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Dr Hamidou Dia ou le parcours singulier d’un intellectuel atypique : « La pensée est devenue servile et serve au Sénégal…, il y a beaucoup de Janus »

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Assis sur un fauteuil cuir de couleur marron clair avec comme compagnons des rayons de livres, une grande table de conférence sur laquelle sont posés ordinateur et toujours des livres, et au mur des photos avec Césaire, Senghor, Wade, Diouf, Benaissa, Soyinka, Sembène, Cheikh Hamidou Kane, Adotevi, etc. C’est que le professeur connaît personnellement la plupart des grands noms des hommes et femmes illustres du monde noir et son carnet d’adresse est prodigieux. M. Hamidou Dia nous a reçus dans son domicile sis à Liberté VI, extension. Des verres correcteurs cachent les yeux pétillants d’intelligence de ce bout d’homme dont la liberté traverse le discours. A le voir agiter des concepts philosophiques, sociologiques, bref des vocables des Humanités, on sent que l’activité de l’enfant de Diaranguel dans le département de Podor repose sur l’exercice de l’intelligence. En effet, cet ancien militant d’Aj/Mrdn s’est engagé dans la sphère publique pour faire part de ses analyses, de ses points de vue sur les sujets les plus variés ou pour défendre des valeurs. Et cela, parce que disposant de l’autorité du peul en général et de ses pairs en particulier. Enseignant, Philosophe, Ecrivain, Citoyen d’Honneur de la ville natale de LS Senghor : Joal-Fadiouth, Lauréat du Jasmin d’or de la poésie francophone, Hamidou Dia, devenu conseiller du président de la République en matière de culture depuis avril 2009, est un intellectuel de haut niveau qui agace parfois l’opposition par ses sorties médiatiques et qui énerve le pouvoir pour son courage à crever l’abcès, « en disant au Prince, la vérité, ce qui est bon le peuple ».

Intellectuel solitaire, il est incontestablement un membre majeur de l’intelligentsia sénégalaise par son style particulier et inimitable, ses idées originales, sa vaste culture : ses propos, ses formules et beaucoup de ses idées font l’objet de réitération par les intellectuels, les politiques et même les journalistes, à telle enseigne qu’on voit souvent à tort sa ma main derrière certains discours. Il ne s’en émeut pas outre mesure pensant que les idées sont faites pour être partagées.

Bardé de diplômes. M. Dia est Docteur en littérature française (PH. D.) sorti de l’Université Laval Québec, Canada, 1995, avec cette spécificité : « 1er Prix d’Excellence pour la meilleure thèse de doctorat de l’Université Laval, 1994-1995), Diplômé d’Études Approfondies de Sociologie : Sociologie du développement, de la Connaissance et des Idéologies et du développement (Paris VII, Jussieu), 1980, Maîtrise de philosophie, mention Très Bien à l’Université de Dakar, 1979, Lauréat du Capes de Philosophie (Paris), Licence ès lettres d’enseignement, Université Lyon III 1984, Licence conditionnelle en droit public (Saint-Etienne, 1984)… Ecrivain prolixe ces textes ont été proposés au baccalauréat), il a, à son actif, beaucoup de monographies : Les sanglots de L’Espoir : roman Édition l’Harmattan Paris 1987 (Sélectionné pour le Grand prix des LETTRES 1990) ; Le serment : nouvelle Actuel Paris 1987, Koumbi Saleh ou les pâturages du ciel poésie, N.E.A.S, Dakar, 1993, (Sélectionné pour le Grand prix des LETTRES 1993) ; les remparts de la mémoire, Présence africaine, 1999 ; Poètes d’Afrique et des Antilles, anthologie, la table ronde, 2002 ; Poésie africaine et engament, essai, édition Accoria, 2004 ; L’écho des jours, éditions silex 2008 ; Fanon/David Diop : biographie de deux figures de la littérature et de la résistance africaine, Jonction, P.A, 1981 ; Introduction à la littérature négro -africaine : Jonction Paris, 1983, Boubacar Boris Diop : Le mendiant du souvenir, revue Éthiopiques de L.S. Senghor 1990 ; Identités et différences, Chroniques sahéliennes, revue Échanges, Dakar, 1991 ; Les Enjeux de la problématique de la philosophie africaine, le Soleil, en deux livraisons, octobre 1980 ; Essai de lecture narratologique de « Le Temps de Tamango », de Boubacar Boris Diop, CAEC, Dakar, 1993 ; etc.

C’est cet homme atypique au palmarès riche qui s’est confié à Ferloo pour décortiquer le « Mal Sénégalais », analyser des concepts politiques comme la Démocratie et la République, souventes fois confondues par certains occupants de l’espace médiatique. Sans détour, ni langue de bois. Il n’a pas omis de se prononcer sur la situation politique au Sénégal, en Guinée et ailleurs en Afrique… Entretien.

M. Dia, « le mal sénégalais » revient souvent dans vos discours. Qu’est-ce que vous entendez par ces vocables ?

Ecoutez, cela veut dire que nous ne faisons pas suffisamment attention aux lignes de fracture qui traversent notre société dont la face très visible est l’affaissement éthique dont on ne parle que pour mieux l’occulter. Tout le monde encense la vertu pour allègrement s’adonner aux vices. Quand je dis vice, je ne connote pas le mot sexuellement, je pense surtout à tout ce qui est producteur de contre-valeurs, de contre-modèles. L’affaissement c’est aussi la perte de sens ; des repères qui bougent ; des signes qui deviennent opaques – une culture s’apprécie par la vitalité de ses signes – nous installant dans une sorte d’hybridité identitaire. Il y a deux manières de se perdre disait le Cailcédrat royal : « par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’universel ». Nous ne sommes pas totalement occidentaux ni totalement africains. Nous sommes l’un ou l’autre en fonction de nos intérêts du moment. Ce qui fait que les élites aujourd’hui ont démissionné malgré la vocifération rhétorique et les gesticulations théoriques. Notre Pays ne mérite pas d’être laissé en déréliction par la faillite de ses élites. De toutes ses élites : politiques, intellectuelles, religieuses, etc. Or et hélas, la pensée dans notre pays, souvent fourbe, est serve. Serve de l’argent, de l’ambition personnelle, duplice, versatile, velléitaire, incapable d’aller au bout de ce qu’elle pense. Grandiloquente aussi pour mieux occulter sa vacuité qu’une vaine rhétorique essaie de masquer : « je ne pense pas un traître mot de ce que je dis, l’essentiel est que le Prince se dise voilà quelqu’un qui me défend qui a compris ma vision (jamais précisée du reste) peut être serais-je récompensé et pourquoi pas par un poste ministériel ou par toute autre sinécure ? ». Ou « elle est bien tournée ma petite phrase assassine, violente ma diatribe ; peut-être que le Prince pour fermer ma grande gueule, essaierait _ il de me faire taire par quelques espèces sonnantes et trébuchantes ou que je serais perçu comme un patriote intransigeant, flamboyant alors même que je ne dédaigne pas les « enveloppes » de ceux que je vilipende ; « enveloppes » qu’il m’arrive même de solliciter dans le secret des cabinets. Il y a dans ce pays un renoncement philosophique sans précédent sur fond de brouillage de repères axiologiques. On peut en indiquer quelques symptômes.

Lesquels ?

D’abord la duplicité, le double langage : le triomphe de Janus. Ensuite, l’asservissement de la pensée. La pensée est devenue servile et serve. Captive de toute manière. De quelque manière. Puis la pensée unique à double facette également : celle du Pouvoir et celle de l’Opposition. On a l’impression qu’il y a des lieux où on délivre des certificats de « bonne-pensance ». J’ignore leurs adresses pour « mon malheur ».

Vous pensez aux parangons de la vertu qui ne sont pas si vertueux que cela…

Oui. Il y a aussi cette montée vertigineuse des ambitions personnelles (et la course pour l’enrichissement facile) que l’on ne perçoit qu’en termes de conflit avec l’ambition collective. Or, les deux ambitions ne devraient pas être en conflit : On peut se donner comme ambition personnelle celle de servir son pays l’intérêt général. L’ambition est de toute façon le ressort de l’action et non pas la raison.

A quoi pensez-vous en disant cela ?

Je pense que nous tous qui nous disons citoyens (terme dont je me méfie parce que galvaudé et devenu cliché) ou intellectuel (j’en suis revenu également : est intellectuel celui qui s’en réclame et les vaches sont bien gardées..), nous avons ou devrions avoir comme unique parti et comme unique boussole l’intérêt de notre pays, de notre continent. Il est certain que ce faisant, nous arriverions à des consensus très forts sans lesquels aucune construction nationale n’est possible. Je rappelle toujours que la démocratie grecque qui n’est pas si exemplaire que cela (parce que les métèques, les esclaves, les femmes et la plèbe ne se votent pas), avait posé deux principes qui sont importants. Le 1er c’est celui de la stasi (débat contradictoire sain sans que ce débat ne soit le lieu d’une polémicité quelconque, mais simplement de « l’adversité ». Se dire Nous voulons tous la même chose, mais ne sommes pas d’accord sur les voies d’y accéder. Ce qui fait qu’il n’y a anathème ou exclusive.

Le 2ème principe c’est le consensus. C’est-à-dire les points fondamentaux sur lesquels tout le monde s’entend ou devrait s’entendre (intégrité de la république et du territoire entre autres). Dans notre champ politique nous délaissons la politique ou au sens noble (Politike, organisation harmonieuse et juste de la Cité) au profit de ce que Senghor a appelé la politique politicienne ou « politichienne » comme le dit De Gaulle, faite de manœuvres obliques, de ruses démoniaques, de coups tordus pour d’intérêts sordides et inavouables. Avec, à coups d’arguments controuvés, une grande capacité de nuisance. C’est pourquoi d’ailleurs nos élites ne disent pas ce qu’elles et ne pensent pas ce qu’elles disent. Or même si nous ne sommes pas obligés de tout dire, nous sommes quand même, quand nous prenons la parole, tenus de dire ce que nous pensons et surtout de penser ce que nous disons, Donc, c’est ce qui a cours ici. Le 2ème exemple, c’est la juxtaposition des débats parallèles.

C’est-à-dire ?

Les gens n’échangent pas. Chacune est persuadée de détenir la Science infuse et possède la vérité avec grand V. Ce qui crée une sorte de terrorisme intellectuel où celui qui ne pense pas comme moi ne pense pas. Celui qui n’est avec moi est contre moi. Par conséquent, il y a un non-débat parce que prisonnier de goulag. Ce qui fait que ceux qui pensent que la pensée ne se délègue pas que la pensée n’est responsable que devant elle-même sont souvent à contre-courant faisant l’objet d’un rejet par les autres parce qu’on a pris la détestable habitude de prêter aux autres ses propres turpitudes. Cela est parfaitement en contradiction avec la perception africaine de l’altérité (respect de l’autre dans sa totale dignité par opposition à la tolérance promue par l’humanisme occidental), alors qu’il y a une certaine condescendance dans ce concept tolérance ; tolérer, c’est supporter. Exemple : Tu dis des conneries mais comme je suis tolérant je permette que tu le dises. Et cela est confondu souvent à être démocrate alors que ces deux termes ne sont pas interchangeables. La démocratie ne se divise pas : on est ou on est pas démocrate. Il y a aussi cette confusion politico-idéologique qui fait que les concepts ne sont pas utilisés dans toute leur rigueur. Exemple : Tout le monde a, à la bouche, les mots République et Démocratie. Mais qu’est-ce que la République et qu’est-ce la Démocratie ?

Je vous retourne la question.

La République c’est un ensemble d’institutions auxquelles on ne doit pas toucher et qui est donc un socle dont la défense est un devoir. La Démocratie est un principe et non une institution. C’est ce qui lui donne force et vitalité. C’est le respect du peuple comme seul souverain. Ce qui veut dire que tous ceux qui nous dirigent ne sont pas des magistrats, mais des ministres, donc, des serviteurs du peuple.

Justement que renferment ces concepts de magistère et de ministère ?

Un magistère c’est celui qui exerce la souveraineté. Il vient de Magnus qui signifie Maître ou Grand alors que ministère vient de minus et est synonyme de petit. Et cela pour dire que c’est le peuple qui est le seul Maître (après Dieu) et ceux qu’il élit sont ses serviteurs qui ne tirent sur leur légitimité que par cette élection. Ils ont un mandat dont ils doivent rendre compte : un mandataire ne peut outrepasser les directives de son mandant. Idem pour le Président de la République. Ce qui n’est pas le cas du gouvernement (qui est nommé) ni de la Magistrature que l’on appelle abusivement Pouvoir judiciaire. Or, n’étant pas élu, les Magistrats n’ont aucun pouvoir légitime. On devient parler stricto sensu d’Autorité judiciaire.

L’autre incompréhension, c’est la notion du peuple. Le peuple est une construction intellectuelle caractérisée par le passage de l’individualité à la citoyenneté, donc du particulier à l’universel. C’est pourquoi, Césaire dénonçant « cette foule bavarde et muette, étonnamment passée à côté de son cri…, cette foule qui ne veut se faire peuple ». Je pose une question : Au Sénégal, sommes-nous en face d’un peuple ou de populations malgré l’avancée certaine de la citoyenneté ? Des gens qui sont soucieux d’avoir une pensée libre, d’assumer leur citoyenneté sans mentor ni gourou – il en existe, mais ils sont rares – sont atypiques dans nos sociétés. Nietszche disait que « le service de la vérité est le plus dur des services » parce qu’elle advient dans l’incompréhension, dans le scandale et parce qu’elle est par essence subversive ». C’est pourquoi, on dit que seule la vérité est révolutionnaire au sens de bouleversement radical.

Rapporté à votre personne, avez-vous déjà vécu cette situation ?

Oui, j’ai le sentiment profond que toute pensée véritable est d’emblée suspecte et créée par conséquent des animosités, des interprétations qui n’ont pas lieu d’être parce que la vérité est à, elle-même, son propre signe. Elle se désigne, elle-même « verum index sui », comme le dit Spinoza. Et comme le philosophe antique je considère que toute vérité est ma vérité, de quelque lieu d’où elle est proférée.

Est-ce à dire que vous avez eu écho de la rumeur faisant de vous un socialiste, puis un transhumant vers les prairies « bleues » du Pds ?

D’abord une remarque au passage : je suis malheureux de l’usage négativement imagé de ce vocable quand je pense aux bovins de mon terroir. Et puis, le peulh qui je suis est malheureux de cette insulte aux troupeaux de mon payse dont la pérégrination vitale a fini par désigner, dans le champ politique, des pratiques indignes et condamnables. Ceci étant, oui, j’ai certainement eu connaissance de cette rumeur qui n’en est même pas une, parce que discutée dans certains salons climatisés où l’on délivre les brevets de bonne conduite. En réalité, cette classification gauche/droite, libéral/socialiste…, n’a plus ni sa pertinence ni sa consistance d’antan. Et il me semble qu’au-delà de cette classification commode que chacun doit faire en conscience ce qui lui paraît juste si tant est que ce qu’il fait est conforme aux intérêts de son pays. De surcroît, « conseiller », le Président de la République ce n’est pas forcément être un courtisan, un thuriféraire. C’est une mauvaise conception du rôle de conseiller. Conseiller le Prince ce n’est pas lui dire qu’il est un nouveau Dieu il ne vous croirait pas mais lui dire ses convictions, ce qui paraît utile pour le pays ; lui dire ce qu’on croit être juste, vrai, même si on se trompe : un Prince éclairé peut être « offusqué » par ce genre de Conseilleur, mais l’appréciera en son for intérieur, plus que les flagorneurs, plus que le Conseiller larbin, duplice et dissimulateur. Si le Prince en tire profit, c’est tant mieux. S’il n’en tire pas profit c’est fort regrettable. Il est toujours mieux de dire : « je l’avais dit que de dire je le savais ». Toutes les positions publiques que j’ai prises témoignent de cette attitude.

Ah bon ?

Relisez mes chroniques. Il faut dire qu’au Sénégal, les transhumants au sens de ceux qui se promènent entre les partis, c’est la règle.

C’est-à-dire ?

Je dis rares sont ceux qui n’ont pas transhumé au Sénégal, actuellement. Et comme le dit le diable boiteux : « la trahison est une question de date ». En plus des socialistes qui sont avec Wade aujourd’hui, beaucoup de leaders de l’opposition actuelle étaient en 2000 avec Wade. C’est une curiosité sénégalaise : les anciens affidés, compagnons et partisans du Président de la République, pour des raisons honorables pour certains et calculatrices pour d’autres, par une sorte de dépit amoureux, sont aujourd’hui les opposants les plus virulents ; les contempteurs d’hier sont ses partisans frénétiques. Ceci dit, changer d’avis en soi n’est pas détestable, mais c’est faire semblant de changer d’avis pour bénéficier des largesses du Prince qui l’est. Une pensée ne doit pas être figée, sinon elle est atteinte de sclérose et à terme, elle meurt.

En employant le mot Prince, ne donnez-vous pas du Sénégal et de son président de la République l’image d’un pays sous la gestion d’un despote ?

Non, je parle du Prince au sens ou Machiavel l’emploie, donc de « Condottière » (conducteur) et non pas de tyran, figure séculière de l’Antéchrist.

Justement, et à propos de votre transhumance ?

Parler de transhumance suppose quitter un parti pour un autre. Ce qui n’est pas mon cas. Le serait–il qui oserait, dans l’intimité de sa conscience, exceptés ceux qui sont restés dans le PS, me jeter la pierre ? Le seul parti auquel j’ai jamais appartenu, avec beaucoup de gens de ma génération, c’est Aj/Mrdn.

« Aujourd’hui, le Sénégal est à la croisée des chemins », dit-on. Que vous inspire cela ?

Effectivement, le Sénégal est à la croisée des chemins (je l’ai déjà dit dans une tribune que vous avez publiée) parce que nous sommes à l’orée de la fermeture dune longue séquence historique ouverte par Blaise Diagne en 1914 et que l’actuel Président de la République va clôturer. C’est pourquoi, il me semble que le débat eut été plus fécond s’il eût été porté sur une réflexion approfondie concernant l’étape suivante qui sera caractérisée par la fin d’homme providentiel, la fin de l’Etat Providence et de l’exercice sans partage du pouvoir. Abdoulaye Wade sera le devenir Président qui aura participé aux luttes anticoloniales. Le prochain Président de la République quel que soit son âge devait être adolescent ou garçonnet en 1960, s’il était déjà né. Si nous ne réfléchissons pas maintenant sur ces questions, nous contentant répéter à satiété « tout sauf Wade » nous courons le risque d’élire un Mademba paré de toutes les vertus au début pour être ensuite voué aux gémonies.

Votre dernière hypothèse laisse libre à penser à Macky Sall, Karim Wade, Talla Sylla, Cheikh Tidiane Gadio, Bamba Diéye, Idrissa Seck… Qui parmi eux, est le meilleur profil ?

Je n’ai aucune animosité personnelle contre les gens que tu as cités et que je respecte, y compris Karim Wade qui est l’objet de tous les opprobres, parce que je sais qu’ils font un métier très ingrat, très éprouvant, mais noble et exaltant. Je ne fais pas donc pas partie de ceux dénigrent les politiciens de quelque chose bord qu’ils soient. C’est dur d’endurer ce qu’ils endurent stoïquement. C’est pourquoi mon attitude fait l’objet de beaucoup d’incompréhensions. Je ne me fixe aucune restriction mentale. Je n’ai pas de sens interdit. Je parle avec les uns et les autres et je le ferais aussi longtemps qu’ils le voudront bien. J’échange avec eux car le peuple seul sait (après Dieu) qui va être le futur président, je ne m’aventurerais pas sur le terrain des pronostics où je n’ai aucune compétence, ni prédire qui sera le prochain président avant que le peuple souverain ne se soit prononcé. Mais il est bon de connaître les prétendants pour mieux comprendre leur vision, leur projet, leur qualité et leur défaut pour que le moment venu, le vote soit éclairé…, qu’il ne soit pas aveugle.

Vous avez parlé plus haut de salons où des certificats de bonne conscience sont décernés. Vous pensez à qui ?

Je pense à une bonne frange d’intellectuels -je ne parle pas des prédateurs- qui préfèrent les discussions d’alcôve où la position du spectateur qui compte les coups au lieu de se jeter dans l’arène politique ou dans le débat public. Cela me paraît très confortable et irresponsable. Et vous qui tenez les journaux en ligne en savez quelque chose à travers vos fora où des gens se cachent courageusement derrière leur anonymat pour insulter les gens sans élaborer une pensée positive, constructive, alternative, à verser au débat national.

2010 c’est le cinquantenaire de 17 pays de l’Afrique noire. Quel regard jetez-vous cette séquence historique ?

Ben, j’ai un point de vue un peu mitigé sur le bilan du cinquantenaire de notre accession à la souveraineté internationale parce que je me dis…, je n’ose pas parler de malédiction puisque le mot serait trop fort, mais comme Shakespeare, je me dis « qu’il y a quelque chose de pourri au Royaume de Danemark ». En 1960, pour prendre les exemples du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, nous étions mieux lotis en termes de ressources naturelles et humaines et de la clémence naturelle (un milieu naturel moins hostile) que des pays comme la Corée du Sud, la Malaisie ou même plus proche de nous, la Tunisie. Mais aujourd’hui qui, de bonne foi, ose comparer le Sénégal avec la Corée du Sud ou certains pays de l’Asie.

A quoi cela est-il dû ?

Peut-être à la manière dont nos indépendances ont été négociées. L’indépendance ne s’octroie pas, elle se conquiert. Devant la montée des périls asiatiques, des périls nord africains, notamment la guerre d’Algérie, le Général De Gaulle a eu l’intelligence de décoloniser à tout va pourvu que la France ne perde pas ses intérêts. On a même donné l’indépendance à des pays qui n’en voulaient pas : le Gabon de Léon M’BA, le Congo de Philibert Youlou et surtout la Côte d’Ivoire d’Houphouët Boigny qui, à cette occasion a déclaré en substance : « J’étais comme une fiancée seule sur le parvis de l’église avec ses fleurs… » il était venu pour le mariage, il a trouvé le divorce !

M. Dia, est-ce donc à dire que vous partagez donc la conviction de René Dumont qui disait à l’époque des indépendances que « l’Afrique noire est mal partie » ?

Ecoutez, je dois reconnaître sans faire preuve de masochisme que l’Afrique n’est pas partie d’un bon pas à cause des indépendances biaisées et des élites extraverties, de la balkanisation et de son incapacité à se regrouper conformément au rêve de Nkwame Nkrumah. Oui, l’Afrique noire est mal partie également parce qu’on n’a pas repensé en profondeur, exception faite de la parenthèse Mamadou Dia, à quel type de défis nous étions confrontés, quelle économie mettre en place… En somme, nous n’avions pas pensé à un développement autocentré pour reprendre Samir Amin. Le Sénégal, jusqu’au milieu des années 70, avait l’essentiel de son économie concentré aux mains de la bourgeoisie compradore : Gallenca, Manuel & Prom, Devez & Chaumet… Pendant longtemps, les Français, avec leurs auxiliaires locaux, étaient maîtres de l’économie sénégalaise (voir le livre de feu Saly Ndongo : « Les maîtres du Sénégal ») et les efforts de Senghor de créer une bourgeoisie nationale quand Babacar Bâ était tout puissant ministre des Finances avec l’Uniges et le Cofiges n’ont pas abouti. Nous aurions dû être au même niveau que le Maroc, la Corée du Sud, la Tunisie, la Malaisie…hélas !

2010, c’est aussi une année d’élections en Afrique avec son lot de risques en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Niger, au Bénin…

La question électorale en Afrique est malheureusement une question tragique. J’ai déjà dit que l’Afrique est apparemment un continent voué à toutes les calamités (naturelles et politiques) parce que nous n’arrivons pas encore à avoir chez nous des démocraties apaisées même si nous nous gargarisons du syntagme. Mais malgré cela, je pense quand même qu’il n’y a pas lieu de désespérer. Malgré les convulsions, les révolutions, je pense que la démocratie avance. C’est aussi dans les guerres, les convulsions, les révolutions et même les guerres civiles que les démocraties occidentales sont arrivées à maturité.

Quant à la situation de la Guinée, elle m’émeut particulièrement. Nous appartenons à la même culture, à la même civilisation. C’est notre voisin. C’est un pays qui a beaucoup de cadres de haute volée, d’immenses ressources minières, mais qui, depuis 1958, vit dans la tragédie. D’abord du fait de la manière très inélégante dont la France a abandonné la Guinée qui n’a pas fait sécession mais qui a pris son indépendance et dont le leader charismatique qui était Sékou Touré s’est transformé progressivement en tyran en gouvernant par la terreur avec une politique économique et éducative catastrophique, la liquidation de ses cadres conduisant plusieurs millions de Guinéens à l’extérieur après l’arrivée des militaires au pouvoir avec Lansana Conté. En somme, un pays qui, depuis 62 ans, n’a pas connu d’élections libres et démocratiques et qui semble, présentement, n’avoir pas exorcisé tous ses vieux démons. Par contre, je souhaite que la Guinée avec l’aide de pays africains puissent surmonter ces épreuves pour occuper toute sa place – qui est grande – au sein de notre continent. Le peuple guinéen est un peuple vaillant et courageux qui trouvera toutes les ressources pour sortir victorieusement de sa nouvelle épreuve.

Quid de la Côte d’Ivoire, du Bénin, du Niger…

C’est pareil. Il y a partout la conjugaison des signes avant-coureurs d’un avis de tempête y compris chez nous.

Justement, au Sénégal, la rumeur est forte : « Wade veut imposer son fils, et procéder à une dévolution monarchique du pouvoir ». Qu’en pensez-vous ?

Il est manifeste pour tout Sénégalais honnête avec lui-même qu’il y a au Sénégal une montée des périls et que nous nous acheminons vers des situations inédites, mais qui ne sont pas inéluctables si nous tous nous prenions nos responsabilités historiques.

En quoi faisant ?

En ayant le Souci du pays, la Querelle de notre peuple, que sa pérennité, sa cohésion constituent notre principale préoccupation au-delà des intérêts partisans qui sont légitimes. Il faut que nous prenions conscience que ce qui se joue c’est l’avenir de notre pays qui est le seul parti auquel nous appartenons tous. Il faut apaiser les querelles souvent stériles, se déprendre de la fascination du Fauteuil, avoir une gouvernance encore plus vertueuse et réfléchir ensemble aux solutions les plus fécondes. Lucidement et sans passion. Comme je dis quand dans un débat, la passion entre par la porte, la raison en sort par la fenêtre. Il faut laisser tomber nos petites ruses, nos petites manœuvres, nos petites combinaisons pour n’être habités que par la Querelle de notre Peuple. Que ce souci soit en nous « comme l’écharde dans la blessure, comme un fétiche tutélaire au centre du village » que notre bouche soit « les lèvres de sa plaie » et nos genoux « les colonnes brisées de son abaissement » ; que nos cœurs et nos têtes « se rejoignent dans la ligne droite du combat » convaincus que nous savons « qu’il n’ y a pas de jour où quelque part ne naisse l’été ». Ici encore, nos élites, toutes nos élites politiques, intellectuelles et religieuses sont devant leurs responsabilités, face à l’Histoire.

Ferloo.com

1 COMMENTAIRE

  1. Un grand BRAVO, professeur!!!!!!!

    Je souhaite que cet article soit lu par le monde entier, afin que le monde entier realise enfin et comprenne qu’il ne devrait exister en effet qu’un SEUL PARTI, « PARTI DU PEUPLE »!!!!

    Nous sommes la pour SERVIR LE PEUPLE ET NON PAS POUR S’EN SERVIR….

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