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En privé avec Cheikh Tidiane de Touré Kunda – « Il y a eu un énorme gaspillage lors du Fesman »

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Ils sont les pères de la world music et les premiers musiciens africains à avoir trois disques d’or successifs. Touré Kunda a bercé les générations des années 1980 et a su s’imposer en France. Un projet de ‘’créa sud’’, une association française, les ramène au Sénégal pour une série de concerts. Après une conférence de presse tenue hier à l’institut français Léopold Sédar Senghor, le plus jeune des deux frères s’est confié à EnQuête. Cheikh Tidiane étale toute sa frustration pour avoir été zappé du Fesman et de bien d’autres rencontres tenues au Sénégal.

Au niveau national on n’a aucune nouvelle des Touré Kunda. Cheikh et Ismaïl sont où et dans quoi ?

On est là et on va très bien Macha Allah. On tourne beaucoup en Europe et partout à travers le monde. On a toujours envie de venir au Sénégal mais je me suis rendu compte et je l’ai dit d’ailleurs à mon frère qu’il y a beaucoup de festivals qui se passent ici, mais on dirait qu’on nous a boycotté ou qu’on nous a oublié. Je me suis posé beaucoup de question face à cette situation. Cela a duré longtemps quand même qu’on n’a pas joué ici. Dieu a fait qu’on est venu avec cette équipe-là pour prester à Ziguinchor, Dakar et Saint-Louis.

Cela vous a fait quoi de ne pas être invité au dernier  Fesman ?

Cela m’a beaucoup choqué. Cela m’a beaucoup choqué vraiment. J’ai trouvé ça inadmissible (il répète deux fois inadmissible). Je suis sûr qu’il y a quelque chose derrière. J’ignore ce que c’est exactement mais ce n’est pas normal que le grand festival mondial des arts nègres se tienne sans Touré Kunda. On a vu des Tchèques et beaucoup d’autres nationalités prendre part à ce festival sans nous. Je vais vous avouer quelque chose : les organisateurs nous ont contacté, nous avons demandé une petite somme, c’est-à-dire 7000 euros (4 590 000 F CFA) pour ce festival au moment où les autres ont perçu 50 mille euros (32 800 000 F CFA).

Ainsi les organisateurs  ont préféré donner aux autres qu’aux fils du pays. On a vu des voitures qui quittaient la présidence avec des mallettes d’argent qu’on donnait à des artistes en leur demandant de signer après. C’était énorme. L’argent ne nous intéresse pas pour jouer au Sénégal. On a chanté  l’hymne du premier festival mondial des arts nègres. Mon frère et moi en étions épatés. Mais lors de  la dernière organisation, je crois qu’on nous a boycottés de manière délibérée. J’ai l’impression qu’il y a des voleurs dans  l’organisation qui donnent de l’argent à qui ils veulent et empochent le reste. Croyez-moi, c’est ce qui se passe.

Cela vous a frustré donc ?

Cela m’a beaucoup frustré. On s’est dit tous les deux qu’on va acheter des billets et venir assister au festival. On est descendu au Méridien Président. Mais il fallait voir les artistes comment ils vivaient tous. Il y a eu un énorme gaspillage  alors que certains artistes n’étaient pas encore payés. On a après quitté Dakar et on est allé à Ziguinchor, notre ville natale. Le maire de Ziguinchor Abdoulaye Baladé avait invité Salif Keita et Alpha Blondy qui sont nos amis.

Ils nous ont vus et nous ont invités. J’ai failli refuser. Après je me suis dit non, je vais le faire pour la Casamance. Ils s’étaient débrouillés pour avoir du son même si c’était du son pourri venu de Dakar. On est resté après une semaine avant de rentrer en France. J’en veux personnellement aux organisateurs du Fesman. Ce n’est pas logique ce qu’ils ont fait. Même s’ils considèrent qu’il y a de meilleurs artistes que nous à travers le monde, nous sommes le  Touré Kunda et nous  valons quelque chose quand même. Cela, je ne peux pas le leur pardonner. ‘’Bayi naa leen ak Yàllà.’’

Vous attendiez-vous à être invités lors du sommet de la francophonie tenu à Dakar au cours duquel des artistes ont presté ?

On s’attendait à tout. Je vous rappelle qu’il y a tellement de festivals qui se sont déroulés ici au Sénégal et auxquels on pouvait être invités. C’est quelque chose qui est voulu. Ils ne nous invitent pas mais on reste malgré tout touss. Ce pays est le nôtre.

Touré Kunda, c’était d’abord deux membres, puis trois ensuite quatre et maintenant deux. Qu’est-ce qui se passe dans votre groupe?

On est des frères de sang mais on n’a pas la même culture. Ismaël et moi, on est les premiers à avoir quitté la famille Touré pour aller en Europe. Les mentalités ne sont pas pareilles. On a balisé le terrain. On leur a tout donné. On leur a dit : venez. Et on leur a ouvert les portes ; ils sont entrés et ils sont sortis. Mais la porte reste toujours ouverte.

Donc ils ne sont partis parce que juridiquement le Touré Kunda, c’est deux personnes : Ismaïl et vous ?

Non pas du tout, même si le Touré Kunda, juridiquement, c’est deux personnes. Eux sont partis depuis plus de quinze ans.

Vous avez fait la première d’un très grand artiste Carlos Santana. Qu’est-ce que cela a apporté de plus à votre carrière ?

Cela nous a permis d’avoir un Grammy Award. Carlos Santana, c’est quelqu’un qui nous aime. Il adore notre musique. On écoutait beaucoup Carlos avant de le rencontrer et de le connaître. On peut dire que ce sont deux cœurs qui se sont rencontrés.

Après la sortie de votre album Natalia, vous avez organisé une tournée aux Usa et cela devait vous permettre de conquérir le public américain. Certains sont d’avis que les choses n’ont pas bien tourné. Qu’en est-il exactement ?

En vérité tout s’est bien passé. Nous sommes les seuls noirs africains à avoir  joué au Carnegle Hall. Il n’y en a pas en Afrique. C’est comme l’Olympia à Paris.

Touré Kunda était très proche de Bocandé, comment avez-vous vécu sa disparition ?

C’est vrai. Bocandé était un ami. Je ne pouvais même pas appeler ici pour présenter mes condoléances tellement

j’étais attristé. J’ai simplement appelé ses enfants. J’étais à Ziguinchor. Je suis allé au cimetière. J’ai prié pour les morts mais particulièrement pour lui et nos parents.

Qu’est-ce qui s’est passé entre Touré Kunda et la danseuse Seynabou Diop ?

Beaucoup de choses je dirais, ah oui ! Nabou on l’a amenée au Sénégal parce qu’elle était ivoirienne d’abord. Elle a dansé pour le groupe et tout le monde a apprécié ses prouesses sur scène. Elle a apporté un plus dans ce que nous faisions. Elle ne parlait pas wolof. On lui a appris ça. Elle est venue ici, on l’a aidée à avoir la nationalité sénégalaise. Si on pouvait faire autre chose pour elle, on l’aurait fait.

Pourtant elle a dit qu’un ressort s’est cassé et que c’était de votre faute. Elle n’avait plus de vos nouvelles. Qu’en est-il réellement ?

Oui, parce qu’elle est venue ici. Elle est rentrée au Sénégal. Nous, nous sommes restés là-bas. Nous avons lu ce qu’elle a dit dans les journaux. Mais je refuse de m’y épancher. Elle nous a cassés. Elle est notre sœur. On l’aime. On l’admire. On ne va pas entrer dans les détails. On a vécu de très bons moments avec Nabou.

Revenons à votre carrière, vous deviez normalement lancer la danse lambada accompagnée d’une chanson. Finalement, cela ne s’est pas fait. On vous a pris vos musiciens qui l’ont fait, que s’est-il passé avec le producteur ?

(Rires). Vous êtes trop renseignée, mais on n’a pas de producteur. Touré Kunda a toujours été son propre producteur. On a travaillé avec des gens qui distribuaient nos albums et l’un d’entre eux est venu avec un morceau. On lui a demandé : c’est qui l’auteur de cette chanson ? Il nous a répondu qu’il n’y en avait pas. C’était impossible pour nous. Le gars a insisté. On l’a amené chez notre avocat. Par la suite, il a  voulu nous mettre en mal avec  les musiciens alors que Touré Kunda, c’est Ismaïl et moi. Le gars nous devait de l’argent. Je lui ai dit : tu nous paies d’abord et ensuite on verra. Quand il a vu qu’on était exigeant, il a pris des musiciens qui sont partis avec lui avant d’être à nouveau virés.

Vous n’avez pas eu de regrets après le succès de la chanson et de la danse ?

Non j’ai dit ‘’niaw’’. Ils ont eu divers procès à cause de cette chanson. Le gars a gagné de l’argent avec ce tube mais les auteurs ont après porté plainte. Que Dieu nous préserve de ce genre de chose illégale. C’est Dieu qui nous a sauvés sur ce coup-là.

Comment appréciez-vous l’évolution de la musique sénégalaise ?

Elle s’arrête au mbalax. Je ne parle pas pour moi ou pour Touré Kunda mais je trouve que la musique casamançaise est variée par rapport à celle du nord. Il y a plusieurs cultures dans le sud. La Casamance, c’est un melting pot. Il ne faut pas la laisser derrière. Ce sont de très belles sonorités qu’on trouve là-bas. Le mbalax n’est pas exportable.

Mais si le mbalax est arrivé aujourd’hui à imposer son diktat, n’est-ce pas un peu de votre faute, vous qui avez quitté le navire ?

J’avoue qu’on tourne beaucoup mais quand les jeunes viennent nous voir, on les conseille. Moi, je ne suis pas rentré au Sénégal. J’ai ma famille en France et je viens ici quand j’ai des vacances. On essaie d’aider les artistes du mieux qu’on peut. Ce sont des gens comme Hilaire Chaby qui sont sur place et qui font beaucoup de bonnes choses pour les jeunes musiciens. J’espère être sur place bientôt pour pouvoir aider les jeunes. En attendant qu’ils se prennent en charge. J’ai deux neveux qui se démerdent tous seuls et qui s’en sortent tant bien que mal. Youssou et Alpha Blondy nous demandaient des conseils et on faisait de notre mieux. On ne peut pas leur donner du matériel mais les conseiller. Ils peuvent se débrouiller et s’en sortir même s’ils restent à Ziguinchor. Ils ne sont pas obligés de venir à Dakar.

Vous étiez engagé dans la résolution du conflit casamançais quel acte concret avez-vous posé ?

On est toujours très engagé. Lors de notre voyage à Ziguinchor, on est allé voir deux personnes très engagées dans le combat et qui tenaient vraiment à l’indépendance. Elles ont renoncé et souhaitent le retour pour la paix. Elles sont même montées sur scène avec nous pour que tout le monde voient qu’elles voulaient vraiment la paix. On espère que les autres feront comme elles. Dans chaque album de Touré Kunda, il y a une chanson pour la paix en Casamance. On ne va pas arriver à la paix  en donnant de l’argent  aux gens du maquis. Il faut parler. Il faut dialoguer. On espère que Macky Sall réussira là où Abdou Diouf et Abdoulaye Wade ont échoué.

Bigue Bob (Enqueteplus.com)

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