Etats-Unis d’Amérique : les coups de feu de la haine raciale

Etats-Unis d’Amérique : les coups de feu de la haine raciale

Abou Bakr MOREAU, Enseignant-chercheur, Etudes américaines, FLSH, UCAD, Dakar

Aux Etats-Unis d’Amérique, en seulement un an, 123 (cent vingt-trois) jeunes hommes et femmes noirs ont péri entre les mains des forces de police. Et il y a moins d’une semaine, à quelque 24 heures d’intervalle, deux hommes noirs ont encore été tués par ces forces, Philando Castilo à St-Paul (Minnesota) et Alton Sterling, à Baton Rouge (Louisiana).

Depuis très longtemps, ce ne sont plus des incidents, des faits divers isolés ou de simples bavures policières comme il en arrive rarement ailleurs dans le monde. L’idée selon laquelle les policiers américains qui commettent des bavures seraient insuffisamment formés est aussi grotesque qu’inacceptable. Dans un pays où l’Etat se donne les moyens et va jusqu’au bout de ses politiques (expansionnistes, protectionnistes, guerrières, impérialistes) quand il le veut, c’est non seulement une absence de volonté politique de s’attaquer à ce phénomène grave, mais pis c’est la volonté de faire prospérer une injustice raciale qui est devenue la règle. L’assassinat des jeunes hommes noirs dans les rues des grandes villes américaines devenu monnaie courante depuis très longtemps est vraisemblablement un problème grave qui ne préoccupe que la communauté noire porteuse du mouvement Black Lives Matter, alors qu’il doit être un problème national. De grandes figures de la vie nationale n’ont donné de la voix que pour condamner l’embuscade des agents de police à Dallas et non la fusillade des deux hommes noirs qui en est à la base. Or, la fusillade des agents de police n’est que la fumée d’un feu qui couve depuis très longtemps et qui accentue les tensions entre les forces de police et la communauté noire.

Aux Etats-Unis, les policiers blancs responsables et coupables de l’assassinat de jeunes hommes noirs dans les rues des grandes villes du pays ou au volant de leur véhicule, ne sont jamais inquiétés ; ils sont, dans la quasi-totalité des cas, systématiquement acquittés, sans autre forme de procès. Et cela dure depuis au moins une génération, car il y a 25 ans, l’automobiliste Rodney King était arraché de son véhicule et passé à tabac par un groupe de policiers blancs dans une grande artère de la vie de Los Angeles. L’image avait fait le tour. L’acquittement des policiers avait soulevé une vague d’indignation et de protestation et déclenché des émeutes très graves à travers les Etats-Unis. C’est comme si c’était hier, tant l’histoire se répète sous les yeux du monde entier aujourd’hui, grâce à Internet et aux réseaux sociaux. 25 ans que cela dure ! 25 ans, c’est exactement l’âge de Micah Xavier Johnson, le jeune homme noir de Mesquite au Texas qui en tendant une embuscade aux policiers de Dallas le jeudi 7 juillet savait pertinemment qu’il courait le risque de sa vie. 5 agents ont été abattus et il y a eu sept blessés dont deux civils. Dans ce qui reste comme un testament, le jeune Johnson explique que son acte prémédité a été inspiré par les assassinats récents des jeunes hommes noirs comme lui. Les porteurs du mouvement Black Lives Matter qui se sentent légitimement outrés par la brutalité policière massive, meurtrière, et impunie contre les jeunes hommes noirs américains peuvent logiquement considérer que Micah Xavier Johnson est mort en martyr !

Rendez-vous compte : selon les chiffres officiels, en une année, une seule, les policiers américains ont tué quelque 509 (cinq cent neuf) personnes. Et au cours du seul mois de mars 2015, ils ont tué plus de personnes que la police du Royaume-Uni de Grande Bretagne durant tout le XXème siècle. Alors que les Noirs américains ne représentent qu’à peu près 14% de la population du pays, ils constituent cependant jusqu’à 25% des personnes qui périssent entre les mains de la police américaine, et, fait plus inquiétant encore, les bavures graves dont ils sont victimes restent, dans la quasi-totalité des cas, impunies.

Aux Etats-Unis d’Amérique, selon les chiffres de l’institut ProPublica, pour ne citer qu’un seul institut sur un phénomène auquel toutes les chaines de télévision du monde sont tellement habituées maintenant, un jeune homme noir âgé de 15 à 19 ans court 21 (vingt et une) fois plus de risques de se faire abattre par les forces de police qu’un jeune homme blanc du même âge. Dans les faits, quand il arrive que les Blancs aient maille à partir avec les policiers blancs, ces derniers s’assurent que leurs concitoyens interpellés s’en sortent sains et saufs au point que cela ne fait jamais l’actualité. En revanche, quand il s’agit de leurs concitoyens noirs, ils font vite de les neutraliser au sol, de dégainer leur arme à feu et de les abattre de plusieurs balles, plusieurs quand une seule balle est de trop, à la face du monde comme nous le montre l’actualité, sans arrière-pensée et surtout en toute impunité. Il n’est plus besoin, pour s’en convaincre, que de faire un tour sur le Net en tapant tout simplement le nom de jeunes hommes noirs sans défense, froidement abattus par des policiers blancs, des noms qui sonnent encore fraichement tant les faits sont récents : Trayvon Martin, Michael Brown, Eric Garner (« I can’t breathe »), Tamir Rice, Lavall Hall déficient malade, et j’en passe ! La liste est interminable.

A l’origine de la persistance du phénomène, et de son accentuation au cours des deux mandats de Barack Obama qui s’achèvent, il  y a le racisme d’une opposition Républicaine qui aura été tout sauf républicaine, une opposition qui se sera opposée  systématiquement à toutes les réformes (la réforme de l’assurance-maladie ACA (Affordable Care Act) rebaptisée Obamacare pour être tournée en dérision, la réforme de l’immigration, la réforme visant à un contrôle plus strict de la circulation des armes à feu, etc.) inspirées par le président Obama d’une façon qui ne s’est jamais passée dans l’histoire du pays et dans l’histoire de son Parlement. Ce n’est donc pas cette opposition farouchement opposée à des consensus sur des questions aussi transversales et nationales que l’assurance-maladie, l’immigration et le contrôle des armes qui se pencherait sérieusement sur la brutalité policière fatale et injuste dont la communauté noire est la victime.

C’est aussi le racisme de toutes les voix autorisées, leaders d’opinion dans la société civile américaine (des hommes de médias connus et reconnus jusqu’aux prédicateurs blancs qui tout en se déclarant profondément religieux notamment dans le Sud profond du pays, ne se prononcent jamais sur ce qui ressemble bien à un massacre racial et générationnel organisé, bien planifié contre les jeunes noirs, jamais non plus sur les populations civiles massacrées en Afghanistan, en Irak et ailleurs dans le monde, au nom de la « guerre contre le terrorisme », pas même pour réaffirmer le principe fondamentalement religieux de la sacralité de la vie humaine, encore moins l’amour de son prochain) qui observent un silence hypocrite, complice et coupable. Il ne fait aucun doute que si un seul de leurs proches en venait à périr entre les mains des policiers, ils cesseraient d’être indifférents. Quand dans des situations d’injustice on choisit de rester « neutre » ou indifférent, c’est qu’on a choisi le camp de l’oppresseur. Dans le cas d’une injustice raciale reconnue et systémique, c’est du racisme. C’est le racisme qui consiste à nier que c’est du racisme, le racisme négationniste, exactement comme l’antisémitisme implicite dans la négation du génocide nazi perpétré contre les juifs. Il y a un peu plus d’un an, dans le sud du pays où les relents racistes sont encore plus saisissables, précisément en Caroline du Sud, un jeune homme blanc est entré dans une église de la communauté noire et a froidement abattu des fidèles en pleine prière. Malgré tout, aucun prédicateur blanc d’envergure n’a élevé la voix contre ce massacre à l’intérieur d’un cadre aussi symbolique. Dans un pays où il y a juste quelques décennies, les Noirs étaient interdits de culte et voyaient leurs églises mises en feu au point qu’ils ne pouvaient pratiquer la religion que dans la clandestinité totale, c’est comme si tous les prédicateurs blancs qui avaient l’obligation morale de se prononcer contre ce massacre voulaient voir le pays retourner à cette pratique ignoble.

Aux Etats-Unis, c’est le FBI qui a démantelé l’American Indian Movement, le Chicano Movement, et le Black Power Movement, et pourtant un mouvement aussi subversif, ouvertement raciste et hors-la-loi que le Ku-Klux-Klan est plus que jamais en activité en 2016. Le sulfureux, raciste et xénophobe candidat Républicain à la présidentielle de novembre Donald J. Trump ne s’est nullement gêné de s’afficher avec les responsables du mouvement qui lui ont promis leur soutien à l’élection, ce qui montre que non seulement ils ont pignon sur rue mais en plus ils ont encore des complicités et des relais au sein de la société américaine. Aux Etats-Unis, l’élection du premier président noir Barack Obama en 2008 a réveillé tous les mouvements xénophobes et racistes qui étaient endormis depuis des décennies. Une étude du Southern Poverty Law Center indique qu’entre 2007, soit une année avant l’avènement de Barack Obama et l’année 2012 qui marque la fin de son premier mandat, quelque 119 (cent dix-neuf) nouveaux groupes et associations de haine, effectivement constitués et réellement actifs sont nés aux Etats-Unis, portant le nombre total de tels groupes et associations à 1007. Dans les faits, ce sont des groupes structurés, ayant non seulement des plans d’action mais aussi et surtout, chose plus inquiétante, des relais dans des centres de décision aussi importants que le Congrès américain et la police, incontournables dans l’élaboration des lois et leur application.

A terme, c’est à l’aune de l’influence de ces groupes et associations racistes et ultraréactionnaires qu’il faut mesurer l’impuissance du président Obama à changer le cours des choses pour enrayer le massacre racial et générationnel dont les jeunes hommes noirs sont victimes à cause de la police américaine !