Je me suis délecté de ta profession de foi et je me permets de te faire cette petite dédicace. Sois toujours toi-même et tu verras tôt ou tard le monde venir faire la génuflexion devant toi. Sois fidèle à tes valeurs et principes si tu veux insuffler au monde un nouvel élan vital. J’ai vu des hommes supposés grands croupir dans les abîmes de l’indignité dès qu’ils ont perdu le pouvoir (économique ou politique), mais je n’ai jamais vu un homme tomber en disgrâce parce qu’il aura été fidèle aux valeurs et principes qui font l’humanité.
Un homme peut tout perdre et continuer à briller de sa splendeur, parce qu’il y a des choses trop précieuses pour être ôtées ou données par un quelconque pouvoir. En revanche, un homme peut tout avoir et rester dans les bas-fonds de l’indignité, parce que la façon dont il a acquis son savoir ou son pouvoir n’est pas conforme au droit, à la raison ; je veux dire à cette loi qui brille au fond de nous-mêmes quel que soit (et malgré) le degré de notre perversion. Garde ta modestie et c’est la grandeur qui va te courir après.
Les gens peuvent faire ce qu’ils veulent, ils peuvent théoriser toute sorte de malfaisance au nom de la réalpolitique, mais nul ne peut tromper Dieu et sa conscience. Notre conscience, cette dédicace que Dieu nous a faite pour agréer notre être, ne manque jamais de nous rappeler à l’ordre. Ecoute-la et ne tente jamais de l’ignorer si tu veux vivre grand et paisible.
J’ai toujours pensé que le pouvoir (politique ou économique) est juste un instrument que la providence nous a donné pour accomplir notre mission, celle de servir la communauté, l’humanité. On m’a toujours taxé de rêveur, de me complaire dans le lyrisme politique. Mais ce qui est paradoxal, c’est que dans le langage de ceux qui le disent, les notions de bien et de mal, de juste et d’injuste, etc., reviennent constamment. Où se trouve alors le réalisme politique ? J’ai vu des Princes, sous le prétexte du réalisme, fouler aux pieds les principes et les valeurs cardinales de l’humain. Mais
j’ai toujours souri, car toute leur vie ils cherchaient des moyens d’être réalistes sans jamais y parvenir. Comme l’a bien expliqué S. Weil (Oppression et liberté, pp.92-93) l’illusion du réalisme politique c’est que celui qui exerce le pouvoir finit par devenir l’esclave de ce même pourvoir. Cette curieuse dialectique nous rappelle, précise-t-elle, les mythologies qui nous déconseillent de maltraiter les animaux de trait, car dans l’au-delà, le cheval,
par exemple, montera le cocher et lui fera exacte rétribution de ce qu’il lui faisait ici-bas.
C’est ainsi que quand le prince règne par le mensonge, la terreur, la corruption, en un mot pas le vice, il l’inocule si profondément à son peuple qu’il n’a plus confiance en ses sujets. Il devient paranoïaque, frileux et extrêmement angoissé à l’idée de perdre le pouvoir. Il y a par conséquent deux façons de gouverner : l’une comme Mandela, Gandhi, Sankara, Rawlings, etc. ; l’autre comme Mobutu. Les disciples de ce dernier sont capables de toutes les prouesses pour rester au pouvoir, mais ils n’ont aucune vertu suffisante pour se maintenir dans les esprits et les cœurs. Dès qu’ils meurent, ils cessent d’exister, tandis que les autres font du temps le train qui transporte leur gloire de gare en gare.
Ce monde est plein de merveilles mon cher Babacar, mais nous sommes aveuglés et asservis par les frivolités. Les choses que nous pensons chercher dans le pouvoir sont curieusement données de façon gratuite par la droiture. Mais l’homme pressé ne voit pas que la marche de la droiture est patiente parce qu’elle est assurée.
Nous avons eu des maîtres qui n’ont jamais accepté la compromission malgré les propositions les plus alléchantes. Djibril Samb, Mamoussé Diagne, Souleymane Bachir Diagne, feu Alassane Ndao, Ousseynou Kane, Abdoulaye Élimane Kane, Massaer Diallo, feu Habib Mbaye, Malick Ndiaye, feu Sémou Pathé Gueye, Mamadou Mbodji, feue Aminata Diaw Cissé, etc. Ah nos héros, ces vrais héros que pays n’a pas encore célébrés ! S’il était permis à un humain de considérer un autre humain comme un dieu, je n’hésiterai nullement à les appeler des dieux.
Comparant Socrate à Caton, Rousseau a dit « on n’a jamais fait un peuple de sages, mais il n’est pas impossible de rendre un peuple heureux ». Je lui aurais rétorqué qu’il a sans doute raison, mais la cause est à justement à chercher dans le fait que les hommes ne sont pas sages, car le bonheur sans la sagesse est une utopie.
Je préfère te voir méditer ce passage 489b-489c du Livre VI de La République de Platon où Socrate fait le plaidoyer du philosophe « Ajoute que tu ne te trompais pas en déclarant que les plus sages d’entre les philosophes sont inutiles au plus grand nombre, mais fais observer que de cette inutilité ceux qui n’emploient pas les sages sont la cause, et non les sages eux- mêmes. Il n’est pas naturel, en effet, que le pilote prie les matelots de se laisser gouverner par lui, ni que les sages aillent attendre aux portes des riches. L’auteur de cette plaisanterie a dit faux. La vérité est que, riche ou pauvre, le malade doit aller frapper à la porte du médecin, et que quiconque a besoin d’un chef doit aller frapper à celle de l’homme qui est capable de commander : ce n’est pas au chef, si vraiment il peut être utile, à prier les gouvernés de se soumettre à son autorité. Ainsi, en comparant les politiques qui gouvernent aujourd’hui aux matelots dont nous parlions tout à l’heure, et ceux qui sont traités par eux d’inutiles et de bavards perdus dans les nuages aux véritables pilotes, tu ne te tromperas pas. »
Alassane K. Kitane