La cité qui abrita les dernières années de la vie du saint homme(1912-1927) se
meurt dans l’indifférence générale. Et pourtant, quel passé !
N’Diar Yéem fut en effet choisie par les autorités coloniales pour assigner à résidence Sérigne Touba après son long exil au Gabon(du 21 septembre 1895 au
11 novembre 1902) et en Mauritanie(du 13 juin 1903 à 1907). Il s’installa donc dans la capitale du Baol avec sa famille et ses nombreux fidèles.
Le 1er Janvier de la même année 1912, mon oncle, Ely Manel Fall(1889-1950), étrennait ses fonctions de chef de province. Pendant toute la période, où Sérigne Touba vécut son assignation à résidence à Diourbel après dix ans d’exil hors de son pays , mon oncle Ely Manel Fall fit tout ce qui était en son pouvoir pour rendre le séjour du saint homme moins difficile, parvenant régulièrement à
refréner les velléités coercitives des autorités coloniales visant la confrérie.
La qualité des relations entre le saint homme et Ely Manel Fall furent telles qu’il offrit la main de deux de ses filles, l’une au second fils de Sérigne Touba,
son deuxième khalife général, Falilou M’Backé, la deuxième au fils aîné de
Cheikh Ibra Fall, Sérigne Modou Moustapha Fall. Ces deux mariages ont fait de moi, l’oncle des petits-enfants de Cheikh Ibra Fall et de Sérigne Touba.
Mais revenons à la présence du grand homme à Diourbel, laquelle attira des milliers de fidèles, des entreprises spécialisées dans le négoce et surtout le commerce de l’arachide.
L’arachide dont la région fut à l’époque avec Kaolack, l’un des grands bassins du pays. La cité devint à partir de ce moment là, un grand centre religieux et économique. C’est ainsi que les autorités coloniales dotèrent N’diaryéem, des infrastructures régionales couvrant les localités environnantes : Khombole, M’backé, Doulo et Bambey : siège de l’administration(la résidence du commandant de cercle), une grande école primaire,école régionale pour les enfants des ressortissants des localités citées plus haut, y compris bien sûr ceux de Diourbel.
Le rayonnement spirituel et religieux de Cheikh Ahmadou Bamba fit affluer dans la ville des cohortes de talibés venus de tout l’Ouest africain faisant d’elle une importante agglomération et une place forte du commerce colonial français
où rivalisaient des établissements tels : Devet/Chaumet, Maurel/Prom, Vezia et
CFAO, principaux fleurons des échanges commerciaux entre la France et ses
colonies d’Afrique Noire.
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L’arrivée en masse des libano-syriens encouragés par la France qui administrait alors le Liban et la Syrie(accords Sykes-Picot en 1916 relatif au partage entre britanniques et français de la Syrie et de la Palestine),la France qui entendait faire du Sénégal une colonie de peuplement, acheva de faire de Diourbel un carrefour économique entre le Sine-Saloum, le Cayor et le Diambour.
L’apport du chemin de fer, Dakar-Niger qui nécessita la construction d’une grande gare à Diourbel même, compléta les infrastructures existantes auxquelles il faut ajouter un grand hôpital régional, un service régional d’agri-
-culture ainsi que trois grands marchés couverts : le premier pour le commerce des denrées de base, le second pour la boucherie, et enfin le troisième servant de salle d’exposition pour le commerce de l’ambre, très en vogue à l’époque, et
la vente de l’or.
Ajoutons à cela que, du fait de l’importante production de l’arachide, une usine, la SEIB(Société industrielle et électrique du Baol) fut édifiée. Usine qui transformait l’arachide en de nombreux produits et fournira à la ville son réseau électrique, un des premiers du Sénégal. Diourbel vit également circuler les premières voitures automobiles particulières au Sénégal grâce à Sérigne Cheikh Anta M’Backé, frère de Sérigne Touba. Sérigne Cheikh Anta M’Backé dont la richesse était proverbiale, fut un important producteur d’arachides. Il faut dire aussi que la ville fut pendant longtemps la principale pourvoyeuse de fruits et légumes non seulement de la région mais également des régions environnantes. Arrosée par un bras du Sine, (fleuve) aujourd’hui disparu, la ville était entourée d’une ceinture verte tellement belle qu’elle souleva l’admiration de l’écrivain français Georges Duhamel(1884-1966). Cette ceinture verte était constituée par d’immenses jardins-maraichers où se côtoyaient, manguiers, grenadiers, anacardiers, goyaviers et même des bananiers sur quelques sites, le tout faisant une véritable cité-jardin.
Mais, il serait injuste de résumer le passé de Diourbel à ses images verdoyantes et, à son développement économique pendant la période 1912-1927 où le
fondateur du mouridisme y établit sa résidence. Le saint homme y édifia sa
première mosquée, la plus grande de la région jusqu’à nos jours, après celle de
Touba. Auparavant, il avait fondé un quartier entier dénommé Keur Gou Mack
(la grande maison) autour de laquelle s’agrégèrent les résidences des membres
de sa famille et des dignitaires de la confrérie à l’exception de Cheikh Ibra Fall,
chef des Baye Fall qui s’installa à l’Ouest de la ville dans un quartier qui porte encore aujourd’hui son nom. Sérigne Touba était très attaché à Diourbel même s’il avait une affection toute particulière pour Touba qu’il fonda et dont il fit la capitale du mouridisme. Diourbel fut cependant sa résidence principale, d’ailleurs, un de ses fils, Sérigne Saliou M’Backé son cinquième khalife y vit le jour en 1915. Sérigne Saliou, lui,se souciait de sa ville natale. Pour preuve, quand l’hôpital Lubke était en train de tomber en ruines, il envoya des fonds pour sa restauration. 2
La ville devint, du fait de la présence du saint homme, un foyer religieux et culturel incandescent qui irradia tout le Sénégal et au-delà toute la région, ce qui entraîna également sa prospérité. Cheikh Ahmadou Bamba ne vécut jamais à Touba. Les dernières années de sa vie, il les passa à Diourbel où il fut rappelé à Dieu en 1927.
Si j’ai tenu à faire ce rappel historique, c’est pour montrer que la capitale du Baol contrairement à l’image de désolation, d’abandon et de pauvreté qu’elle véhicule aujourd’hui, il n’en fut pas toujours ainsi.
Alors pourquoi en est-elle là ?
La situation que je viens de décrire plus haut a prévalu jusqu’à l’indépendance du pays en 1960 et même au-delà. En somme, jusqu’à la fin de la magistrature de René-Louis Legrand, le dernier maire de Diourbel, digne de ce nom. C’est lui qui fit tracer les grands boulevards, les grandes rues asphaltées, construire les toilettes publiques et qui contribua à l’extension du réseau électrique et d’eau
potable. Pourtant, René-Louis Legrand qui aimait tant sa ville n’était pas un natif de Diourbel. Il venait de M’Bour, sa ville natale pour succéder à un homme d’exception, à la tête de la mairie, Mamadou Dia. Né à Khombole, ce dernier fit sa scolarité à l’école régionale de Diourbel y passant son adolescence. La ville lui tenait à cœur. En dépit de ses lourdes responsabilités politiques : président du Conseil, ministre de la Défense et numéro deux de l’UPS, Mamadou Dia fut à l’origine des bâtiments publics qui donneront à la ville son cachet moderne : un grand hôtel de ville, un palais du gouverneur, une assemblée régionale et un commissariat central etc…
Il jumela Diourbel avec la ville française d’Avignon, cité des Papes, afin de hisser sa ville au rang des métropoles modernes.
Las, avec ce que les uns appelèrent la « tentative de coup d’État de 1962 », d’autres les « événements de 1962 », le Sénégal et Diourbel perdirent à jamais
à la fois un homme d’état, patriote dévoué à son pays et un édile bâtisseur et sensible à l’évolution de sa ville et au bien-être de ses habitants.
Après Mamadou Dia et René-Louis Legrand, les deux seuls maires qui œuvrèrent pour le progrès de leur cité. Diourbel tomba dans l’anonymat et la décrépitude. Pourtant, tous ceux qui présidèrent après eux, aux destinées de la
ville ne furent pas des anonymes ni des seconds couteaux de la scène politique
sénégalaise.
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Jugez-en:Ousmane Camara, qui entra en politique avec fracas, en étant procureur lors du procès de Mamadou Dia, devint ministre de l’Information , de la Culture et porte-parole du gouvernement(sous L.S S) et maire de Diourbel. Avec une telle position, son passage à la tête de la municipalité aurait dû marquer les esprits et les mémoires des diourbélois du fait de ses nombreuses
réalisations. Or, il n’en fut rien.
Fatoumata Kâ, « grande militante », présidente des femmes de l’UPS, poste
prestigieux s’il en fut, que Caroline Faye occupa brillamment, succéda à Ousmane Camara.
« Kaf », comme l’appelait affectueusement ses intimes, résuma sa relation avec la ville en déléguant tous ses pouvoirs à un proche qui, à sa place, administra comme il put, c’est-à-dire, expédiant les affaires courantes. « Kaf » ne fit pas oublier René-Louis Legrand.
Ce fut ensuite autour de Jacques Baudin. Celui-ci fut ministre de la Justice, ministre des Affaires étrangères, et enfin ministre du tourisme. Maire de Diourbel, Jacques Baudin, diourbélois « pur jus » brilla par son manque d’initiative, même si l’on pouvait légitimement penser qu’avec de telles responsabilités au gouvernement, sa ville natale, bénéficierait d’un « traitement particulier ». Il est vrai que chef de la diplomatie sénégalaise, il eût l’excuse d’être souvent entre deux missions, voire deux sommets. Cependant, les diourbélois même s’il ne fit rien pour eux ne semblent pas lui en avoir gardé rancune comme nous le verrons plus loin.
Une deuxième femme politique, Aminata Tall eût l’honneur des suffrages des
Diourbélois après Fatoumata Kâ. On sait que cette dernière devait tout à Jean
Collin, numéro II du régime de A. Diouf. Mais, la singularité de Aminata Tall, elle, résida dans sa proximité avec le président de la République Abdoulaye Wade. Elle fût ministre d’état dans le premier gouvernement en 2000, ministre d’état, secrétaire générale de la présidence de la République puis de nouveau ministre dans les différents gouvernements formés entre 2000 et 2012. Lors de ce parcours exceptionnel, il y eut tout de même une petite parenthèse pendant laquelle Madame Tall fut absente du gouvernement parce qu’elle aspirait dit-on à être Premier Ministre, honneur que ne lui fit pas son mentor, Abdoulaye Wade. La brouille ne dura pas longtemps, elle réintégra très vite « la firme » avec ses grands boubous multicolores. L’élection présidentielle de 2012 approchant, en professionnelle de la politique, elle quitta le navire in extremis peu avant le naufrage. Mais, ce qui est sûr, c’est que Aminata Tall, maire de Diourbel, trônant dans les hautes sphères du pouvoir ne fit pas grand chose, elle non plus, pour sa ville dont la déliquescence se poursuivit jusqu’à la fin de son dernier mandat. Les diourbelois n’étant pas apparemment rancuniers puisque Jacques Baudin est actuellement maire de Diourbel pour la deuxième fois. Cependant, à la différence de son premier mandat, cette fois-ci, il n’est pas ministre. 4
Être maire de sa ville natale pour la deuxième fois de sa vie, après une éclipse, cela n’arrive pas tous les jours.
Tenez ! Lamine Guèye fut maire de Saint-Louis puis maire de Dakar mais il ne
fut jamais maire de sa ville natale, Médine, au Mali où il naquit. Pour Jacques
Baudin, c’est un immense honneur et une chance. Qu’à fait Jacques Baudin de ce deuxième mandat qui va arriver à son terme ? Je ne puis vous le dire. En tout cas, à en juger par le cri d’alarme lancé par la présidente, Marième Dabo, d’une association des ressortissants de Diourbel qui désespère de l’état de pauvreté et de délabrement de sa ville , si Jacques Baudin a fait quelque chose lors de ce second mandat, cela ne semble pas sauter aux yeux de ses habitants.
Ousmane Camara, Aminata Tall, Fatoumata Kâ, Jacques Baudin tous furent à des degrés divers au sommet des différents pouvoirs qui se succédèrent à la tête
du Sénégal.
Tous furent maires de Diourbel. Tous passèrent plus de temps dans leurs belles
résidences dakaroises au lieu de sillonner les rues poussiéreuses de leur cité à la rencontre de leurs administrés. Comme la plupart des élus sénégalais, leur vie se passe à Dakar où le climat est plus agréable que dans les rues chaudes de
Diourbel où il fait facilement entre 35 et 40° à l’ombre. Ces hommes et ces femmes ne profitèrent jamais de leurs positions politiques et gouvernementales pour moderniser leur ville, l’embellir en la dotant de nouvelles infrastructures ou d’établissements de prestige comme l’a fait la maire de Bambey, Aïda Mbodj qui est parvenue elle, à faire construire une université dans sa ville, petite agglomération alors que Diourbel était toute désignée, étant la capitale régionale. Je lui dis : Chapeau bas, Madame M’bodj !
La cité de Cheikh Ahmadou Bamba M’backé se meurt donc, victime de l’incurie, de l’égoïsme et de l’irresponsabilité de ses élus, au premier rang desquels ceux et celles qui en furent les maires. Aujourd’hui, Diourbel compte au nombre des villes où l’on compte le plus d’analphabètes au Sénégal. Diourbel
du fait de la pauvreté, est citée comme faisant partie des régions où les problèmes nutritionnels sont les plus aigus. Enfin, Diourbel ou sa région est frappée par un taux de pauvreté des plus élevés du Sénégal.
Et pourtant ! Pour le Sénégal, l’apport religieux et intellectuel de la cité de Sérigne Touba est incommensurable : les diourbelois peuvent à juste titre se montrer fiers d’avoir abrité dans leur ville, un des plus grands penseurs religieux de la fin du XIXéme siècle et du début du XXéme siècle . Cheikh Ahmadou Bamba M’backé demeure un des plus grands exégètes du Coran de tous les temps. Avec le mouridisme, Sérigne Touba fonda sans violence, à partir de Diourbel, la confrérie religieuse la plus importante et la plus prospère d’Afrique Noire. Ce n’est pas un hasard si le pouvoir colonial s’en prit à lui, en l’exilant au Gabon puis en Mauritanie pour finir en l’assignant à résidence à Diourbel jusqu’à son rappel à Dieu.
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Diourbel, il faut le rappeler, outre le fait qu’elle fut la pépinière de cadres de très haut niveau et ce dans tous les domaines dont l’énumération, ici, serait fastidieuse, produisit de nombreux scientifiques tels les docteurs : Moustapha Bâ, Ibrahima Malick Dia, Sidy Guissé, Samba Diop, Moustapha N’Diaye, des professeurs d’université : Ibrahima Bâ, Amady Aly Dieng, Babacar N’gom pour n’en citer que quelques uns. J’ai commencé cet article en évoquant la grande figure de Cheikh Ahmadou Bamba M’Backé dont le nom et le destin furent liés à la ville de Diourbel.
Il en est de même en ce qui concerne cet autre fils de Diourbel le grand savant
Cheikh Anta Diop qui passa sa jeunesse à Diourbel où il fut élève à la « fameuse école régionale ».
Cheikh Anta Diop qui, malgré une mise entre parenthèses par le régime socialiste de 1960 jusqu’à sa mort est aujourd’hui enseigné dans les universités d’Afrique, des États-Unis et un peu partout dans le monde.
Enfin, last but not least, Diourbel eût comme Premier magistrat, Mamadou Dia le premier chef de gouvernement du Sénégal indépendant, l’homme qui fit de Dakar, la capitale du Sénégal: c’est un honneur et une fierté. Alors si les Ousmane Camara, Fatoumata Kâ, Jacques Baudin et Aminata Tall ne marquèrent leur passage à la tête de la capitale du Baol que par
des bilans extrêmement négatifs, faits de décrépitude et surtout de pauvreté, nous gardons néanmoins le souvenir de l’éclat, la gloire et la prospérité d’autrefois qui faisaient que Diourbel était appelée « Ndiar Yéem », ce qui veut dire en ouolof « Que celui qui passe admire » ! Espérons que les jeunes diourbélois où qu’ils soient dans le monde aurons à cœur de tout faire pour contribuer à la renaissance de leur ville, au passé si glorieux.
Karim Fall,
Journaliste, ancien chef
des Informations de RTL-Paris,
Consultant, natif de Diourbel
Interessant texte!
vous avez raison de souligner l’inconscience de nos politiciens.
C’es pour cela que je considère que si l’Asie s’est développé et l’AFrique reste toujours pauvre, cela est du, en grande partie ,à nos politiciens qui ne sont pas très malins.
Esperons que la nouvelle génération soit plus intelligente.
En effet nous avons des maires ingrats qui ne pensent que à eux même. M.Fall vous avez bien tout ces choses merci encore une fois donc nous nous sommes maintenant conscient de la tournure des choses!!!!!!!!!
Tout ce qui est dit ou rappelé au début du texte est vrai mais est aussi en grande partie responsable de la situation de Diourbel : la religion à travers la confrérie du mouridisme et toute sa ferveur.
Ce qu’il faut à Diourbel avant tout, c’est moins de religion, plus d’éducation, plus de libertés et donc moins d’interdit.
Je pense que ces « grandes familles religieuses » qui étaient très bien traitées par les autorités locales et centrales portent aussi une responsabilité morale par rapport à la situation qui prévaut à Diourbel par ce qu’elles avaient le pouvoir de faire évoluer les choses en faveur de l’intérêt général mais, elles ont préféré les intérêts individuels et partisans et se sont toujours tues et dès fois partagées les butins.
Je ne suis pas entrain de faire votre procès à vous l’auteur mais ceci est mon point de vue.
Quel beau text.On ne peut pas ecrire sur cette ville »assassinee » par ses propres fils et filles d une
facon plus pedagogique.J,ai presque les larmes aux yeux en lisant ce texte.Je sais exactement de quoi ce Grand journaliste parle.Chers concitoyens N Diar Yeemois,L,heure de notre reveil a sonne depuis longtemps.Quand je me rappelle de ma tres belle jeunesse a NDiar Yeem qui fut notre grande fierte,je ne puis m;empecher de hair ces enciens petits maires.Merci Rene Louis Legrand,merci Mr Karim Fall MBayaar pour le texte.
bel article!
juste une précision à faire, Cheikh Bamba est entéré à Touba, et nom à Diourbel.
et merci encore
Ça se voit que si ts les fils de diourbel pense com vous?
Rien a dire