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Délires médiatiques

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Il faut en convenir, il y a, au Sénégal, une nouvelle mode dont une certaine presse est le héraut : tirer sur les Wade. Celle-ci, en effet, a décidé d’abolir la distance critique avec les faits. Elle a abandonné les précautions les plus élémentaires du métier pour s’immiscer dans une querelle politique qui la prédispose à toutes les manipulations. Et, dans cette posture, elle renonce à son droit de protestation victimaire pour enfiler le boubou coupable de la prise de position.

Il faut le dire, on a l’impression que cette presse, espérant la fin prochaine du pouvoir actuel, multiplie les clins d’œil à son opposition. Elle s’enferme dans l’illusion de récolter de précieux subsides à faire fructifier en cas d’une nouvelle alternance. Ne l’a-t-on pas vu, du reste, chercher à s’arroger les honneurs après la défaite de Diouf en 2000 ?

Dans ce brouhaha médiatique, l’accusation s’adosse à une chimère. Wikileaks a détrôné le Coran. Ses adeptes, transis par le flot d’imprécations subjectives de diplomates américains, ont érigé ses «câbles» en dogme. Il en est de même des «révélations» de Robert Bourgi qui dit, pourtant, n’avoir aucune preuve de ce qu’il avance. Tant que ça peut faire mal aux Wade…

Exploratrice de l’Absurdie, ces porte-flingues ont décidé de plonger le pays dans un coma national. Ces journalistes, spadassins d’une opposition qui peine à sortir de ses divisions, ont décidé de faire le boulot à la place des politiques : faire partir le pouvoir libéral. C’est tout le sens des mousquetades actuelles. Il y en a, cependant, que l’on devrait enseigner dans les écoles de journalisme, comme exemples à ne pas faire, pour les jeunes qui se frottent aux rudiments de ce noble métier. La liste des dérapages est longue. Arrêtons-nous seulement, par souci de concision, sur l’article publié mercredi par le site dakaractu.com et signé Cheikh Yérim Seck sous le titre : «Qui va gagner en 2012 ?»

L’auteur nous apprend que «des Américains et des Canadiens, qui travaillent pour une société de capital-risque, ont séjourné à deux reprises dans notre pays, en décembre 2010 et en juin 2011, pour effectuer des études globales sur le Sénégal et ses perspectives d’évolution. Véritables radioscopies du champ politique, ces études dégagent des tendances lourdes qui permettent à la date d’aujourd’hui de se projeter sur la Présidentielle de février 2012. Les résultats regorgent de précieux enseignements».

La suite de l’article décline des «certitudes» qui devront faire trembler au Pds et son leader. Celui-ci est donné vaincu dans tous les cas, puisqu’il ne peut récolter plus de 30% des suffrages au premier tour et, au plus, 32% au second. Le vainqueur, à en croire, Cheikh Yérim Seck, citant ce sondage, sera Macky ou Idy, au coude-à-coude. Mais les chiffres affectés aux deux anciens Premiers ministres de Wade est d’une ombrageuse imprécision. Derrière, Bennoo est largué et 40 % des sondés ne font confiance ni au camp libéral, ni à l’opposition. Ces indécis pourraient, cependant, voter pour une personnalité neutre, nous apprend toujours l’article de dakaractu.com.

Cette broderie politique, il faut en convenir, est grosse de moult interrogations. Ces Américains et Canadiens, on l’aura remarqué, n’ont pas de noms. Leur société non plus. L’étude, si tant est qu’elle existe bel et bien, devrait tout aussi bien avoir un intitulé. Et la période visée par ces études est des plus imprécises, l’auteur se contentant simplement de nous dire qu’ils ont séjourné au Sénégal à deux reprises, en décembre 2010 et juin 2011. On n’a, en outre, aucune indication sur l’échantillonnage de ces «véritables radioscopie du champ politique». Toutes choses qui nous inclinent à penser que M. Seck n’a pas disposé d’un document physique, se contentant, comme à son habitude, de son rôle de colporteur de «mauvaises nouvelles».

L’autre incongruité qui devrait pousser toute personne avertie à prendre cet article avec des pincettes, c’est la nature de la société qui a fait cette étude. Une société de capital-risque, nous dit Cheikh Yérim. En voilà une étude qui l’éloigne fortement de ses principales préoccupations. Le capital-risque se définit, en effet, comme «un investissement en fonds propres, temporaire et minoritaire, dans des entreprises en création, en reprise ou en développement. Il constitue pour les entreprises un effet de levier, qui leur permet d’accéder plus facilement au financement bancaire». Le principe, est basé sur le fait de vendre des projets dont les résultats sont jugés moins fructueux et de financer des projets plus prometteurs. L’objectif étant de compenser les pertes accumulées lors de l’investissement du premier projet ayant échoué. Une activité qui nous éloigne, vous en conviendrez avec moi, fort bien des préoccupations de Cheikh Yérim Seck.

Il faut cependant rappeler, puisque le rappel est didactique, une situation entretenue en 2007 par cette même presse. En effet, dès la publication des premières tendances issues du scrutin présidentiel, nombre d’analystes politiques et intellectuels de tous bords s’étaient alors évertués à prouver l’existence d’un malaise au sein de l’opinion. Les électeurs se seraient réveillés avec une terrible gueule de bois parce que les résultats sortis des urnes n’étaient pas conformes à ce qu’ils attendaient. C’est-à-dire un inéluctable deuxième tour qui devait marquer la fin de la Présidence de Me Wade. Nombre de journaux étaient déjà acquis à l’idée que la messe était déjà dite pour le régime libéral et nombreux parmi nos «experts» en politique se bousculaient aux portillons des leaders de l’opposition pour ne pas se faire oublier dans la distribution des faveurs après le 25 février 2007.

Pour l’essentiel, nos «spécialistes» en politique s’appuyaient sur deux certitudes pour battre en brèche toute idée d’une victoire du président sortant au premier tour et, subrepticement, instiller dans les esprits qu’un second tour serait fatal à Me Abdoulaye Wade.

La première certitude, défendue par nos plumitifs avec un zèle de nouveau converti, tirait sa substance de l’alternance survenue en mars 2000. Poussé au second tour par une opposition pour l’essentiel regroupée autour du candidat Wade, Diouf n’avait pas pu résister face à la déferlante d’un électorat déterminé à mettre fin au règne sans partage du régime socialiste. Et, à lire les écrits de nombre d’analystes, 2000 était le référentiel absolu. L’ère des scrutins à un tour était définitivement révolue. Certains avaient même théorisé l’adoption du scrutin à deux tours, le premier servant juste d’écrémage.

L’autre certitude sur laquelle nos «experts» avaient assis leur analyse est à chercher dans la multiplicité des sondages, tous plus alarmants les uns que les autres et qui, tous, annonçaient un second tour, parfois sans le président Wade. Rappelons que les principales critiques des sondages émanent de la sociologie et des hommes politiques et portent pour l’essentiel sur les sondages d’opinion et les sondages électoraux. Ils leur reprochent de prendre trop de place, de prétendre à une représentativité exagérée voir erronée, de stériliser le débat démocratique, d’influencer les opinions, qui se formeront en fonction des résultats publiés. Brice Teinturier, directeur de TNS Sofres, cité par «Libération» du mardi 27 février 2007 rappelait déjà que «les sondages sont des outils de compréhension de l’opinion, pas des prévisions de résultats». Mais chez nous, tous les analystes, munis de sondages dont le caractère scientifique est loin d’être établi, ont vite fait de désigner des vainqueurs et de renvoyer les autres à leurs leçons. Alain Garrigou, professeur de science politique à Paris-X-Nanterre, interrogé par le même journal, relativise l’importance des sondages : «les utilisateurs des sondages essaient de créer le réel, en considérant qu’ils peuvent contribuer à la victoire en l’annonçant». Et de douter de leur fiabilité : «Il faudra bien qu’un jour, les instituts publient les données brutes qu’ils recueillent. Imagine-t-on une science qui cache ses procédures ? Et il faudra bien qu’ils les donnent parce qu’il existe une suspicion de tricherie».

A l’évidence, la presse et sa cohorte de contributeurs et de spécialistes en mal de spécialité s’étaient complètement trouées dans l’appréciation des forces en présence en 2007. Elle s’est systématiquement opposée, à sa manière, au candidat-président Wade et a fini par prendre ses souhaits pour la réalité. Pour 2012, on est encore reparti sur les mêmes bases. A moins d’un souhaitable sursaut d’orgueil.

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