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ENTRETIEN AVEC…Alioune FALL, journaliste, analyste politique : «Wade a laissé la proie pour l’ombre»

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Le Président Wade a nommé récemment Abdoulaye Makhtar Diop ministre de la Fonction publique. Avant lui, il y a Alassane Dialy Ndiaye et Mamadou Diop qui ont été nommés respectivement ministre chargé de la Provincialisation et de la Connectivité. Comment analysez-vous la nomination des anciens caciques du Ps à quelques mois de l’élection présidentielle ? Il faut essayer d’y voir la convergence de plusieurs facteurs en rapport à la personnalité de Wade, mais aussi sa perception et sa vision de la politique. Le premier facteur, c’est le fait que même à l’époque de l’opposition, Wade n’a jamais été très satisfait du profil de son groupe politique. On se rappelle de ce fameux mythe de la section bleue. A l’époque, à quelques exceptions près, le niveau de cadre le plus élevé du Pds, c’était l’instituteur. Wade disait à l’époque qu’il avait des cadres de haut niveau de l’Administration qui, compte tenu de leur position, ne pouvaient pas assumer le choix politique. Donc, il les appelait «section bleue». Après l’Alternance, il s’est avéré que cette section n’a jamais existé. Le premier constat qu’on a fait, c’est l’inexistence de cadres au Pds. Je me rappelle, dans l’opposition même, quand Aminata Tall a été nommée ministre en 1991. Inconnue dans les instances du Pds, les gens s’interrogeaient et Wade était obligé de leur servir l’argument qu’elle était une militante de la section bleue. C’est pourquoi on ne la connaissait pas. Ce que personne n’a jamais cru, parce que Aminata n’était pas une militante dans l’Administration, mais plutôt une enseignante. Donc, elle n’avait rien à cacher ; elle avait des rapports personnels avec Wade. Par contre, du point de vue de l’histoire de leur militantisme, Aminata, Idrissa Seck comme Macky Sall, appartiennent à la vague de militants venus après 1988. Donc, dans ces 10 premières années, le Pds n’avait presque pas de cadres. Quand Wade a pris le pouvoir, il a manifesté une sorte de fascination envers le Ps, au point qu’un responsable socialiste d’un certain niveau de reconnaissance symbolisait pour Wade le rêve inaccessible. Et c’est cela qui a expliqué qu’il ait jeté son dévolu sur les gens du Ps qui, quand même, ont manifesté le degré de leur sensibilité à l’usure. Et ce sont ces gens qui ont été battus en 2000. Ils n’ont pas pu faire gagner le Ps. Et on peut se demander, par quelle alchimie ils vont faire gagner le Pds ?

Malgré tout, Wade a été obligé de recourir à eux, en reléguant à la périphérie ses compagnons historiques. Donc, c’est un problème psychologique. Il y a aussi un autre facteur. Si vous écoutez bien le discours de Wade, vous voyez qu’il est un égoïste, également un égocentrique. Il a l’habitude de tout ramener à sa propre personne. Quelque part également, son motif d’insatisfaction par rapport à ses camarades militants historiques est lié au fait que ces gens ont partagé avec Wade l’histoire. Ils ont contribué aux combats. Ils ont été témoins des moments de faiblesse et de défaillance de Wade qui n’ont rien à voir avec la superbe qu’il affiche aujourd’hui. Ce sont des gens qui ont vécu les heures difficiles. Alors, dès que Wade a pris le pouvoir, il a voulu tout ramener à sa propre personne. Personne n’avait du mérite dans la conquête du pouvoir, en dehors de lui. Les partis de l’opposition, ses alliés, les Bathily, qui sont allés le chercher en 1999, alors qu’il était décadent et déclinant en Europe, pour le remettre en selle, n’avaient plus de mérite. Les gens qui l’ont accompagné pendant 10, 15, 20 ans dans l’opposition et qui, chacun, par rapport à ses moyens, ses possibilités, ont contribué à la conquête du pouvoir, Wade a toujours voulu leur nier un quelconque mérite. Ce n’était pas aisé, même si les gens, compte tenu du fait que c’est lui qui avait le pouvoir, et que donc ils n’avaient pas intérêt à se l’aliéner et qu’ils avaient tous intérêt à le ménager, baissaient la tête, quand Wade disait : «C’est moi qui suis élu ; je donne ce que je veux à qui je veux.» Or, la perception exacte des choses est qu’ils ont livré ensemble et gagné un combat. Chacun a une part de mérite personnel, indépendant de la volonté de Wade. Cette manie de dire : «C’est moi qui suis élu ; je nomme qui je veux. Je dégomme qui je veux, parce que tout me revient de droit», est une manière de nier le rôle historique et le mérite de ces gens. Même si les gens ne lui apportent pas une contradiction, c’est une situation dans laquelle il ne se sent pas à l’aise. Si vous voyez Wade être très attiré par les militants du Ps, par la société civile, des gens qui n’ont pas pris part à son combat, c’est aussi à cause de cela. Il a voulu reconfigurer son entourage pour avoir autour de lui des gens qui ne pourront pas le regarder les yeux dans les yeux, inspirant un sentiment du genre : «Nous étions avec vous dans les moments difficiles.» Il n’avait plus envie de voir ces gens au premier plan. Il avait envie de voir des personnes qui n’ont rien apporté à son combat et qu’il a recrutées juste par clémence, indulgence, par gentillesse ; et devant qui il peut bomber le torse pour dire : «Vous n’avez aucun mérite. Si vous êtes là, vous le devez essentiellement à ma générosité.»
Vous avez dit tantôt qu’il a fait appel à des gens qui ont été battus en 2000 et qui ne peuvent rien lui apporter. Peut-on dire qu’il court alors à sa perte ?
C’est évident. Il est vrai que la politique n’est pas une science exacte dont on peut tirer des lois, des conclusions fermes à partir d’un argumentaire scientifique. Si l’on considère l’évolution de Wade depuis son accession au pouvoir, on voit qu’il y a un certains nombres d’indicateurs, des tendances lourdes qui sont là. Mais, je précise que jusqu’ici je suis de ceux qui refusent de croire à une candidature de Wade en 2012. Ce serait pour moi une surprise de le voir en piste en 2012. Et même si cela se produisait, je ne parierai jamais sur ses chances de gagner. En vérité, tant que la contradiction était externe, on pouvait toujours penser que Wade pourrait mobiliser ses troupes et dans un élan de motivation extraordinaire les amener à se surpasser pour essayer de gagner. Mais, la nouveauté dans l’affaire, c’est que la grande contradiction à laquelle il fait face et qui va se développer d’ici la fin de l’année 2011 ne vient plus de l’opposition. Elle est la manifestation du cumul de frustrations de dix ans des gens du Pds qui étaient avec lui et qu’il a trahis.

Vous faites allusion à Aminata Tall et Idrissa Seck ?
Oui. Mais avant, beaucoup d’autres se sont manifestés. Qui parmi les ténors du Pds, entendez-vous dans le débat public ? Plus personne ne parle. Ils ne se retrouvent plus dans ce qui se fait. Ils ne s’approprient plus la cause de Wade. Idrissa, Aminta, ce sont les frondeurs. Pape Diop, où est-il ? C’est quelqu’un qui a rendu de très grands services à Wade dans l’opposition. Macky Sall a quitté et d’autres encore. Où est-ce que vous entendez parler d’un Ablaye Faye, par exemple ? Il est peut-être l’un des plus vieux militants du Pds, pas du point de vue de son âge mais de l’ancienneté de son militantisme. J’ai lu dernièrement Meïssa Sall, dans votre journal, qui est également l’un des tout premiers militants du parti. Même s’il reste encore dans le Pds, son discours n’est pas celui d’un homme satisfait. Donc aujourd’hui, le problème est que ceux qui auraient dû constituer le premier cercle de fidélité et de loyauté vis-à-vis de Wade, ont vu Wade éroder le lien de loyauté qui devait les lier. Il leur a donné toutes les raisons de ne plus lui être fidèles ni loyaux. Il a été le premier à faire preuve de trahison à leur égard. Donc, ces gens-là seront difficilement mobilisables pour une réélection de Wade ; même dans l’hypothèse d’une possible réélection. Donc, dans cette affaire, Wade a laissé la proie pour l’ombre. Ceux qu’ils considèrent comme des alternatives pour pouvoir le réélire, ne peuvent suppléer valablement ses compagnons historiques. A Dakar par exemple, les caciques socialistes déchus ne peuvent suppléer des gens Pape Diop, Kader Sow, Ablaye Sow, ou Ablaye Faye qui, même avec la dégradation d’image provoquée par l’exercice du pouvoir, conservent toujours une dimension symbolique. En date du 19 mars 2000, ils étaient des héros qui ont combattu et acquis le pouvoir. Or, en politique, les symboles sont très importants. Mais aujourd’hui, Wade, en pensant pouvoir éliminer politiquement ces gens-là parce qu’ils sont gênants, parce qu’ils ne répondent pas aux normes standard de compagnonnage définies par Wade, ne fait que malmener davantage son image. Je ne suis pas sûr que les Mamadou Diop et Alassane Daly Ndiaye vont lui apporter ce qu’il perd avec le lâchage de ses autres compagnons.

Pour le cas de Abdoulaye Makhtar Diop, certains se demandent, ce que sera sa position au Conseil municipal de Dakar…
Pour Abdoulaye Makhtar Diop, il est heureux qu’il ait comme maire quelqu’un comme Khalifa Sall qui symbolise la modération et la tempérance en politique. C’est le prototype même du jeune formé par le mouvement socialiste. Ils sont connus par leur courtoisie, leur élégance, leur sens de la mesure. Vous n’entendez jamais Khalifa tenir une certaine forme de discours. Et cela a même été utilisé par ses détracteurs et ses rivaux au sein du Ps, pour jeter le soupçon sur lui. Cela va jusque dans ses relations avec Wade, malgré cet épiphénomène. De toute l’opposition, il est celui qui entretient les meilleures relations avec Wade. Et de la même manière vis-à-vis de Abdoulaye Makhtar. Donc, je ne le vois pas faire de l’entrée de Abdoulaye Makhtar Diop dans le gouvernement un cas de rupture, pour se braquer contre lui. Par contre, ce qui est sûr c’est que Abdoulaye Makhtar, en tant que président de la Commission des finances de la ville, n’adoptera plus les positions fermes qu’il a défendues jusque dans la question des terrains. Mais également, compte tenu de son expertise et de son expérience, c’est lui qui a conduit la contre-attaque communicationnelle dirigée contre Wade et Aliou Sow. Et il fait mouche. Il a dit des choses percutantes et pertinentes qui, peut-être, ont amené Wade à revoir sa position. Si les choses étaient ce qu’elles étaient dans ce dossier-là, Abdoulaye Makhtar ne serait pas dans la même posture combative vis-à-vis de Wade. Parce que, malheureusement, comme on dit en Wolof : «Si quelqu’un te prête des yeux, tu regardes là où il veut.» Donc, s’il a accepté d’être dans le gouvernement, même élu local, il ne peut plus adopter certaines positions vis-à-vis de Wade.

lequotidien.sn

1 COMMENTAIRE

  1. slt alioune, je suis contente de te lire et de voir que tu gardes la même finesse dans l’analyse et la maîtrise de tes sujets de discussion.Sinon namenala.bonne continuation.Je suis fière de toi

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