« L’or n’a servi à rien dans la région de Kédougou. Elle a plutôt créé beaucoup de problèmes ». Le constat est sans concession. Il émane de Iba Sarr, chef de programme de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho) revenu d’une mission qui l’a conduit dans la région de Kédougou, dans les villages de Tenkoto, Massamassa, Sabodala, Khossanto… . « Rien de ce qu’on avait promis aux populations dans ces zones d’exploitation de l’or ne s’est réalisé. Elles n’ont qu’une dégradation de leur environnement, pertes de terres agricoles, de leur santé », révèle le chef de la délégation de l’équipe composée de membres de la Raddho, d’Oxfam America et de l’Université de Yale, ayant séjourné dans la région Est dans le cadre d’une étude sur le droit au développement, droits humains et exploitation minière.
C’est connu, l’exploitation de l’or, en particulier et des ressources extractives, en général constitue, en Afrique, une malédiction pour les populations des zones minières béatement optimistes mais qui font l’objet de spoliations de toutes sortes. La ressource ne profite généralement qu’aux multinationales (mdl, Rangold, Oromin) dont les contrats signés avec les Etats sont frappés du sceau de la confidentialité. Pis, les programmes de développement social, d’appui logistique brandis aux populations comme contrepartie à l’exploitation des ressources sont vite rangés aux oubliettes une fois l’euphorie de la célébration du premier lingot retombée. A Kédougou, dans cette course à la tromperie, la société Mineral deposits limited (Mdl) semble occuper le haut du pavé. « Mdl est la société la plus décriée, ses promesses sont restées en l’état », soutient Iba Sarr qui déplore l’état chaotique des infrastructures routières conduisant à l’exploitation minière de Sabodala. « C’est peut être une manière de décourager les gens à aller à l’usine, car avant d’emprunter cette voie, il faut y réfléchir à deux reprises », confie le chef de programme de la Raddho.
A l’actif de la société australienne, Mdl, détenteur de la concession minière de Sabodala depuis avril 2007 pour un gisement d’un potentiel de 50 tonnes d’or exploitables : la construction inachevée de six salles de classes au Cem Khossanto dépourvu d’eau courante. A cela s’ajoutent les emplois précaires fournis aux jeunes de la localité qui pensaient que l’exploitation de l’or serait synonyme de plein emploi. Mais à l’arrivée, c’est le désenchantement total. « On ne décompte que 300 emplois dans l’usine de Sabodala dont la plupart ne sont pas pour les autochtones car ce sont des emplois qualifiés. La phase d’exploitation de la mine ne fait pas appel à une main d’œuvre importante. Celle-ci n’est sollicitée que dans les phases d‘exploration et de construction », souligne Iba Sarr.
Autre signe de malaise : l’opacité, qui entoure la gestion du fonds social minier et atterre les populations. « Ce fonds doit être un pourcentage du compte d’exploitation de l’entreprise Mdl, mais c’est une nébuleuse, personne ne peut dire avec exactitude son montant et à quoi sert ce fonds », se désole M. Sarr. Une violation flagrante de la directive de la Cedeao incitant à la transparence et l’équité sociale, la garantie de la protection des communautés locales et l’environnement.
Opacite atterrante
De toute évidence, la gestion de ce fonds destiné à la région a fini de sédimenter les rancœurs des populations qui ne veulent plus être à l’écart de sa gestion. Pourtant, il était bien stipulé que la société Mdl, bénéficiaire d’exonérations de droits de douanes, d’impôts et de taxes de toutes sortes, allait investir un montant de 425 000 dollars par an « pour appuyer la politique de développement social des autorités locales et en particulier de la communauté de Khossanto qui abrite le projet » et une somme de 30 000 dollars en guise d’appui logistique à la région. D’ailleurs, au lendemain de la célébration du premier lingot d’or extrait du puits de Mdl, le président de la République n’avait pas manqué de se réjouire peut-être trop vite-, lors du conseil des ministres qui s’est réuni le 04 juin 2009, « de la prise en compte par les sociétés minières de la dimension sociale à travers la réalisation d’infrastructures routières, d’installations hydrauliques, de cases de santé et d’écoles ». Parlait-il de la même zone ?
En tout cas la situation idyllique qu’il dépeint tranche avec celle vécue par les Kédovins confrontés à une dégradation manifeste de leur environnement, comme en témoigne le cratère de 400 mètres de profondeur creusé par Mdl, qui « deviendra un espace inutilisable et dangereux », aux coupes non réglementées d’arbres, à l’apparition de nouveaux cas de maladies pulmonaires à cause de la poussière, à l’impossibilité de faire de l’élevage autour des entreprises, à la chute drastique de la production fruitière. Non moins inquiétant, est la dégradation des terres agricoles sur un rayon de deux kilomètres des entreprises et le délaissement de l’agriculture alors que la région de Kédougou est située dans la zone climatique la plus pluvieuse du pays et la zone agropédologique la plus fertile. Pis, les études d’impact faites par Mdl ne l’ont été qu’après le démarrage de l’exploitation et par ses propres experts.
S’adressant au président de la République lors de l’ouverture officielle de la mine d’or de Sabodala, le représentant de Mdl lançait : « je suis convaincu que Mdl et ses employés, le gouvernement comme la nation sont fiers de cette réalisation ». Une fierté sûrement pour les trois premières catégories mais pour la Nation maintenue dans un flou total et habitée par les frustrations et les interrogations sur les retombées, c’est peu sûr. L’espoir et l’enthousiasme nés de l’exploitation de l’or dans la zone aurifère de Kédougou sont de ce fait retombés comme la poussière soulevée par les engins géants et bruyants des multinationales emmurées dans un mutisme profond sur leur découvertes. Silence qu’elles ne briseront pour tout l’or du monde.
Mamby DIOUF