Après avoir parcouru les titres des journaux avant-hier matin, je ne pouvais m’empêcher, en tant qu’ancien PCA de Sonacos SA, CT1 du Ministère de l’Agriculture et de l’Équipement Rural, Président de la Commission Ad hoc pour l’élaboration du Protocole État/Huiliers, Inspecteur Principal de Classe Exceptionnelle de la Coopération, d’exprimer ma stupéfaction face à certaines décisions et politiques que vous projetez de prendre ou de conduire, telles qu’annoncées dans Le Soleil de ce mercredi 23 octobre 2024.
Puisque je me considère comme un militant de la cause de l’agriculture sénégalaise, et par devoir de veille et d’alerte, je ne pouvais manquer de vous exprimer, en tant que premier responsable chargé de conduire la politique du Gouvernement en la matière, mon point de vue critique sur certaines questions importantes que vous soulevez.
Je n’ai pas la prétention de détenir la vérité, mais je souhaite attirer votre attention sur la gravité des mesures et politiques que vous envisagez de prendre, ainsi que sur les conséquences potentiellement très fâcheuses qui pourraient en découler.
- La prise d’un arrêté pour interdire l’exportation de l’arachide brute.
Cette mesure est salutaire sur le plan stratégique pour notre pays. C’est ce que j’ai toujours réclamé et défendu ; tous les acteurs de la filière peuvent en témoigner, ainsi qu’une partie de la presse qui suit les questions relatives à notre agriculture. Toutefois, du point de vue de sa mise en œuvre, l’interdiction de l’exportation de l’arachide brute nécessite qu’un certain nombre de conditions préalables soient réunies, ainsi qu’une période de transition nécessaire. J’y reviendrai plus loin.
Sur un plan strictement légal, l’exportation des graines d’arachide est régie non pas par un arrêté ministériel, mais par un décret, plus précisément le Décret n° 2010-15 du 13 janvier 2010, portant libéralisation de l’exportation des arachides. Ce décret a été pris par le Président Abdoulaye Wade. Donc, à moins d’abroger ce décret 2010-15, vous ne pourrez pas prendre un arrêté d’interdiction de l’exportation de l’arachide brute. Il faut aussi noter que le ministère compétent en matière de commerce intérieur et extérieur au Sénégal est celui chargé du commerce.
Pour simplifier et éviter des conflits de compétences entre ministères, tout en respectant le parallélisme des formes, vous pourriez demander au Président de la République de prendre un décret abrogeant et remplaçant le décret 2010-15.
- De l’interdiction immédiate de l’exportation de l’arachide brute.
Cette mesure, au risque de me répéter, est stratégiquement justifiée et je la soutiens fortement. Elle nous permettra de transformer localement l’arachide, de renforcer les industries de transformation comme Sonacos SA, Copéol, les transformateurs artisanaux de Touba regroupés dans le Rasiat, etc. Elle générera également plus de valeur ajoutée et de croissance pour notre économie, créera plus d’emplois décents pour nos jeunes, et permettra aux Sénégalais de consommer la deuxième meilleure huile du monde après l’huile d’olive. Cependant, tout cela ne sera possible que si nous avons une production d’arachide suffisante et de qualité pour satisfaire l’ensemble de la demande de la filière.
Cette production repose principalement sur les exploitations familiales et les gros producteurs. Pour les inciter à produire plus et mieux, il est essentiel d’avoir des prix attractifs et rémunérateurs sur le marché national. Les producteurs, qui représentent plus de 4 millions de personnes, forment la base de la filière ; si cette base s’effondre, tout s’écroulera. Les autres acteurs de la filière, tels que les semenciers, les transporteurs, les OPS, les fournisseurs d’engrais, les huiliers, les transformateurs artisanaux, les exportateurs de graines, les commerçants, etc., en dépendent également.
Actuellement, la demande la plus forte pour l’arachide provient des exportateurs, principalement les « Chinois », qui achètent les graines pour les commercialiser en Chine. Les quantités collectées par ces exportateurs oscillent chaque année entre 350 000 et 500 000 tonnes, tandis que l’ensemble des huiliers et transformateurs artisanaux peine à collecter 100 000 tonnes par an.
Si nous interdisons brutalement l’exportation des graines d’arachide brute, cela pourrait entraîner un effondrement immédiat des prix sur le marché national, car la demande des exportateurs, qui est la plus importante en quantité et en valeur, disparaîtrait. Cette offre excédentaire entraînerait des spéculations à la baisse sur les marchés ruraux, générant des phénomènes déjà connus comme le mbapatt (achats hors des circuits officiels avec dumping) et les bons impayés, ce qui conduirait à une baisse drastique des revenus des producteurs et à une désaffection de la culture de l’arachide dans les années à venir.
C’est pourquoi, dans l’intérêt de la filière arachide et de l’intérêt national, il est impératif d’éviter toute précipitation. Il est nécessaire d’organiser une réflexion nationale inclusive et participative sur les mesures à prendre, en impliquant tous les acteurs de la filière, les experts et les partenaires nationaux et internationaux, notamment la Chine, premier producteur et consommateur mondial d’arachides.
À cela s’ajoute la question cruciale du financement de la commercialisation de l’arachide. Le consortial bancaire qui finançait toute la campagne de commercialisation jusqu’à la fin des années 1980 n’existe plus, et le système bancaire dédié (LBA et BNDE principalement) n’est pas capable de lever les fonds adéquats pour financer la collecte primaire.Le volume du financement de la campagne par la Banque Islamique de Développement ( la BiD) à travers sa filiale ITFC n’est pas encore connu.
D’autres problèmes assez complexes doivent également être abordés, tels que la compétitivité des prix de l’huile d’arachide par rapport aux huiles importées moins chères, les capacités de stockage, de trituration et de raffinage insuffisantes des huileries, ainsi que l’obsolescence et la vétusté des équipements techniques de Sonacos SA, la plus grande huilerie du pays.
L’objectif de cette réflexion serait de garantir la durabilité et la viabilité de la production, en assurant des revenus incitatifs, rémunérateurs et décents aux producteurs, tout en permettant aux huiliers, transformateurs artisanaux, aux exportateurs et autres acteurs de la filière d’opérer dans un système gagnant-gagnant.
- À propos de la création de coopératives communales.
En tant que spécialiste des coopératives, je tiens à souligner que le Sénégal est sous le régime de la liberté d’entreprise et d’association. Le gouvernement ne doit pas se substituer aux acteurs économiques dans leurs initiatives libres et rationnelles, ni chercher à contraindre les citoyens à s’organiser selon une forme particulière. Même au début de l’indépendance, malgré l’option forte pour les coopératives sous le Président du Conseil Mamadou Dia, l’idée de créer des coopératives communales n’a jamais été envisagée.
Les créations artificielles de coopératives imposées par l’État ont échoué, comme en témoigne la réorganisation en 1983 avec la création des sections villageoises et la loi 83-07 sur les coopératives, qui est toujours en vigueur. De plus, pour favoriser l’initiative des entrepreneurs, la loi sur les Groupements d’Intérêt Économique (GIE) a été introduiteen cette même période.
A l’échelle de l’UEMOA on est a une stratégie beacoup plus restreinte de la coopérative avec l’érection des Sociétés coopératives qui peuvent mêmes être de caractère familial ou regrouper trois personnes.
L’organisation coopérative plus restreinte favorise la solidarité et la confiance entre les membres en ce qu’elle est basée sur un affectio- sociétatis fort . Ce qui n’est pas le cas des coopératives communales.
L’étatisation des coopératives a échoué partout dans le monde. La coopérative doit être “fille du besoin et de la liberté de ses membres de s’organiser de manière autonome pour résoudre en commun un problème économique et/ou social”.
La création de coopératives communales est une véritable hérésie qu’il faut abandonner rapidement.
Pour conclure, je reviendrai de manière plus approfondie sur la question des coopératives dans une autre publication, inchallah.
Dakar, le 24 octobre 2024
Youssou Diallo
Ancien PCA de Sonacos SA
Ancien CT1 du Ministère de l’Agriculture
Ancien Président de la Commission Ad hoc d’élaboration du Protocole État/Huiliers
Inspecteur Principal de Classe Exceptionnelle de la Coopération
Président du Club Sénégal Émergent »
Voici un article contributif excellent par la qualité de l’autorité qui l’a écrite, mais par l’esprit de bien faire.M.Diallo pouvait choisir de faire un article à charge,mais il a préféré faire des suggestions et indiquer des pistes fécondes pour une gouvernance agricole positive.
on a besoin d’un tel état d’esprit, une très belle manière de contribuer au JJJ qui n’est pas une affaire de parti politique, mais un esprit generationnel incarné par des sénégalais qui s’assument à leur citoyenneté. La rupture systémique, c’est juste consolider les acquis et rompre avec les mauvaises pratiques. Sous ce rapport je ne vois pas un sénégalais qui peut ne se reconnaît pas.