Mardi en fin d’après-midi, une foule compacte se pressait devant le siège de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) à Conakry, le parti de Cellou Dalein Diallo. Transistor collé aux oreilles, les yeux rivés sur le balcon où les silhouettes de leurs leaders apparaissaient brièvement, les militants attendaient anxieusement d’en savoir un peu plus. « Le premier tour a eu lieu le 27 juin, il y a une éternité. Maintenant on veut savoir le résultat même si on sait déjà qu’on a gagné », expliquait Hamza Bah, un jeune militant et chauffeur d’une mototaxi.
Clivages communautaires attisés
Il y a plus de quatre mois, le candidat UFDG avait fait le plein des voix dans sa communauté peule (environ 40 % des dix millions de Guinéens). Fort de la discipline de son électorat, il était arrivé largement en tête (44 %) laissant penser à une victoire facile. Affaibli par la concurrence d’autres candidats chassant également sur les terres des Malinkés (40 % de la population), son adversaire au deuxième tour, Alpha Condé, n’avait lui recueilli que 18 % des suffrages. Depuis, l’opposant historique à tous les régimes dictatoriaux ou militaires qui ont dirigé sans discontinuer l’ancienne colonie française a radicalisé ses discours de campagne en maniant les stéréotypes et en attisant les clivages communautaires.
Pari dangereux en terme de stabilité, mais pari potentiellement gagnant, qui lui a, semble-t-il, permis de rassembler un électorat dispersé en jouant sur le sentiment anti-Peul d’une partie de la population.
A l’annonce des résultats très partiels portant sur moins de 10 % des votants, communiqués mardi soir par la CENI, les propos tenus par Amara Dinbaté, directeur commercial d’une brasserie, montrait que le message d’Alpha Condé avait été entendu, jusque dans ce bar au bord de l’océan. « Les Peuls ont déjà le pouvoir économique, ils ne peuvent pas tout avoir, la responsabilité politique en plus », disait-il, concentré sur la télévision retransmettant en direct la conférence de presse de la CENI. « Et s’ils essaient de nous voler la victoire, on leur bottera les fesses », avertissait ce quadragénaire membre de la minorité Soussou.
Régularité du vote contestée
Fortement implantés à Conakry et dans la région de Basse-Côte, les Soussous sont en position d’être faiseurs de roi compte tenu du poids comparable, au sein de la population, des Peuls et des Malinkés dans un vote caractérisé par son ethnicisme. Or, les premiers résultats semblent indiquer que les Soussous n’ont pas suivi l’appel de leur candidat au premier tour, Sidya Touré (14 % le 26 juin), rallié à Cellou Dalein Diallo. Les Soussous auraient voté assez massivement en faveur d’Alpha Condé.
Faut-il y voir un lien ? L’UFDG est passée à l’offensive en contestant la régularité du vote, notamment dans le Nord de la Guinée. Ce fief d’Alpha Condé a été le théâtre de violences intercommunautaires en octobre, soldées par l’exode de quelques milliers de Peuls. « Nos représentants ont eu peur le jour du vote et n’ont pas pu être présents dans les bureaux de vote. Par ailleurs, nous avons la preuve que le camp d’en face avait mis en place des bureaux de vote fictifs pour bourrer les urnes, nous avons donc porté plainte devant la Cour suprême pour défendre notre victoire et faire prévaloir la vérité des urnes », affirmait Bah Oury, vice-président de l’UFDG.
« Si, au final, les scores des deux candidats sont assez proches, on peut s’attendre à une bataille de recours judiciaires qui retarderaient la proclamation du nom du vainqueur et ouvrirait une période d’incertitude porteuse de violences potentielles », s’inquiète un observateur étranger. « Chaque candidat dispose d’une niche de contestation », confirme Moktar Diallo, représentant modéré de la société civile guinéenne.
Si Cellou Dalein Diallo avance la question du vote des personnes déplacées, Alpha Condé pourra soulever celle relative à une partie de l’électorat originaire de son fief du Nord, mal recensée et qui n’a pas reçu de cartes d’électeur. Environ 70 000 Guinéens n’ont pas été autorisés à voter dimanche. « L’avenir dépendra de la capacité de chacun des deux candidats à créer le chaos », estime Moktar Diallo.
Christophe Châtelot (Le Monde)