Diplomate de carrière connaissant bien le pays de l’oncle Sam pour y avoir séjourné et rempli avec brio les fonctions de consul général à New York, son Excellence Cheikh Niang appelle au renforcement des relations commerciales entre le Sénégal et les Etats-Unis. A l’issue de la dernière conférence mondiale de la lutte contre le Sida, il note que de nouvelles opportunités sont en train de se dessiner pour renforcer la coopération sanitaire entre les deux pays. Il aborde aussi les difficultés d’insertion auxquelles ses compatriotes sont confrontés. Entretien avec un ambassadeur chevronné bien au fait des enjeux de son accréditation.
Nouvel ambassadeur du Sénégal à Washington DC, pouvez-vous, Excellence, vous présenter à nos lecteurs ?
Je m’appelle Cheikh Niang, je suis le nouvel ambassadeur du Sénégal aux Etats Unis d’Amérique. Je couvre une juridiction qui s’étend au Mexique, Guatemala, Nicaragua, Salvador, Panama, et Costa Rica…En fait quand je dis nouveau, c’est tout à fait le cas, parce que je suis arrivé ici à Washington DC cela fait tout juste deux semaines venant d’Afrique du Sud où j’ai été ambassadeur pendant deux ans. Il est aussi utile de préciser que je suis un diplomate de carrière ayant une expérience au Sénégal comme Conseiller diplomatique du président de la République. Egalement j’ai été à New York en qualité de Consul général.
Donc voilà, je suis maintenant là avec une équipe très dynamique constituée de professionnels qui ont vraiment le sens des responsabilités. La situation que j’ai trouvée ici, c’est une certaine envie de produire des résultats perceptible chez les conseillers. Reste maintenant, en tant que chef d’équipe, à créer un élan qui permet au Sénégal d’amplifier ses relations avec ce pays considéré comme la première puissance du monde.
Comment comptez-vous y employer ?
D’abord, il faut noter que la coopération entre le Sénégal et les Etats Unis se porte bien. Mais cette coopération peut être développée davantage. Au niveau des relations diplomatiques, elles sont excellentes et sur le plan politique, on a les meilleures relations possibles. Entre le président Barak Obama et le président Macky Sall, il y a une très vaste convergence de vue mais aussi une certaine similarité dans l’engagement commun à promouvoir les droits de l’homme, à assurer une gouvernance qui soit juste et conforme aux intérêts des peuples. C’est dire qu’on ne peut pas voir de différence de point de vue ou de perception entre les deux chefs d’Etat.
Il faut aussi noter qu’il y a une relation ancienne entre le Sénégal et les Etats-Unis d’Amérique. Depuis le président Léopold Sédar Senghor jusqu’à nos jours, c’est une relation privilégiée. Il m’appartient de maintenir cette qualité des relations et de l’améliorer; mais aussi d’amplifier la coopération économique. Déjà, nos avons des programmes tels que l’AGOA et le MCA.
Pour l’AGOA, on était à l’état embryonnaire donc il faut aller au-delà. Alors que pour le MCA quelque chose de très important est en train d’être fait. Des financements importants ont été mobilisés et les programmes identifiés connaissent un début d’exécution. Il s’agit maintenant d’accélérer cette mise à exécution et d’accélérer l’impact de ces programmes au niveau du pays. C’est dire aussi qu’il y a une véritable convergence de vue à ce niveau là.
Vous avez suivi la 19ème conférence internationale sur le Sida qui vient de s’achever à Washington. Quels enseignements le diplomate tire-t-il de cette tribune mondiale contre la pandémie du siècle?
J’ai suivi la conférence sur le Sida et je me réjouis du rôle pionner que notre pays a joué dans la croisade contre cette pandémie mondiale. J’ai eu à discuter avec le secrétaire général du Comité national de lutte contre le sida (Cnls) et le Sénégal est une référence non seulement en Afrique mais aussi dans le monde. Je pense qu’il faut continuer cette lutte et maintenir ces acquis. L’expérience sénégalaise montre que nous avons notre mot à dire pour limiter les dégâts de cette pandémie mondiale.
Peut-on s’attendre à des relations sanitaires entre les deux pays ?
Ce matin j’ai reçu une proposition de partenariat entre le Sénégal et une institution américaine qu’on est en train de traiter. Cela se voit qu’on est bien perçu et les gens voient que nous pouvons jouer un rôle beaucoup plus important dans le combat collectif contre le Sida.
Quelle est la nouvelle politique de Barak Obama avec l’Afrique ?
En principe tous les pays africains ont les mêmes intérêts avec les Américains. Nous faisons de telle sorte que ce partenariat né en période d’indépendance puisse se développer et se consolider. Ce qui fait que nous ambassadeurs africains, nous nous concertons pour échanger afin que chacun puisse faire bénéficier son pays des possibilités de ce partenariat.
Qu’en est-il du volume d’échange entre le Sénégal et les Etats Unis?
Disons que le volume d’échange est assez faible. Je n’ai pas exactement les chiffres mais si on voit les exportations des deux pays, l’un vers l’autre, nous sommes dans une situation lourdement déficitaire. C’est pour cela que je réitère l’idée d’exploiter les possibilités offertes par l’AGOA qui peuvent permettre de résorber le déficit important que nous accusons. Certains pays ont déjà privilégié ce créneau et font de bonnes affaires alors que nous le faisons de façon assez timide
Quels sont les points forts et/ou faibles des relations entre les deux pays ?
Points forts ou faibles, ce n’est pas comme cela que je l’apprécierai. Je dirais qu’on a des secteurs qu’il faut développer. On a des programmes qu’il faut développer comme encore une fois l’AGOA qui pourrait permettre à notre pays de pénétrer le marché américain de façon beaucoup plus décisive. Il nous faut aussi travailler pour identifier ce qu’on peut faire à notre niveau pour que ces programmes puissent nous être profitables autant que possible.
Y a t-il une tendance à l’amélioration des relations entre les deux pays depuis la venue du président Obama ?
On peut même noter une double évolution des relations. D’abord avec la venue d’Obama et ensuite depuis la venue du Président Macky Sall, nous sentons une volonté de part et d’autre d’affermir les relations. En tout cas dès que j’ai pris fonction et présenté mes lettres de créance, il m’a été signifié au département d’Etat qu’ils sont très contents de l’avènement du pouvoir du président Macky Sall. Du caractère calme et serein des élections, même s’il y a eu auparavant quelques inquiétudes avant la proclamation des résultats. Ensuite ils ont salué le fait que Macky Sall ait largement gagné cette élection de façon claire et nette avec un mandat clair du peuple sénégalais.
Comment se présente la situation des Sénégalais vivant aux Etats Unis d’Amérique ?
Voilà, la situation des Sénégalais est une situation que je qualifierai de stable. Les Etats Unis comme vous le savez sont une terre d’immigration. Les Américains mêmes sont des descendants de migrants. Donc la culture de l’émigration est bien présente. D’où la tolérance qu’on observe ici dans ce pays. Je pense que si mes souvenirs sont bons, l’année dernière j’avais vu les statistiques qui fixaient le nombre des illégaux à 12 millions. 12 millions c’est beaucoup et c’est plus que la population de beaucoup de pays africains.
Cette tolérance fait que même les gens qui viennent ici sans papier peuvent travailler et certains mêmes peuvent acheter des maisons. Il est bien vrai qu’il y a un contrôle qui se fait de temps à temps mais vraiment c’est de façon incidente
Combien de Sénégalais vivent-ils dans ce pays ?
D’après les estimations que j’avais en 2010, les Sénégalais étaient estimés à 50.000 et la plus grande partie sont des illégaux. Peut être le cinquième ont-il un statut régulier. La plupart sont des illégaux et c’est pour cela qu’ils ne peuvent pas rentrer au pays et ont des restrictions dans leurs mouvements. Encore que, faut-il le dire, ce sont des estimations à travers des enquêtes que nous avons au niveau du Consulat général. Grâce à l’aide de certains statisticiens, on est arrivé à ces chiffes. Pour la simple raison que beaucoup de Sénégalais ne s’immatriculent pas. Ils ne trouvent pas la nécessité de s’immatriculer. Certains d’entre eux dont les illégaux craignent de s’exposer en s’immatriculant. C’est donc qu’il y a un déficit d’informations à combler.
Par ailleurs, il faut dire que les Sénégalais sont de manière générale très bien appréciés comparés à d’autres communautés. A dire vrai les Sénégalais constituent une communauté très respectée aux Etats Unis d’Amérique. Si on prend par exemple New York, la première association africaine présente dans cet Etat est une association sénégalaise. Elle est régulièrement invitée par le maire, a pignon sur rue et a droit à tous les égards. Tout cela, c’est parce que les Sénégalais bénéficient d’un encadrement de qualité. Un encadrement à travers les dahiras. Et ces dahiras rappellent à chaque fois leur ancrage dans leur culture et la nécessité de rester eux-mêmes. Je pense que cela est important. Cet esprit de commune appartenance est un atout pour les Sénégalais.
Quel est leur statut ?
On a même des Sénégalais qui ont la double nationalité et qui sont des Américains. Il y a une deuxième catégorie de détenteurs de cartes vertes et qui ont un titre de séjour qui leur permet de vivre ici éternellement, de travailler, d’acheter des maisons etc. Les autres ne sont ni dans la première ni dans la seconde catégorie, autrement dit, ce sont ceux qui sont dans l’illégalité.
Combien sont-ils de Sénégalais à avoir des démêlés avec la justice américaine ?
Probablement une vingtaine ou une trentaine. Comme vous savez, je viens d’arriver. Mais les cas les plus graves ne dépassent pas deux ou trois condamnations à perpétuité. A part cela, les autres cas sont des détentions provisoires pour violation des règles de l’immigration. Mais je dirai aussi que, comparés à la plupart des étrangers qui vivent ici, les Sénégalais font très bonne figure.
Sur les deux qui ont été condamnés à perpétuité, à ma connaissance, des procédures avaient été engagées pour ; soit les rejuger, soit procéder à leur transfert au Sénégal. Le seul handicap qui fait que cela ne peut pas se faire c’est l’absence d’accord entre le Sénégal et les Etats-Unis dans ce cadre. Sur cette question, nous avions attiré l’attention des autorités sur la nécessité de voir comment négocier avec les Américains pour procéder au transfèrement de ces personnes condamnées afin qu’elles purgent leurs peines au Sénégal. C’est un processus qui n’est pas simple mais je pense qu’il a déjà commencé.
Pour quels délits ont-ils été condamnés?
La plupart sont des délits mineurs mais pour les fautes graves, il y a deux accusations de crimes et qui font l’objet de doute. C’est pour cela qu’il a été demandé que ces cas soient rejugés. Les associations de Sénégalais avec l’appui du Consulat général à New York et du consulat général à Huston, avec l’encadrement de l’administration, s’activent pour les assister.
Avez-vous un message personnel à adresser aux Sénégalais vivant aux USA
Absolument. Le message très simple. Il est de demander aux Sénégalais de rester eux-mêmes, ancrés dans leurs valeurs. Qu’ils éduquent leurs enfants dans la connaissance de leur pays d’origine, en développant la connaissance de leurs valeurs culturelles et religieuses. C’est le meilleur moyen de rester soi-même. Je pense que c’est le meilleur moyen de vivre en paix dans ce pays, car il n’y a rien de plus facile pour un Sénégalais qui a une carte de crédit, un compte bancaire, d’obtenir un logement ici.
sudonline.sn