ECLAIRAGE SUR LA LAÏCITE PAR SERIGNE MADIOR CISSE
(Interview de S. E. Serigne Madior CISSE sur « l’Islam, la laïcité et le terrorisme »).
Il y a dix ans, à propos d’une question sur la compatibilité de la modernité politique avec le message coranique, Son Eminence Serigne Madior Cissé nous a servi un éclairage inédit et de très haut niveau ; il avait répondu en ces termes (*) :
« Une nuance s’impose ! La séparation entre le pouvoir politique et la religion dans un contexte islamique n’est pas considérée en soi comme le signe d’une modernité, contrairement en Occident où la laïcité constitue le stade suprême de la modernité politique de l’Etat. La laïcité en Islam n’est pas un objectif recherché ; l’Islam ne cherche point à l’instaurer, mais la prévoit et l’intègre comme une manifestation de la prédestination : ‘’ [Le Prophète (PSL) a dit :] … Après moi, viendra une époque où les chefs (détenteurs du commandement) ne suivront pas le Coran et ne se conformeront pas à ma Sunna. Il y aura parmi eux des personnes aux cœurs de Satan placés dans des corps d’homme. [Son interlocuteur lui demande :] Que dois-je faire si je vivais une telle époque ? Il [le Prophète] répondit : tu écoutes et tu obéis au détenteur de l’autorité’’. Et en tant que telle, le musulman ne saurait s’y opposer. Ce n’est pas d’une résignation ou d’une acceptation à regret qu’il s’agit, mais d’une soumission à la volonté divine. L’Attitude à adopter par le musulman dans un contexte laïc constitue un acte de foi. Et de ce fait, la laïcité est perçue comme une question religieuse.
La laïcité, qu’elle ait été voulue ou imposée, ne s’installe pas de manière définitive et ne disparaît pas de manière définitive. Il y’aurait une sorte d’alternance conditionnée par la volonté divine, entre des périodes d’Islam et des périodes de laïcité tel qu’il ressort du hadith de Houzaïfa précité : ‘’Ô Messager d’Allah, nous étions dans le Mal (avant l’Islam) et Allah nous a apporté le Bien (l’Islam) et nous y sommes. Est-ce qu’il y aura après ce Bien un Mal ? Il répondit : oui. Et je lui dis : et est-ce qu’il y aura après ce Mal un Bien ? Il répondit : oui. Et je lui dis : Est-ce qu’il y aura après ce Bien un Mal ? Il répondit : oui. Et je lui dis : comment cela ? Il répondit après moi viendra une époque où les chefs (détenteurs du commandement) ne suivront pas le Coran et ne se conformeront pas à ma Sunna. … ’’.
Il existerait, selon une chronologie programmée par Dieu et ignorée des créatures, une succession dans le temps qui se répète, entre des périodes où les dirigeants des communautés islamiques font application des prescriptions du Coran et de la Sunna (période de Bien) et des périodes où ces dirigeants ne font pas application de ces prescriptions (période de Mal) – c’est-à-dire des périodes de laïcité. C’est dire que ce qui est considéré en Occident comme un acquis de la modernité à préserver n’a pas au regard de l’Islam, la garantie de la pérennité, pas plus que ce qui peut l’être au regard du musulman – c’est-à-dire une communauté islamique régie intégralement par les lois islamiques. L’histoire de l’humanité sera faite de l’alternance entre ces deux types de sociétés, selon la prophétie de l’Envoyé de Dieu (PSL), jusqu’à l’Heure où Dieu héritera de la Terre et de tout ce qu’elle renferme (fin du monde). …
Ainsi, la laïcité ne constitue point un idéal auquel on aspire en Islam. Il n’existe pas de laïcité islamique comme d’aucuns le prétendent en faisant croire que l’Islam prêche le quiétisme. L’Islam s’accommode de la laïcité de l’Etat et de sa société civile et ne la combat pas, du moins tant que la liberté de prière est garantie au musulman par les autorités laïques. Mais il conserve sa vocation et sa prétention à s’appliquer au cas où la Umma s’identifie à la société civile, que les autorités étatiques en soient issues et que tout le monde se soumette au message islamique. En ce moment-là, il sera religion et vie terrestre, religion et Etat (dîne wa dounya, dîne wa dawla). Cet objectif reste sans nul doute le souhait intime de tout musulman, celui de voir l’univers se soumettre complètement à la volonté du Maître de l’Univers. Cet objectif s’était réalisé du temps du Prophète (PSL) et des califes rachidounes, puis à été faite au règne des rois et des princes et puis, il s’est encore réalisé sous le califat de Ibn Abdelaziz que certains ont même surnommé le ‘’5ème calife rachidoune’’.
Cette situation idéale a pu se concrétiser conformément à la prophétie de l’alternance évoquée plus haut, par la volonté de Dieu qui a fait descendre le Livre Sacré (Coran), inspiré le Prophète, lui a trouvé des compagnons d’une dimension exceptionnelle, lui a assuré de Son soutien tout-puissant et surtout lui a donné l’Ordre d’instaurer une telle communauté. Et malgré cela, les choses se sont réalisées non sans difficultés ni de manière instantanée. Aujourd’hui, quel groupe peut prétendre, avec raison, à la réalisation de cet idéal sans disposer pour autant de cet ensemble de garanties de la part du Seigneur ? Les échecs des différentes tentatives et les malheurs qu’elles engendrent sont assez éloquents pour justifier une réponse négative catégorique. Encore une fois, il est demandé au musulman de vivre sa foi avec son époque et de continuer à appeler les gens sur la voie de Dieu avec sagesse, bonne prédication et le cas échéant de discuter avec eux de la manière la plus correcte (16. Les Abeilles : 125 – An-Nahl). La Prophétie de l’Envoyé de Dieu (PSL) sur l’alternance des périodes de laïcité et d’Islam devant nécessairement se réaliser, le croyant se doit d’obéir, persévérer et espérer. Il peut arriver de son vivant qu’il assiste à la réalisation de son souhait de vivre dans une communauté similaire à celle du Prophète (PSL). Dans le cas contraire, il aura vécu en bon musulman qui a su sauvegarder sa foi, par la grâce de Dieu, dans un contexte où il n’a pas été fait application des prescriptions du Coran et de la Sunna. (Dixit Son Eminence Serigne Madior CISSE).
(A SUIVRE)
Interview de S. E. Serigne Madior CISSE sur « l’Islam, la laïcité et le terrorisme ». Propos recuellis et présentés par le Professeur Abdoullah CISSE, Agrégé en Droit) – Spécial Ihsaan, Janvier 1999. (Extrait choisi et posté par Dr Mouhamadou Bamba Ndiaye (*)].