Comme le concepteur du slogan «Manko Wutti Ndamli» qui a permis au Sénégal de toucher le Graal le soir du 6 février 2022, suite à un coup de patte exécuté par Sadio Mané, à 21 h 06 minutes, mettant fin à 57 ans de d’attente et de symphonies inachevées, celui qui a créé «Diomaye Mooy Sonko» devrait être fier de son idée. Mieux, il devrait même la breveter à l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Sans exagération, aucune. Bassirou Diomaye Diakhar Faye est bel et bien Ousmane Sonko. C’est plus qu’un slogan. C’est une réalité. Palpable. Visible. Et il ne pouvait en être autrement. Et pour cause, jamais dans l’histoire politique du Sénégal nous n’avions assisté à un tel scénario où le leader d’un parti politique accepte de s’éclipser pour permettre non pas à son second (ici, Birame Souley Diop) d’accéder au pouvoir, mais plutôt à son Secrétaire général de devenir l’homme le plus puissant de la République sénégalaise.
On n’a beau citer des exemples supposés ou réels de hautes trahisons qui se sont déjà produits à Ndoumbelane, entre notamment Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia, ou encore entre Abdoulaye Wade et Idrissa Seck voire Macky Sall et feu Alioune Badara Cissé, mais force est de reconnaître que ces cas avaient fini d’installer des dyarchies au sommet de l’état, ou le numéro 2 lorgnerait le fauteuil du président. Ici, nous assistons à un duo où le Président, par la force des forces, accepte de s’éclipser, de s’effacer pour son Premier ministre. Dans un régime hyper-présidentialiste, une telle situation suscite des interrogations et donne du fil à retordre aux analystes politiques.
Sauf que beaucoup d’analystes font fi d’occulter qu’aucun des scénarios susmentionnés n’est identique à la situation actuelle du Sénégal. Ici, ce sont des complots les plus loufoques, les brimades les plus viles, du sang, des séquestrations, des privations de liberté tous azimuts qui ont empêché au principal opposant de Macky Sall d’être candidat à l’élection présidentielle du 24 mars 2024. Après l’affaire Adji Sarr qui a fait pschitt à cause de la requalification des faits passant de viol avec menaces d’armes à une corruption de la jeunesse, il a fallu se rabattre sur l’affaire de la diffamation sur les 29 milliards du Prodac, qui avait opposé Ousmane Sonko au ministre Mame Mbaye Niang. Une affaire qui n’a toujours pas livré son verdict. Le leader du Pastef sera condamné dans un premier temps à deux mois de prison assortis du sursis et à verser 200 millions de francs CFA au ministre. Il sera relaxé des délits d’injures et de faux. Mame Mbaye Niang jubile et soutient que son honneur est lavé. Mais quelques temps après, il interjette appel pour corser l’addition : l’objectif est tout simplement d’empêcher le leader de l’opposition de se présenter.
Cette fois, la sentence l’envoie au tapis puisqu’il va écoper de six mois de prison avec sursis et 200 millions de francs CFA de dommages et intérêts. Mais le coup de massue, Ousmane Sonko et sa bande vont le recevoir le lundi 31 juillet 2023 avec la dissolution de leur parti. Une annonce faite peu après l’inculpation et le placement en détention de leur leader, notamment pour «appels à l’insurrection et complot».
Ironie de l’histoire, c’était un 31 juillet 1961 qu’on a assisté à la première dissolution d’un parti politique au Sénégal. Il s’agissait du Parti africain des indépendances (PAI) de Majhemout Diop. Ensuite, il y a eu les dissolutions du Bloc des masses sénégalaises en 1963 et le Front national sénégalais en 1964. Deux partis créés par l’intellectuel sénégalais le plus célèbre: Professeur Cheikh Anta Diop. A cette époque, le président de la République Léopold Sédar Senghor était allergique à toute opposition à son régime. Macky Sall, lui, avait opté pour l’euthanasie ou la réduction à la plus simple expression de l’opposition sénégalaise.
La messe est ainsi dite. Ousmane Sonko est hors course. Pour autant, il ne s’avoue pas vaincu. Tel un phénix, il cherche à renaitre de ces cendres. Et contrairement au PDS et à Takhawu, qui ont milité pour le jusqu’au-boutisme avec ses slogans «Karim Wade ou rien » et/ou « Khalifa Sall ou rien », lui, il va adopter une solution de brouillages des pistes en envoyant plusieurs candidats de son camp chercher les parrainages, parmi eux, un fidèle parmi les fidèles, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, qui l’avait rejoint en prison. Il finira par choisir ce dernier en lui offrant tout, sur un plateau d’argent. La suite se passe de commentaire. Dans le cas d’espèce, la légitimité appartient à Ousmane Sonko qui, par procuration, a transmis le pouvoir à Bassirou Diomaye Diakhar Faye. Ce qui tranche d’avec les dyarchies qu’on a connues jusque-là. D’ailleurs, le Président Faye ne refusera jamais que Ousmane Sonko lorgne son fauteuil contrairement à ses prédécesseurs qui se sont battus en tant secrétaires généraux et/ou présidents de parti pour arriver à la magistrature suprême. Entre Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, c’est un cas d’école inédit dans les annales. Ne soyons donc pas étonnés que le premier délègue en partie ou tous ses pouvoirs au second avant de disparaitre de la scène pour mettre en orbite son leader lors de la Présidentielle de 2029.
Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude
Issac Yakhouba Ndiaye dit Jacob, professeur agrégé nous enseignait en deuxième année de son cours de droit des obligations, que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Cette situation politique du Sénégal où le Président de la République s’éclipse au détriment de son Premier ministre n’a été possible qu’à la suite des combines, des compromis voire des compromissions au plus haut sommet de l’Etat sous la dictée du Chef de l’Etat, Macky Sall principal acteur du protocole du Cap Manuel. Les wolofs disent que « kou iniane sa doono sa dewine niaw »(lorsqu’on veut priver sa descendance, on finit mal). La réalité, c’est qu’à force de vouloir jouer avec nos institutions, l’effet boomerang a fini par se produire. Macky Sall est le seul Chef de l’Etat sénégalais qui décidait contre qui, il allait aux élections. Ce ne sont pas Karim Meissa Wade et Khalifa Ababacar Sall ne démentiraient pas. Sans occulter les suppressions et reconduction du poste de Premier ministre, avec des prétextes fallacieux soutenus par des délits d’ambitions contre ses anciens camarades. Accusation de corruption des juges constitutionnels, fragilisation de son candidat de raison, etc. Conséquences : l’élection d’un président par défaut. Le Président de la République Bassirou Diomaye Diakhar Faye n’a jamais pensé, pas un seul instant à briguer la magistrature suprême. Le Projet de Pastef a été porté par Ousmane Sonko. Il a été de tous les combats. Même lors des manifestations de Yewwi d’alors, alors que Khalifa Ababacar Sall occupait le poste du président de la conférence des leaders, le patron du Pastef, parlait le dernier. Il captivait les foules, l’hypnotisait par son discours empreint souvent de mots quasi-insurrectionnels. Sonko était le seul et unique opposant qui a su tenir tête à la machine mediatico-politico-judiciaire mise sur pied par Macky Sall qui ne peut maintenant que nourrir des regrets, d’avoir contribué à l’ascension fulgurante de l’actuel Premier ministre vers le sommet de la pyramide. Du banni de l’administration, il est devenu le patron de cette même administration. Quel destin !
Ailleurs, pouvoir et trahison vont de pair
Grand tribun, Ousmane Sonko sait aussi anticipé les coups. «Le seul combat de l’opposition, c’est qu’il ait une brouille entre Diomaye et Sonko », répète-t-il dans ses sorties. Cette phrase du Premier Sonko n’est pas gratuite. Le président du Pastef a lancé une sorte d’alerte pour que le Président de la République ne tombe dans les mêmes travers liés à l’exercice du pouvoir. D’une manière triviale, en langue wolof, on dit : « Buur daay fiir » (le pouvoir ne se partage pas). Surtout que les influences peuvent venir de partout. Des proches, des amis, des parents, des membres de la famille, des hommes d’affaires nationaux et étrangers, des lobbies insoupçonnés notamment de l’épouse et/ou des épouses voire des enfants. D’ailleurs tel un refrain d’une chanson, on entend à longueur de journée « Diomaye est gentil. C’est Sonko le méchant ». Comme si le Premier ministre ne faisait pas qu’exécuter la politique définie par le Président de la République. Tout en étant dans un régime hyper-présidentialiste, Ousmane Sonko ne s’affiche pas comme le Premier des ministres. Il n’est pas non plus un simple fusible. Il est plus qu’un Chef de gouvernement. Il fait office de Chancelier comme en Allemagne, de Président du Conseil comme c’est le cas de l’Italie ou encore de Premier ministre à la Britannique ou à l’israélienne.
Toutefois, il ne faut pas non plus insulter l’avenir. Tous les deux doivent faire pas preuve d’intelligence dans la gestion de pouvoir afin d’éviter au pays des crises inutiles qui ne feront que plomber ou retarder notre envol.
Par conséquent, il ne faut pas perdre de vue que pouvoir et trahison font bon ménage. Citons quelques cas.
En France par exemple, des hautes trahisons notées çà et là ont poussé de brillants confrères à publier un excellent ouvrage intitulé «La République des traîtres : De 1958 à nos jours ». Sous la houlette de Jean Garrigues, les meilleures plumes du journalisme ont réuni leurs talents pour s’inviter dans la « cage aux fauves », où tous les coups sont permis. Ils y relatent que Georges Pompidou a trahi Charles de Gaulle, Jacques Chirac a trahi Valéry Giscard d’Estaing, Édouard Balladur a trahi Jacques Chirac, Ségolène Royal a trahi François Hollande, Marine Le Pen a trahison propre père… Selon eux, «la trahison est le fil conducteur de la vie politique sous la Ve République, parce qu’elle est un marchepied indispensable pour la conquête de l’Élysée ».
Plus proche de chez nous, en Mauritanie, Mohamed Ould Ghazouani est accusé d’avoir trahi son prédécesseur Mohamed Ould Abdelaziz, qui a été condamné d’une peine 5 ans de prison assortie de la confiscation de ses biens et à une peine d’inéligibilité pour enrichissement illicite et blanchiment.
Au Niger, aucun analyste politique ne pouvait imaginer la fin aussi malheureuse entre Mohamed Bazoum et Mahamadou Issoufou qui se considéraient comme des « frères ». A l’image de Diouf-Wade, Wade-Macky Sall, Macky Sall-Diomaye Faye, le monde a apprécié cette image symbolique entre les deux hommes. Mohamed Bazoum prêtant serment en tant que nouveau Chef d’Etat devant Mahamadou Issoufou qui venait de passer la main. Mieux, c’est Issoufou lui-même qui avait « imposé » la candidature de Bazoum au sein du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), qu’ils ont co-fondé. Hélas, un peu plus de deux ans après, tout va dégringoler comme un château de cartes. Bazoum sera renversé le 26 juillet 2023 par un coup d’Etat et détenu par les hommes d’Abdourahmane Tiani, alors que son « frère » s’enferme dans un silence bruissant de paroles et des contradictoires dignes d’un tireur de ficèles pour ne pas dire d’un commanditaire.
Au Togo, pour parer à toute éventualité, le Président Faure Gnassingbé n’a pas une seule seconde hésité d’arrêter son propre demi-frère, Kpatcha Gnassingbé, alors député et ancien ministre de la défense, le 15 avril 2009 pour tentative de coup d’état. Il sera par suite transféré au Gabon après quatorze années de détention.
Au vu donc de ce qui précède, on ne serait pas exagéré d’affirmer que Diomaye moy Sonko. Mais ne croyons pas non plus que le malheur ne peut arriver qu’aux autres. God bless Sénégal !