Le Sénégal serait-il sur les traces du Tchad, de l’Ouganda, de la Tanzanie, du Congo, de la Guinée, du Bénin et de la Gambie ? La question mérite d’être posée. A la lecture du projet de texte relatif à l’encadrement de l’usage des réseaux sociaux, c’est à se demander si les jours de WhatsApp, YouTube, Facebook ne sont pas comptés dans ce pays. Même si le texte n’est pas encore passé en Conseil des ministres, le projet risque de sonner le glas de tous ces OTT (Over the Top) très prisées par les Sénégalais. De quoi s’agit-il ?
En fait si, jusque-là, ces réseaux opèrent sans entrave au Sénégal, le projet de texte vise à leur demander des autorisations préalables. Pour justifier son projet, le gouvernement argue que l’utilisation de ces réseaux, par l’intermédiaire des OTT de façon générale, contribue, sans équivoque, à remettre en cause certains droits fondamentaux, notamment la vie privée, sous tous ses aspects. Conscient sans doute des mutations permanentes du net, le gouvernement a préféré une conception très ouverte de cette notion d’OTT qui, souvent, est utilisée pour désigner les leaders dans les réseaux sociaux.
En effet, selon le projet de texte : OTT (Over the Top) renvoie à ‘’un service de livraison d’audio, de vidéo et d’autres médias sur Internet sans la participation d’un opérateur de réseau traditionnel. Le vocable regroupe à la fois des acteurs des services de communication, de l’audio et de la vidéo’’.
En ce qui concerne le champ d’application, la loi précise : ‘’Les dispositions de la présente loi s’appliquent aux professionnels de l’Internet et leurs activités, notamment dans la création et l’exploitation d’applications, de plateformes et assimilées. De même, elles régissent les activités des OTT, c’est-à-dire utilisant les réseaux des opérateurs de communications électroniques et apportant de la valeur aux utilisateurs, mais sans que lesdits opérateurs ne soient impliqués.’’
De plus, l’article 2 prévoit que les nouvelles dispositions ‘’s’appliquent également aux professionnels des médias, sous réserve des dispositions de la loi n°2017-27 du 13 juillet 2017 portant Code de la presse sénégalais’’.
Les RS soumises à autorisation
Mais, à n’en pas douter, la grande innovation concerne l’exigence d’autorisation aux fournisseurs de supports technologiques. Désormais, les RS vont devoir requérir une autorisation pour opérer au Sénégal. En effet, le nouveau projet dispose, en son article 5, que : ‘’L’exercice des activités de livraison d’audio, de vidéo et d’autres médias sur Internet sans la participation d’un opérateur de réseau traditionnel, est soumis à l’obtention d’une autorisation délivrée par le ministère en charge des Communications électroniques, après avis conforme d’une commission prévue aux articles 10 et suivants de la présente loi. Ladite autorisation est accompagnée d’un cahier des charges qui fixe, entre autres, les obligations de la société en matière d’exploitation et de respect des règles fixées.’’
Ce n’est pas tout. Si le gouvernement va jusqu’au bout de sa logique, WhatsApp, Facebook, YouTube et les autres réseaux sociaux doivent avoir des filiales de droit sénégalais. D’après le texte, l’éligibilité à cette autorisation est assujettie à un certain nombre de conditions. Parmi lesquelles, il y a : être légalement constituée en société de droit sénégalais au sens de l’Ohada ; être à jour de ses obligations fiscales et sociales et disposer d’un personnel comprenant au moins 3/4 de Sénégalais.
Procédure d’attribution de l’autorisation
Selon l’article 7 du projet de texte, toute structure d’accompagnement qui réunit les conditions d’éligibilité prévues à l’article 6, introduit une demande auprès du ministère en charge des Communications électroniques prévue à cet effet. ‘’A l’appui de la demande, soutient le texte, la structure requérante joint une version électronique des pièces justificatives de sa requête, notamment les statuts de la société et toutes autres pièces nécessaires. Le ministère en charge des Communications électroniques transmet à la commission prévue aux articles 10 et suivants, le dossier dans un délai maximum de 7 jours’’.
Après instruction, si la demande est incomplète ou présente une non-conformité manifeste, la commission le notifie sans délai à la structure d’accompagnement requérante. Le demandeur dispose alors d’un délai de trente jours pour compléter son dossier. Dans le cas où le dossier n’est pas conforme ou n’est pas complété dans les délais, la structure requérante est informée de son inéligibilité temporaire par le ministère en charge des Communications électroniques. La requérante, selon le projet, observe alors un délai de carence de six mois avant de pouvoir déposer une nouvelle demande, suivant les actions correctrices à réaliser pour compléter son dossier ou pour respecter les conditions d’éligibilité selon le motif du rejet de la demande.
Une autorité composée essentiellement de l’Exécutif et ses démembrements pour veiller à la régulation
En ce qui concerne la gouvernance, l’Etat envisage la mise en place d’une Commission Internet et liberté pour l’encadrement des contenus échangés dans les réseaux sociaux. Celle-ci est composée d’un membre du ministère en charge des Communications électroniques qui va en assurer la présidence. Les autres membres seront issus du ministère en charge de l’Intérieur, de l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes, du Conseil de régulation de l’audiovisuel, de la Commission de protection des données personnelles, de l’Agence de l’informatique de l’Etat, de la Télédistribution du Sénégal, de l’Agent judiciaire de l’Etat, d’une association des consuméristes.
‘’Sans préjudice des arrêtés du ministère des Communications électroniques, la Commission Internet et liberté rend les décisions nécessaires à l’encadrement des réseaux sociaux et du contenu des échanges par les voies susmentionnées’’, dispose le texte.
Par ailleurs, selon les nouvelles dispositions, la structure titulaire d’autorisation est responsable du respect des obligations contenues dans son cahier des charges. ‘’En cas de manquement à ses obligations, indique l’article 13, la commission peut proposer au ministre en charge des Communications électroniques, la suspension de l’autorisation de la structure pour une durée limitée ou proposer un retrait d’autorisation’’.
En cas de retrait d’autorisation, la structure ne peut pas formuler une nouvelle demande d’autorisation pendant une période de deux ans, à compter de la décision de retrait.
Parmi les pratiques susceptibles d’entrainer des sanctions pouvant aller jusqu’au retrait de l’autorisation, il y a la violation de la vie privée ou des contenus remettant en cause l’ordre public et les bonnes mœurs. Dans ces cas de figure, la commission peut prendre les sanctions suivantes : ordonner des mesures conservatoires qui lui sont demandées ou qui apparaissent nécessaires, telles que la suspension de la pratique concernée ou encore une injonction de revenir à l’état antérieur ; ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques concernées, dans un délai déterminé ; imposer aux intéressés des conditions particulières ; prononcer une sanction pécuniaire ; prononcer une astreinte de 2 % du chiffre d’affaires journalier de la structure réalisé durant l’année précédente, en cas de non-exécution, dans le délai imparti, d’une décision de la commission. A défaut de chiffre d’affaires, l’astreinte est portée à un million de francs CFA par jour de retard.
La commission peut aussi ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci, selon les modalités qu’il précise, aux frais de l’intéressé. ‘’Lorsqu’elle constate des pratiques anticoncurrentielles, dispose toujours le projet, la Commission Internet et liberté peut prononcer une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement et aux avantages qui en sont tirés, sans pouvoir excéder 3 % du chiffre d’affaires hors taxes du dernier exercice précédent celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre.
Responsabilité pénale
Par ailleurs, la loi a également prévu, en son article 15, que : ‘’Quiconque divulgue ou publie, par l’intermédiaire des réseaux sociaux, des données sensibles ou prohibées, sera puni d’un emprisonnement d’un an à 3 ans et d’une amende d’un million de francs CFA. Selon l’article 16, quiconque achemine, véhicule ou vulgarise des données sensibles, des données informatisées mensongères, diffamatoires ou des injures, sera passible de la même peine que l’auteur des actes.
Dans la même veine, insiste le texte, les titulaires d’autorisation veillent à ce que les mineurs n’aient pas accès, par l’intermédiaire des réseaux sociaux, à des contenus ayant un caractère prohibé, notamment des injures, de la pornographie. Une disposition qui est aussi applicable aux organes de presse en ligne.
En effet, dispose l’article 18 : ‘’Les organes de presse en ligne sont soumis aux mêmes obligations, par voie de cryptage et ou tout autre moyen permettant de vérifier l’identité et l’âge des intervenants.’’
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