Comme chez la famille Ewing de Dallas, on n’est pas au cinéma. Et, le film ici ne fait pas allusion à la présence de pétrole. Mais, l’autre richesse est l’herbe, les fourrages et la liberté de voir migrer des hommes, des femmes et le bétail dans le temps et dans l’espace. Pour ce seul fait, Dolly n’est pas une terre comme les autres au Sénégal. Couvert de son tapis herbacé presque une bonne partie de l’année, le ranch est une terre d’équilibre par la richesse de sa flore et la qualité du bétail qui séjourne. Et cela les occupants de cet endroit le savent. Toute l’économie de cette région d’élevage est accrochée à cette activité. Et les éleveurs ont tenu à le faire savoir.
Face au défi de démontrer un tel argument, le forum destiné à faire le plaidoyer en direction de l’Etat, dans le but de préserver définitivement la vocation pastorale de Dolly, n’aura pas suffi. En cette journée du samedi 26 novembre, ils sont venus par dizaines de tous les villages des environs, certains d’autres régions comme la Casamance, le Saloum, Tambacounda, Saint-Louis, et Louga. Il s’agit de dire dans un élan commun et avec des mots sobres, le désir du peuple des éleveurs, de conserver ce patrimoine dont la disparition entrainerait nul doute, selon eux, la fin de l’élevage au Sénégal.
A l’initiative du Centre d’études, de recherche, de formation en langues africaines (Cerfla,), et conduite par une équipe de chercheurs, à la tête desquels, son Secrétaire Général Oumar Hamady Sy, lui-même accompagné par un chercheur et un homme de terrain, le sociologue et spécialiste des questions de pastoralisme en Afrique, Oussoubi Touré, le forum a répondu à l’attente du grand monde qui s’y était rendu. Mais, nul doute que les deux jours de réunions commencés par les ateliers d’imprégnation et de sensibilisation du vendredi ne devraient pas suffire pour entendre tout le monde.
Le mérite des organisateurs aura été d’avoir aidé à poser un regard lucide sur l’avenir d’un petit paradis perdu encore sans voie d’accès, sans équipements dignes de nom, sans dispositifs d’alerte contre les périls comme les incendies. Des échanges riches sont sortis néanmoins de ce forum ; à commencer par des questions graves telles que l’insécurité, les ravages énormes sur l’herbe, le bétail et parfois volontaires causés par les feux de brousse, l’absence de renouvellement des infrastructures, la coupe abusive du bois, l’absence de pistes d’accès etc.
Face à un dénuement matériel aussi grave, ce qui reste du ranch est devenu un no man’s land. Une terre de tous les excès dont il est temps d’arrêter le sabotage. Dans un cri du cœur, d’une seule et même voix, il s’est agi pour les associations d’éleveurs, les femmes comme les jeunes, de rendre à Dolly, sa vocation pastorale. Un mot d’ordre qui a été celui du rassemblement après que tous les responsables de communautés rurales soient passés devant le micro. De Gassane à Boural en passant par Thiel jusqu’à Dolly, les hommes et femmes de ces localités bien loin de Dakar et de ses préoccupations urbaines, ont émis le souhait de voir le ranch faire l’objet d’une bonne reprise en main par les autorités.
Riches de leur connaissance sur les problématiques locales, les populations d’éleveurs n’en sont pas moins des gens dotés aujourd’hui de cette raison qui fonde la vie paisible autour de ces petits villages du centre. Abdoukarim Ba, Président de la communauté rurale de Vélingara, tire aujourd’hui la sonnette d’alarme en avertissant ainsi que « Dolly est comme un poumon vert situé dans le cœur même du Sénégal. Et s’il arrivait par négligence que le ranch disparaisse, il ne nous restera pour nos migrations temporaires, que la Casamance, dans le sud du pays. Ce qui risque de multiplier les risques de conflits entre éleveurs et agriculteurs dans le reste du pays… » Le ton est donné.
Contre la mort programmée d’une oasis…
Un diagnostic sans complaisance
L’autre difficulté qui a renforcé ces propos est dans la quasi disparition des infrastructures qui étaient laissées sur place pour la prise en charge des animaux de passage (forage, canaux d’eau, dispositifs sanitaires, bâtiment pour l’administration) ; tout cela est dans un piteux état. Kelly Sadio, Président de la Communauté rurale de Boural, ne cache pas non plus ses inquiétudes. Rappelant le rôle du ranch lors des périodes de grande sécheresse des années 1970, le « grand homme » qui en impose par la voix et la taille est allé dans le fond des choses. Il a tenu des paroles très sages sur la paix dans le pays, en insistant surtout sur la nécessité de donner au vieux ranch ses attributs d’antan au grand bonheur des éleveurs.
A l’en croire, « on ne peut pas esquiver la question selon laquelle, l’espace suscite encore des convoitises diverses. Mais, nous sommes ici pour éviter au pays, la naissance d’une autre zone de conflit et une poudrière. Notre désir est de consolider la paix dans tout le Sénégal et non de multiplier les zones de conflits. Et nous exhortons le président de la République, Me Abdoulaye Wade, de comprendre que Dolly est notre seule raison de vivre aujourd’hui. Nous voulons qu’il fasse de cet endroit, un espace de vie, de rencontres, de paix et de prospérité au lieu de chercher à l’affecter à des gens qui n’ont rien à faire ici… »
L’occasion était belle pour les jeunes de l’association « Nanondiral » et les femmes des groupements féminins aussi à l’initiative du forum de Dolly, de dire leur désir de voir le ranch se moderniser tout en gardant sa vocation du début. Marième Sow, présidente des femmes d’attirer l’attention des autorités que, « Notre seul combat est qu’on nous laisse le ranch. Nous n’avons nulle part autre où aller. Nous demandons au Président Wade de nous laisser cet espace en consolidant par un acte administratif le statut qui devrait faire de Dolly, un paradis de l’élevage au Sénégal. » Espace vital, le ranch l’est resté au vu des nombreuses bêtes (moutons, chèvres et bœufs) qui sont arrivées au niveau des abreuvoirs au cours de cette journée ensoleillée d’un samedi novembre.
Ils étaient des centaines d’animaux regroupés autour de ces équipements bien atteints par la limite d’âge, vétustes et amortis depuis des décennies pour « tirer » quelques litres d’eau après des dizaines de kilomètres de marche. Présents dans les débats, l’Assemblée nationale représentée par le député Adama Sow et le Conseil économique social par le Pr Demba Sow ont donné leur opinion sur le futur qui devrait être celui du ranch. La situation est grave. Et Adama Sow, député à l’Assemblée nationale de se poser la question suivante, « Pourquoi au Sénégal où on réhabilite des routes, des stades pour le sport, on ne peut pas faire de même pour le ranch de Dolly ? Le but de ce forum, selon lui, est de sauver ce qui reste de Dolly et de faire retrouver au ranch, sa vocation d’antan. »
« Tout jeune, a dit le Pr Demba Sow, Dolly et son ranch me faisaient rêver. C’est d’ailleurs cela qui a influencé le choix des mes études en agronomie. Pour dire que je suis ici pour écouter et donner un avis. Maintenant, il ne faut pas se tromper sur les objectifs. Il s’agit, au sortir d’ici, a-t-il ajouté, de faire des propositions claires et précises aux autorités. Si la vocation du ranch est de rester aux éleveurs, la première mission, à mon avis, est que les propositions d’organisations et la vision devraient venir de vous-mêmes les éleveurs, à travers le renforcement de vos associations. Vos organisations, a dit le Pr Demba Sow, sont souvent faibles et mal conseillées. Et, tant que vous ne serez pas bien organisés vos revendications risquent d’être vaines. Il faut vous organiser de manière formelle et fonctionnelle, et puis, envoyer vos enfants à l’école car c’est à eux que revient le plaidoyer derrière le décret d’attribution et la vision qui rendront au ranch sa vocation de terre d’élevage d’hier… »
Le Docteur Mamadou Alassane Ba abonde dans le même sens que le professeur Sow, affirmant que l’organisation du forum de Dolly est venue à son heure. Grand connaisseur des milieux de l’élevage au Sénégal, le docteur est revenu sur les enjeux économiques et sociaux qui ont conduit au cours des années à la réflexion qui a amené à la mise sur pied du ranch de Dolly. La création des zones agroécologiques tentées par les colonisateurs à partir de l’année 1955, a abouti, selon lui, à la mise sur pied de ce ranch dès l’année 1956. Un espace destiné à l’élevage comme naguère, le bassin arachidier a été laissé à la monoculture de la graine d’huile chère aux Sénégalais.
Nous voilà au cœur de la problématique foncière pour éviter les conflits à venir quand la démographie déjà galopante de années 1950-1960 avec l’amélioration des conditions d’hygiène et de vie dans les petites villes et villages lointains avait fini d’annoncer que tout ne devrait pas se passer comme un long fleuve tranquille. Le colon a donc pris les devants à propos surtout du foncier rural. Les sécheresses pénibles des années 1942-1943 ; 1962-1963 ; 1972-1973 et encore plus près de nous, 1996-1997 jusqu’en 2002-2003 ont été des signaux qui ont donné raison aux colonisateurs et aux décideurs de la période post-indépendance qui souhaitaient que le ranch soit définitivement laissé aux éleveurs.
ENCADRE
Des mots et des actes
Un forum pour la vie
Facteurs de stabilité sociale, Dolly et son environnement, selon les dire de leurs habitants, devraient permettre de renforcer la cohésion nationale au lieu de l’affaiblir. La Conséquence d’une violation subite des règles de voisinage apaisé, phénomène remarquable depuis plusieurs siècles, devrait avoir pour principal effet, la naissance d’un conflit grave autour du bassin arachidier. Ce qu’il faut éviter à tout prix, ont fait remarquer les différents intervenants.
Les enjeux du forum ont été également campés autour de cette question centrale qui devrait aboutir à un appel à la concertation entre acteurs, à une meilleure organisation de ces mêmes acteurs de la base, à la matérialisation par un acte venant de l’Etat de la vocation pastorale définitive du ranch. L’autre conséquence immédiate devant aussi déboucher sur une amélioration des équipements qui datent pour certains, de la mise sur pied du premier ranch dans le Ferlo sénégalais. Toutes ces choses inclues dans le document introductif fort de ses six résolutions ont été l’objet d’un vaste débat. Entre autres décisions sorties des ateliers de la veille, la composition imminente d’une délégation d’éleveurs qui devrait rendre visite à l’Assemblée Nationale, au Sénat et au Conseil économique et social, pour expliquer aux élus de ces chambres, la place et le rôle de ce ranch dans le développement de l’élevage sénégalais. Et le désir des éleveurs de le voir sauvegardé dans ses attributs.
Un comité départemental (certains l’ont trouvé trop restrictif et ont souhaité qu’il soit élargi aux régions de Kaolack, Kaffrine, Saint-Louis, Louga, Matam etc.) regroupant tous les acteurs pour le suivi et l’application des recommandations du forum devrait être mis en place. De même, il a été souhaité d’autres mesures, comme la définition et l’application des conventions locales contre les feux de brousse, la coupe abusive du bois dans le ranch et sa sécurisation.
Pour un patrimoine national dédié à l’élevage
Dans histoire du ranch, l’année 1963 a sans nul doute marqué le début d’une nouvelle ère. En conférant à la zone, un statut de réserve agrosylvopastorale sur une superficie évaluée à quelque 110 000 hectares, l’Etat du Sénégal posait ainsi les bases d’une vision à long terme destinée au développement de l’élevage. Promouvoir un élevage adapté à l’évolution économique et sociale de la société sénégalaise, voilà surtout l’enjeu de cette mesure prise par les autorités de l’époque avec le souhait qu’on ne reviendrait pas si vite sur celle–ci, quelles que fussent les circonstances.
Mais, au-delà des efforts d’ajustement et des rares réformes, le ranch a beaucoup souffert jusqu’à aujourd’hui, de la liquidation de la Sodesp à la fin des années 1990. Au bout des 20 années qui ont suivi la période 1979-1999, jusqu’au moment où la Sodesp disparaît, l’incertitude voire l’abandon des lieux par l’Etat et ces techniciens aura été bien perceptible avec la vétusté aggravée des équipements ; et cela malgré la proximité du Centre de recherche zootechnique de Dahra (Crz). Un Centre qui, par ses ressources humaines assez importantes de l’époque, devait permettre au ranch de devenir avec l’appui des partenaires au développement (au plan scientifique, technique, matériel et financier), une sorte d’oasis de prospérité en pleine zone sahélienne. La suite sera moins glorieuse.
Aujourd’hui, il reste une grosse épine dans les processus d’intégration de cette vaste région naturelle à l’ensemble du territoire, du fait de la non disponibilité des routes, de pistes correctes et de panneaux de signalisation visibles entre les gros villages (Gassane, Sadio, Thiel, Boural, Dolly jusqu’à Linguère. Oubliés au cœur du Ferlo, laissées en rade en différentes régions, Dolly et ses villages alentours sont comme ces espaces perdus du monde où le temps s’est arrêté depuis des siècles. Longtemps laissé pour compte, cet espace qui a subi de plein fouet les changements climatiques et la déforestation, a été très peu cité dans les plans de développement économique et social.
Ces hommes et femmes de cœur vivant dans le ventre mou du centre sénégalais, ne se signalaient dans l’actualité que par le nombre de forages en panne. Le manque d’eau au cœur même de la zone sylvopastorale des six forages pas très loin du ranch, la mort du bétail etc. Le seul moment d’humeur qu’il y a eu date du milieu des années 2000 quand il a été annoncé qu’une partie cette terre allait été affectée par l’Etat, à une famille. Le fait que dans ses parties nord et sud se trouvent d’anciennes forêts déclassées dont Khelcom (qui n’aura pas laissé que de bons souvenirs aux populations d’éleveurs), a fini par aboutir à un « projet » de future poudrière qui prenait forme avec l’ émergence de probables germes de conflits latents dans le centre du Sénégal entre éleveurs, agriculteurs et affairistes en tout genre ; « chasseurs » de terres disponibles propres à la spéculation foncière.
Des épisodes de conflits à oublier
La suite est connue une fois encore. La révolte qui s’en est suivie démontre encore l’intérêt du peuple d’éleveurs sénégalais pour ce bout de terroir qui leur reste. Et, dans les discours empreints de modération et d’une bonne intelligence, les chefs de village et les élus ont montré qu’ils n’avaient pas oublié cet épisode. Car sortis de ces zones pour faire de la transhumance aux abords des villes comme Touba, Bambey, Diourbel, Kaffrine jusqu’à Fatick, les éleveurs ont signalé être à la merci d’autres paysans comme eux qui leur bouchent le passage et qui, souvent, leur opposent des résistances aboutissant des fois à une mort d’homme. Et, les éleveurs en sont souvent les principales victimes.
Samedi 26 novembre, juste après 19 heures, un évènement a conforté ces faits à la sortie de la ville de Touba. Un troupeau de moutons qui passait par la route nationale a été violemment heurté par un camion et quand les autres véhicules derrières sont arrivés à hauteur de cet endroit, pensant voir sur la chaussée des sacs de sable, mil ou de riz, quelle ne fut leur surprise et la désolation quand ils ont compris qu’un massacre venait de se produire. Le camion a heurté en même temps, une vingtaine de moutons à terre, qui, la tête coupée, qui, les boyaux dehors, mais vivants et en pleine souffrance. Qui encore, regardant autour d’eux, se demandaient ce qui leur arrivait. L’animal a aussi un instinct de survie.
Ce fut un carnage, comme il en existe tout le temps, sur ces voies de passage, le soir venu au retour des animaux. Le camionneur sans crier gare, semble ‘avoir fait exprès et a disparu dans la nature, refusant de se retourner pendant que les pauvres bêtes gisaient encore en pleine chaussée. Arrivés tout de suite sur les lieux les populations du village situé à proximité du drame, les mains sur la tête, criaient leur désarroi, sans pouvoir dire qui était le responsable d’un tel assassinat.
Pour dire enfin que le ranch, malgré son dénuement, est resté un espace d’équilibre et de liberté qui permet encore aux braves bergers de rester en sécurité, de protéger leur bétail et de ne pas mettre en danger leur propre vie. Tout le sens du forum de Dolly de cette année 2011 finissant, est dans ces mots. Toute la pertinence et le mérite dans la démarche des organisateurs de cet évènement qui a été « managé » de main de maître, sont également dans l’opposition sinon le paradoxe de ces faits concomitants. En dépit des obstacles de la distance, de l’enclavement, du manque d’infrastructures d’hébergement et encore…
Le reste est désormais entre les mains des pouvoirs publics. Les pasteurs avec leurs moyens à la fois économique, culturel ont dit leur agacement, mais aussi leurs espoirs. Certains avec le timbre de voix et la rigueur de ces hommes habitués au stress climatique et à son incertitude, d’autres avec la modération et le goût de la vérité qui les caractérisent. A l’Etat, de leur montrer que leur message a été entendu.