Le président français Emmanuel Macron vient de prononcer un discours (lundi 27 février 2023) que d’aucun qualifie de « refondateur », voir même « révolutionnaire » tant il semble donner un nouveau tournant dans les relations que la France entretient avec l’Afrique depuis les indépendances des années 1960.
Quoi de neuf dans le discours ?
Le président français rappelle son désir de mettre fin à la Françafrique (cette nébuleuse postcoloniale dans les relations entre gouvernants français et africains, incluant des entreprises et multinationales, basée sur une exploitation des richesses naturelles en Afrique, enrichissant les uns et les autres mais au grand détriment des populations qui s’appauvrissent de jour en jour). Il avait annoncé déjà en 2017, lors d’une visite au Burkina Faso (le fameux discours de Ouagadougou) que la « France n’aura plus de politique africaine ».
Ce nouveau discours sonne alors comme un rappel de la volonté déjà exprimée il y a cinq ans. L’ambition réaffirmée est ainsi de « clôturer un cycle de notre histoire en Afrique ». Le président français annonce une nouvelle stratégie pour ce qui concerne le dispositif sécuritaire hérité de la colonisation : les bases militaires françaises en Afrique ne seront certes pas démantelées mais désormais « transformées » et « cogérées avec nos partenaires africains » et les effectifs diminués de façon visible.
Par ailleurs, le président Macron exprime sa volonté de bâtir désormais avec l’Afrique une relation équilibrée, réciproque et responsable. Il a également dit faire preuve « d’une profonde humilité face à ce qui se joue sur le continent africain », « une situation sans précédent dans l’histoire » avec « une somme de défis vertigineux ». « Du défi sécuritaire climatique au défi démographique avec la jeunesse qui arrive et à laquelle il faut proposer un avenir pour chacun des États africains », énonce Emmanuel Macron qui ajoute vouloir « consolider des États et des administrations, investir massivement dans l’éducation, la santé, l’emploi, la formation, la transition énergétique ». Voilà grosso modo ce qu’il faut retenir du nouveau discours de rupture du président français dans les relations entre la France et l’Afrique.
Quels enseignements en tirer ?
Le ton moins paternaliste du discours du président Macron si humble et si empathique soit-il en apparence, est surtout réaliste, ne déparant en rien de la logique implacable qu’exprimait l’ancien président De Gaule dans l’approche des relations que la France entretient avec le reste du monde lorsqu’ il affirma que la « France n’a pas d’amis, elle a des intérêts ». Le contexte dans lequel intervient le discours est important. Le sentiment de méfiance voire de défiance des Africains à l’égard de la France n’a jamais été aussi fortement exprimé. Le rejet du paternalisme néocolonial français est parfois brutal et inattendu. Dans les faits, des pays anciennement sous le giron sécuritaire de l’ancien pays colonisateur, ont exprimé leurs souhaits de voir les militaires français quitter leurs territoires (Mali, Burkina Faso, Centrafrique).
Pour lutter contre le terrorisme qui sévit ici et qui a un lien indirect avec l’éclatement de la Libye (une responsabilité de la France qui a initié la chute de l’ancien président Khadafi et engendré le chaos libyen), ces pays préfèrent coopérer avec la Russie et surtout son agence de sécurité privée « Wagner ». Ce sentiment de rejet de la Françafrique avec tout ce qui le symbolise n’est pas irrationnel. On peut l’exprimer en plusieurs questions qui mettent en évidence de façon singulière les contradictions de la politique française en Afrique : comment vouloir conditionner la poursuite de la coopération avec les pays africains au respect des principes démocratiques tout en cautionnant, voire en parrainant des régimes sinon totalitaires, du moins autoritaires connus de tous dans le continent ? Comment condamner des coups d’États militaires et s’accommoder en même temps des coups d’États institutionnels, les troisièmes mandats ou mandats illimités obtenus au prix de manipulations des textes constitutionnels et de tripatouillages des processus électoraux ? Comment dénoncer l’émigration clandestine des jeunes africains en fermant les yeux sur les scandales de détournements de fonds publics par des dirigeants à qui l’on déroule si allègrement le tapis rouge sur les marches de l’Élysée ?
L’Afrique est dans une phase de transition démographique exponentielle avec une jeunesse largement majoritaire, mieux formée mais surtout plus informée à l’ère des réseaux sociaux qui concentrent aujourd’hui l’essentiel de l’information mondialement diffusée. Une image illustre et explique la colère de cette jeunesse africaine à l’endroit de la France : ces jeunes africains désespérés par la pauvreté, le chômage et tentés de prendre des embarcations de fortune pour risquer la mort dans la méditerrannée peuvent aussi aller sur les réseaux sociaux et y découvrir la vidéo montrant un ancien conseiller Afrique à l’Élysée avouer que c’est dans son bureau que transitaient les mallettes d’argent venant de chefs d’États africains et destinées à financer des partis politiques en France. Que peut-on attendre de cette jeunesse qui découvre cette information à la fois paradoxale et choquante, si ce ne sont colère et révolte ?
Pour espérer rendre crédible la nouvelle posture affichée par son président dans ses relations avec l’Afrique, la France devra faire face courageusement et sérieusement à ses propres contradictions. Sinon, les réminiscences d’un passé colonial douloureux et parfois traumatisant continueront à produire méfiance et défiance…
Ndiaga Loum, professeur titulaire, UQO
Titulaire de la Chaire Senghor de la Francophonie