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Enquête. La langue africaine des pharaons noirs

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Ils ont laissé de vastes nécropoles de pyramides pentues à la singulière silhouette, des temples majestueux qui n’envient rien à ceux de l’Egypte, ils ont bâti des villes et donné au « pays éternel » une lignée de souverains, les « pharaons noirs », qui ont régné sur tout ou partie de la vallée du Nil entre les VIIIe et VIIe siècles avant notre ère. Qui sont ces hommes, mis à l’honneur par le Musée du Louvre, qui leur consacre une exposition ? Ils nous sont encore largement inconnus. Et pour cause : la langue des habitants du « pays de Koush » – ainsi que les Egyptiens nommaient le territoire de l’actuel Soudan – résiste âprement aux tentatives des linguistes pour en percer les secrets. Francis Llewelyn Griffith a bien décrypté son système d’écriture voilà un siècle. Mais ce qu’on lit, dans le millier de textes qui nous sont parvenus, reste incompréhensible.

Cette résistance commence toutefois à céder. Dans une monographie parue fin février, l’égyptologue et linguiste Claude Rilly, directeur de l’archéologie française au Soudan, rattache sans ambiguïté cet idiome, dit méroïtique, à une famille de langues qui s’enracinent au coeur du continent africain. Le méroïtique n’est donc pas, comme certains l’ont cru, une langue isolée ou encore un idiome afro-asiatique – parent de l’arabe, de l’hébreu, du berbère ou du copte. C’est une langue proprement africaine, la première du genre à avoir été couchée par écrit. Une hypothèse inimaginable pour les premiers savants à s’être penchés, avant guerre, sur la question. Inimaginable parce que, présupposé raciste aidant, les architectes de Méroé ne pouvaient pas avoir parlé une langue « négroïde », selon l’expression alors en vigueur…

« Jusqu’à ce que je commence à travailler sur la question, la langue méroïtique était réputée avoir commencé à se fixer aux alentours de 1500 avant J.-C., explique M. Rilly. Je pense pour ma part que son émergence remonte beaucoup plus haut, sans doute vers 2500 avant notre ère. » Le royaume de Méroé – qui a donné son nom au méroïtique – s’installe vers le IIIe siècle avant notre ère autour de la ville du même nom, non loin de la sixième cataracte du Nil, à deux cents kilomètres de la capitale soudanaise, Khartoum. Ce royaume chute vers 350 de notre ère. Ce n’est qu’avec l’émergence de cette entité politique nouvelle que la langue méroïtique est écrite, grâce à un système graphique adapté des hiéroglyphes égyptiens. Mais, dans le pays de Koush, des systèmes étatiques voient le jour bien avant l’avènement de Méroé : le royaume de Napata, fondé un millénaire auparavant, par exemple. Et, bien avant encore, le royaume de Kerma, dès 2500 avant notre ère.

Comment savoir que les hommes qui ont fondé ce dernier – et qui n’écrivaient pas leur langue – parlaient déjà une forme archaïque du méroïtique ? « Dans l’Egypte voisine, le roi entretenait des magiciens, chargés de rédiger des « textes d’exécration » pour envoûter les ennemis du souverain, raconte l’égyptologue. Or pour envoûter quelqu’un, il faut certaines informations, comme par exemple des éléments de sa généalogie. Ainsi, nous avons des textes égyptiens datés d’environ 2000 avant notre ère, qui nous donnent des listes de noms de souverains du pays de Koush, et ces noms ont, déjà, une composition phonétique propre au méroïtique. » Vers le XVIe siècle avant notre ère, les pharaons hyksos – une dynastie d’usurpateurs venus du Levant – entretiennent des relations diplomatiques avec les rois « koushites ». Leurs noms, retranscrits par les scribes égyptiens, trahissent leur appartenance linguistique. Et la continuité du peuplement de cette région, au sud de l’Egypte.

Jusqu’à présent, les tentatives de traduction du méroïtique se sont principalement appuyées sur la méthode dite « contextuelle ». « Il est rare que dans une phrase, on ne connaisse absolument rien , raconte M. Rilly. On essaie alors de « boucher les trous » en postulant par exemple que tel mot est un adjectif, qu’il est laudatif, etc. Mais c’est une méthode très longue, qui nécessite que les hypothèses soient validées sur un grand nombre de textes. »

Un corpus de quelques dizaines de termes est donc connu. Mais la méthode la plus efficace pour ressusciter une langue morte dont on connaît l’écriture est encore la comparaison avec les langues apparentées. Au XIXe siècle, pour reconstruire la langue akkadienne, parlée aux IIIe et IIe millénaires dans l’actuel Irak, il avait ainsi été possible de comparer chaque mot akkadien avec des termes hébreux, arabes ou syriaques (ou araméens), ces cousines de l’akkadien étant bien documentées. De même qu’on pourrait comprendre un texte français en ne connaissant que l’italien, l’espagnol et le roumain.

Parti de l’hypothèse, formulée dans les années 1960 par Bruce Trigger, selon laquelle le méroïtique serait apparenté à certains idiomes dits « soudaniques », parlés de l’Erythrée au Tchad, Claude Rilly a effectué des comparaisons des quelques termes méroïtiques connus, avec quatre ensembles de langues soudaniques : le nara, le nubien, le nyima et le taman. Les comparaisons menées ne laissent aucun doute sur la parenté entre le méroïtique et ces langues, mal documentées et pour la plupart non écrites. Il est même d’ores et déjà possible d’enrichir le lexique méroïtique connu par ces comparaisons multiples. Tout en résolvant des énigmes archéologiques tenaces…

« Par exemple, il y a , à Musawwarat (à quelque 200 km au nord-est de Khartoum), un ensemble de temples où l’éléphant est très représenté », raconte Claude Rilly. Etrange au premier abord, puisque l’éléphant n’est pas réputé figurer une divinité dans la religion méroïtique. Mais plusieurs inscriptions, gravées sur les monuments, attestent que le nom méroïtique de ce lieu devait se prononcer « aborepi ». Or les comparaisons effectuées avec les langues cousines montrent qu' »éléphant » devait se dire « ambur » en méroïtique. Certaines nasales ne se transcrivant pas par écrit, le terme « abore » accolé au suffixe -pi, signifierait « le lieu de l’éléphant » ou la « halte de l’éléphant ». Sans doute en raison de l’abondance des pachydermes dans cette zone. La présence de l’animal sur les murs des temples de Musawwarat ne serait donc pas religieuse, mais héraldique….

Vers 550 de notre ère, avec la christianisation de la région, l’alphabet vieux-nubien – essentiellement composé de caractères grecs – prend le pas sur l’écriture méroïtique, à qui il emprunte toutefois quelques éléments. Quant à la langue, elle continue d’être utilisée pendant quelques siècles avant de s’éteindre, « sans doute au Moyen Age », estime Claude Rilly.
lemonde.fr

« Méroé, un empire sur le Nil », jusqu’au 6 septembre, au Musée du Louvre (www.louvre.fr).

« Le Méroïtique et sa famille linguistique », de Claude Rilly, éd. Peeters, coll. « Afrique et langage », 556 p., 47,50 €.

Stéphane Foucart

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