Dans sa politique de lutte contre l’insécurité alimentaire, le Programme alimentaire mondial a acquis plus de 550 000 litres d’huile de palme de Malaisie, pour les populations démunies du Sénégal. Un arrêté ministériel taillé pour protéger le principal huilier du Sénégal, empêche que ce produit entre au pays. Au grand dam des bénéficiaires. Par Mohamed GUEYE
Chaque jour qui passe démontre, s’il en était encore besoin, à quel point le gouvernement est engagé dans la protection des privilèges de la Sunéor. Le dernier exemple en date nous vient du Port de Dakar, où est bloquée une bonne cargaison d’huile de palme raffinée, don du Programme alimentaire mondial (Pam) au Sénégal. Bien que la bonne qualité sanitaire de ce produit ait été prouvée par des analyses probantes, le gouvernement du Sénégal, par le biais des services du ministère du Commerce, a décidé de refuser le don, et par conséquent, l’entrée de ce produit sur le territoire national.
Propre à la consommation
Le prétexte est des plus faciles. Par son entregent et par ses appuis au plus haut sommet de l’Etat, la Sunéor est parvenue depuis le mois de septembre 2009, à faire passer un arrêté qui impose un pourcentage de 30% d’Acides gras saturés aux huiles de palme raffinées consommées sur le territoire sénégalais. Or, les spécialistes en la matière ont démontré que l’huile de palme raffinée ne peut descendre en-dessous de 50% de taux d’Acides gras saturés (Ags). Ce qui, selon ces spécialistes, n’altère en rien ses qualités nutritives, ou le faible niveau de son cholestérol, comparée à d’autres huiles végétales.
Cette marchandise était destinée par le Pam, à être distribuée gratuitement à des populations du Sénégal qui en ont grandement besoin. Il ne semble y avoir que les pouvoirs publics qui ignorent qu’une bonne partie de leurs concitoyens vit dans les limites de la pauvreté. Mais, si elles s’offusquent de voir le Sénégal aligné dans le rang des pays souffrants, sinon de famine, du moins d’insécurité alimentaire, les autorités ne sont pas gênées de voir des organisations comme le Pam ou l’Unicef fournir des aliments gratuits dans certaines zones rurales ou semi-urbaines du pays. Mais même ces dons, on vient de le voir, ne doivent pas gêner certains intérêts financiers, qui sont plus importants que les besoins de survie de certaines populations.
Au bureau dakarois du Pam, le service de communication indique que l’organisation est en pourparlers avec le gouvernement du Sénégal. La responsable précise : «Le don consiste en 555 tonnes d’huile, réparties dans 25 conteneurs, et se trouve au port de Dakar. C’est de l’huile de palme, venue de Malaisie. Il s’agit d’un produit propre à la consommation, comme l’ont démontré toutes les analyses que nous avons faites. L’huile ne présente aucun danger pour les consommateurs.»
S’agissant du refus d’entrée au produit, la responsable estime que la commande de l’huile avait été faite avant l’entrée en vigueur de l’arrêté ministériel imposant le nouveau taux d’Ags. Néanmoins, elle répète que le produit est propre à la consommation. Seulement, si le gouvernement persiste à lui refuser l’entrée, le Pam va étudier les modalités pour l’envoyer dans d’autres pays d’Afrique. Le nom du Niger a même été avancé comme destination alternative.
Qui protège la Sunéor ?
Cette interdiction d’entrée, présentée comme une mesure préventive de santé publique, vise en réalité, comme l’ont plusieurs fois dénoncé les commerçants et les consuméristes, à écarter des concurrents sérieux, dont l’activité sur le marché gêne énormément la Sunéor.
L’un des derniers épisodes de cette guerre sans merci que cette huilerie veut mener à la concurrence locale, est la fermeture des installations du conditionneur d’huile de palme, West African commodities (Waf) (voir Le Quotidien n°2149 du jeudi 11 mars 2010). Cette société, à capitaux entièrement sénégalais, qui emploie plus de 200 responsables de famille, est empêchée de travailler, sous prétexte qu’elle importe de l’huile de Côte d’Ivoire. Il est vrai que l’activité représente un chiffre d’affaires de près de 30 milliards par an. Ce gros marché, dont elle se sent exclue, la Sunéor veut le casser, alors qu’elle ne parvient pas à payer son quota d’arachide, malgré la subvention de l’Etat à l’achat aux producteurs. Cette entreprise, qui ne vend pas son huile d’arachide sur le marché national, importe également de l’huile végétale, dont elle force les consommateurs sénégalais à se nourrir. Et elle parle de protection de la filière arachide du Sénégal !
Déjà, en février 2006 (Le Quotidien n°950), Madani Tall, à l’époque, directeur des opérations de la Banque mondiale pour le Sénégal, s’interrogeait sur les appuis de la Sunéor, qui lui permettaient de faire prendre des décisions à l’encontre des intérêts nationaux. La question est toujours à l’ordre du jour.