Étymologiquement, le mot « intellectuel » vient du latin « intellectualis » qui renvoie à l’intelligence et à la connaissance. Il aurait été employé en France comme adjectif au XIIIe siècle pour établir une différence le travailleur manuel et le travailleur intellectuel (M. Diouf, Intellectuel, 2017 :12). Ainsi l’intellectuel se rapporte au travail de l’esprit. En ce sens, tous les penseurs, savants, universitaires, écrivains, philosophes, étudiants, avocats, artistes, journalistes et autres domaines similaires sont des intellectuels.
Son usage devient courant au XIXe siècle, car le mot « intellectuel » émerge en 1898 en pleine affaire Dreyfus. Le capitaine Alfred Dreyfus (1859-1935), de confession juive, avait été condamné par le Conseil de guerre, le 22 décembre 1894 à purger une peine de déportation à perpétuité pour avoir transmis des secrets militaires à l’Allemagne qui avait infligé une défaite cuisante à la France en 1870. Cette affaire émut et divisa la société française entre les partisans de Dreyfus, les dreyfusards, et ses adversaires, les antidreyfusards.
Émile Zola (1840-1902) célèbre écrivain de l’époque, auteur du monumental Germinal, convaincu de l’innocence du capitaine Dreyfus, prit position aux côtés des dreyfusards au nom de la vérité et de la justice. Ainsi il publia le 13 janvier 1898 dans le journal L’Aurore, son texte mémorable et « impérissable » intitulé J’accuse… ! (Lettre à M. Félix Faure, président de la République) dans lequel il met en cause les dignitaires de l’armée et du gouvernement, qui par la haine dont l’antisémitisme se nourrit, cherchaient un bouc émissaire à travers la personne innocente de Dreyfus.
L’action de ces intellectuels, particulièrement de Zola (en la circonstance exilé en Angleterre et condamné par contumace par les tribunaux), permet à l’enquête de se poursuivre jusqu’à dénicher le véritable coupable. Ce moment de tensions et de « guerre » entre dreyfusards et antidreyfusards voit l’émergence d’une force nouvelle appelée « les intellectuels ». Ces derniers sont à l’origine de la création de la Ligue pour la défense des droits de l’homme lancée le 04 juin 1898 qui a pour mission de défendre toute personne dont la liberté est menacée ou le droit violé. La pression des intellectuels aboutit à la première révision du procès de Dreyfus en 1899 avec une peine plus légère de dix ans de détention. Enfin, après la mort de Zola (empoisonné le 28 septembre 1902), le 12 juillet 1906 la Cour de cassation réhabilite et réintègre, définitivement, Dreyfus dans l’armée. Ce procès aura secoué toute la France pendant douze longues années (1894-1906) et verra naître le mot « intellectuel » dans l’acception qu’on lui donne aujourd’hui.
Par conséquent, l’intellectuel n’est pas une affaire d’érudition ou de diplômes académiques, parce qu’il est fondamentalement lié à l’engagement dans le débat public. Il met la science au service de l’humain. De ce point de vue, il n’est pas un universitaire englué dans l’académisme fuyant les questions qui traversent la vie de la cité. L’intellectuel accepte de sortir du confort de son laboratoire pour dénoncer l’injustice et le mensonge. Il décide de descendre de son « oligarchie académique, culturelle et universitaire » pour éclairer la conscience de ses concitoyens. Comme le souligne Michel Winock (Le siècle des intellectuels, 1999 : 35) : « Les deux maîtres mots du combat intellectuel […] sont […] : justice et vérité ».
Karl Marx n’utilise pas le mot « intellectuel », mais la figure du philosophe telle qu’elle apparaît dans ses écrits de jeunesse renvoie à l’intellectuel engagé dans la société au service de la vérité, de la raison et de la justice. Marx a pris position de manière claire pour défendre les victimes. Il a mis la science au service des pauvres pour mettre à nu la domination du capitalisme afin de construire une société nouvelle où règnent la liberté et l’égalité. La science doit être au service de l’humanité. C’est cette idée fondamentale qui oriente tout l’engagement intellectuel et philosophique de Marx.
Dans cette manière de voir les choses, le philosophe a pour tâche fondamentale de dévoiler les mécanismes de domination et d’aliénation de la société. Il met l’arme de la critique au service des dominés et des exclus de la société. Ils doivent sortir de l’aliénation pour entrer dans le « royaume de la liberté ». Il s’agit de démolir toutes les chaînes de servitude dans la société pour la libération totale de l’homme, détruire la société ancienne fondée sur la violence de l’injustice, pour la naissance de la société future. Le philosophe n’est plus dans la production d’un savoir spéculatif sans rapport avec la réalité. Il vit dans le monde, il habite le monde, il transforme le monde. En ce sens, l’intellectuel, le philosophe ou l’expert ont pour mission d’aider les victimes à prendre conscience de leur situation de dominés afin de construire un nouvel ordre fondé sur la justice.
Ainsi, on s’aperçoit que l’intellectuel est essentiellement un hérétique (A. Infranca, 2004 :125), c’est-à-dire qu’il est capable de prendre ses distances, de se rebeller de l’orthodoxie d’un pouvoir fondé sur la domination et la violence. Émile Zola en est l’exemple le plus achevé. Il ira toujours à contre-courant du pouvoir pour écouter la voix de ceux qui souffrent, c’est-à-dire les victimes (les exclus, les pauvres et les dominés). Un intellectuel ne joue pas le rôle de rossignol de l’empereur ; il est un éclaireur des consciences, car il obéit à la voix de la raison, de la vérité et de la justice. Par conséquent, il est un subversif, parce que la lumière de la science critique délie les chaînes de la servitude. En réalité, il remplit avec courage sa fonction critique contre la corruption du pouvoir.
C’est la raison pour laquelle l’intellectuel est souvent considéré comme un dangereux agitateur politique. En ce sens, il s’expose à de grands risques et à la répression du pouvoir. Dans la Grèce antique, un jour Socrate était à l’Assemblée et s’était rendu compte que ses concitoyens voulaient juger injustement six amiraux, parce que simplement ils avaient perdu une bataille. Les accusés s’étaient conduits pourtant de manière courageuse. Socrate fit face seul contre l’Assemblée des quatre cent quatre-vingt-dix-neuf autres. La fonction critique des intellectuels intrigue les dominateurs.
Le chemin de l’engament intellectuel est jalonné de souffrances et de privations : l’exil, la prison, l’empoisonnement et la mort. Socrate est l’exemple emblématique de l’intellectuel critique et engagé jusqu’au dernier soupir pour rester fidèle à la lumière de la vérité. Mais il n’a pas peur, il affronte la cruauté du pouvoir corrompu par l’arme de la raison et de la vérité. L’intellectuel dénonce les injustices, critique l’idéologie du système dominant, écoute la voix de l’Autre (le dominé) et l’aide dans le processus de libération et de la construction de la société future de liberté.
L’intellectuel, c’est ce penseur qui, suivant la tradition de Socrate, Galilée, Zola, Marx, Gramsci, Sartre, Fanon et Cheikh Anta Diop, met la science au service de la vérité et de la justice. Par exemple, dans le Sénégal d’aujourd’hui, Mody Niang « coryphée de la Maât, qui assume, avec courage et lucidité, la tâche ingrate d’exprimer une pensée critique dans un environnement essentiellement hostile » (D. Samb, L’heur de philosopher la nuit et le jour, I, 2017 :7) est le symbole de l’intellectuel engagé. Il met depuis quatre décennies sa plume au service du progrès économique et social, de la dénonciation de la corruption et de l’éveil d’une nouvelle conscience.
Pour conclure, l’intellectuel, n’est pas un « observateur non-engagé », il choisit le camp de la communauté des victimes au nom de la dignité humaine. Il assume sa responsabilité devant l’histoire en s’exposant à de hauts risques. Il prend toujours le pari de la justice et de la vérité. En définitive, Mody Niang est un moment de la conscience de notre démocratie. Le Sénégal a besoin de cette belle plume pour lutter encore contre la corruption et l’oppression.
Dakar, le 24 novembre 2020
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Secrétaire général de Fds
Qu’on l’aime ou qu’on l’aime pas , il a une belle plume, généreux, sincère, affable et il aime son pays avec engagement. Il est intarissable. Il va nous manquer Même une fois l’an, il devrait continuer a écrire au besoin. Nous sommes des êtres sociaux et il faut participer avec présence. Sinon c’est comme écrivait Sénèque, mourir avant terme