sont des organisations qui sont faites par les gouvernements et non par les populations. Celles-ci ne connaissent que la famille. Elles ne connaissent ni la nation encore moins le continent. Ces questions ne sont discutées qu’au niveau des intellectuels, mais pas au niveau des populations. Si vous voulez traduire le mot « panafricanisme » dans nos langues locales, vous aurez certainement des difficultés, parce que cela ne correspond pas à la réalité que vivent les populations ».

Est-ce à dire que l’Afrique ne connaîtra pas cette union africaine tant prônée par Nkrumah et les autres leaders du continent ?

« Dites-moi le bilan de l’Oua. Zéro ! Est-ce qu’elle a créé l’unité africaine ? Non. Elle s’appelle l’Organisation de l’unité africaine et, au même moment, elle consacre les frontières coloniales. L’Oua était plus un syndicat de chefs d’Etat qu’un organisme des populations. La plupart du temps, on y envoyait des « naufragés » politiques ou des gens qu’on voulait « caser ».

Et qu’en est-il de l’Ua (Union africaine) qui remplace l’Oua ?

« Fondamentalement, l’Ua fonctionne comme l’Oua. Je constate que rien n’a changé. Ce sont les mêmes pays. Ce n’est pas en changeant les mots que la réalité va changer. On a même augmenté le budget de l’Ua, alors que beaucoup d’Etats, faute de devises, n’arrivaient pas à s’acquitter de leurs cotisations dans l’ancienne Oua. Comment voulez-vous qu’un organisme qui n’a pas un financement autonome puisse se développer ? Cela devient une bureaucratie. Croyez-vous que les nations soient disposées à laisser un gouvernement continental faire son travail ? Nous devons voir les choses en face et arrêter de rêver. Même Nkrumah, dans son livre, a écrit pour dire que « l’Afrique doit s’unir ». Or, le normatif ne peut pas s’imposer aux pays. S’il ne s’agissait que de « doit », nous aurions dû nous développer depuis longtemps. Depuis 50 ans, nous parlons de : « il faut développer, il faut ceci, il faut cela ».

Donc, selon vous, l’Union africaine demeure un rêve…

« Pour le moment, oui. En tout cas, je le pense. C’est un rêve, un vœu, mais ce n’est pas une réalité. La preuve, les puissances étrangères interfèrent sur le problème de l’unité africaine. Dans l’Uemoa, elles interfèrent avec le Franc Cfa qui est arrimé à l’Euro. Et elles ne veulent pas que cela saute. On parle de la création d’une monnaie unique africaine, mais les gens de l’Uemoa y sont absolument hostiles. Y compris, bien sûr, la puissance qui est derrière. Les pays anglophones n’ont pas ce type de relations avec leurs anciennes métropoles. Ils ont coupé et ont leur monnaie nationale. En Afrique du Nord, ils ont leur propre monnaie. Nous, nous sommes restés encore un correspondant du Trésor avec le FCfa. Ce que nous n’avons jamais cessé d’être depuis la colonisation ».

Mais, on ne peut pas nier la réalité de l’Union africaine quand on voit, par exemple, sur le plan international, le sommet du G8 inviter un président en exercice de l’Ua ou le président de la Commission…

« Mais ces gens, quels pouvoirs ils ont ? Rien du tout ! Ils n’ont pas de pouvoirs, parce qu’ils ne peuvent engager les 53 pays africains. »

Néanmoins, ils envoient, par exemple, des troupes dans les pays africains pour résoudre des conflits au nom de l’Union africaine…

« Mais, regardez les échecs qu’ils ont connus. Souvent, ce n’est pas l’Ua qui règle ces problèmes. Ce sont les autres ! L’Union européenne ou d’autres, mais pas eux. Quels moyens de pressions ils ont ? Absolument pas. L’Union européenne a des moyens financiers terribles. Elle peut menacer, sanctionner des gens. Regardez, par exemple, le cas du Niger. Regardez l’impuissance de l’Union africaine à régler ce problème constitutionnel. Donc, je pense qu’il ne faut pas surestimer ces organisations. Je pense qu’elles sont beaucoup plus faites pour les Gouvernements que pour les populations. »

Si des Africains de votre génération affichent un tel « afro-pessimisme », qu’en sera-t-il pour la jeune génération ?

« Moi, je n’aime pas trop le terme « afro-pessimiste ». Il s’agit de voir la réalité telle quelle est. On ne peut pas inventer une belle réalité. Aujourd’hui, quel est le problème des jeunes ? Les jeunes sont sûrs et certains qu’après leurs études, ils n’auront pas de travail. Chaque année, se déversent de futurs chômeurs et c’est cumulatif. C’est d’autant plus dramatique quand vous avez, par exemple, 800 ou 500 étudiants en première année de Médecine. Ces étudiants-là, s’ils deviennent médecins, où iront-ils s’établir ? Voilà les grands drames de l’Afrique. N’oubliez pas qu’au Sénégal, à l’indépendance, nous n’étions que trois millions, maintenant nous sommes douze millions. La population s’accroît de plus en plus, et on ne peut lui donner du travail. C’est le grand problème de la jeunesse. Ce n’est pas pour rien qu’il devient un problème métaphysique. Le chômage inquiète tout jeune qui est dans l’enseignement supérieur : « Qu’est-ce que je vais devenir après mes études ? » C’est la raison pour laquelle beaucoup d’étudiants se lancent dans des mouvements intégristes, religieux… »

Parlons du chômage. Vous qui avez étudié et séjourné en France avant de revenir travailler au Sénégal. Quel regard jetez-vous sur ce mouvement massif de jeunes africains qui bravent l’océan pour aller chercher de petits boulots en Europe ?

« Moi, je pense que le vrai problème n’est pas posé. C’est un problème de système économique. Est-ce que le capitalisme peut procurer du travail au gens ? Quand je suis capitaliste, je cherche à faire du profit et non donner du travail aux gens. J’ai intérêt à diminuer le nombre de travailleurs que j’ai dans mon entreprise, en mettant des machines à leur place. Regardez les taux de chômage atteints maintenant dans les pays capitalistes. 3%, c’était normal, maintenant, cela atteint 9%. C’est grave. Le chômage n’existe pas seulement ici, il existe aussi dans les pays développés, y compris les Etats-Unis. Donc, il y a un problème de système qui est posé. Tant qu’il y avait encore les pays de l’Est qui étaient là, le capitalisme pouvait faire des concessions aux populations. Mais, aujourd’hui, ils s’en moquent. Ils disent que les pays de l’Est sont effondrés, les partis communistes sont réduits à zéro. On se demande si le capitalisme dans lequel nous sommes pourra assurer le développement des pays. Je ne le crois pas. C’est ça qui est la réalité. Ce n’est pas mon afro-pessimisme qui le fait. Regardez le nombre de chômeurs qu’il y a ».

Exergues • « Chacun veut être chef chez lui. Personne ne veut d’un seul chef. Donc, le problème de l’unité africaine n’est pas bien posé par les dirigeants. Ils sont verbalement pour l’unité, mais, en réalité, ils sont contre. » • « En Afrique, chacun regarde la composition des gouvernements en fonction de ses propres identités. Tel est de telle confrérie, de telle religion, de telle ethnie, de telle région, etc. Cela est un émiettement terrible. » • « Fondamentalement, l’Ua fonctionne comme l’Oua. Je constate que rien n’a changé. Ce sont les mêmes pays. Ce n’est pas en changeant les mots que la réalité va changer. » • « Moi, je n’aime pas trop le terme « afro-pessimiste ». Il s’agit de voir la réalité telle quelle est. On ne peut pas inventer une belle réalité. »

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ENTRETIEN REALISE PAR Omar DIOUF & Abdoulaye DIALLO

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