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[Vidéo – Texte] EVENEMENTS DU 17 DECEMBRE 1962 ENTRE SENGHOR ET DIA Les péripéties d’une fratricide confrontation*

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Ce qu’il est convenu d’appeler les événements du 17 décembre 1962 a opposé les deux hommes forts de l’Exécutif sénégalais de l’époque : le président Senghor, brillant intellectuel agrégé de grammaire fait équipe depuis près de deux décennies avec Mamadou Dia, président du Conseil de gouvernement du Sénégal, instituteur et non moins économiste de renom, formé à la prestigieuse école normale William Ponty de Dakar et proche du peuple par ses positions doctrinales socialistes. Deux hommes aux styles différents, mais tout aussi complémentaires. Malheureusement, la cohésion de cette équipe de choc n’a pu ou su faire face aux intrigues de clans de leurs partisans respectifs qui ont, par un jeu subtil, finalement dressé les deux grands leaders l’un contre l’autre.

Les causes lointaines sont liées d’abord au style, voire à la personnalité des deux hommes d’Etat. Ceci a constitué un terreau fertile pour leurs partisans zélés. Un conflit latent s’en est suivi dont l’éclosion sera favorisé par la nature même du régime politique qui avait cours, à savoir : le bicéphalisme de l’exécutif, avec un président du Conseil plus fort que le président de la République, en termes d’attributions.

Mais la cause immédiate de cette crise quasi-congénitale du nouvel Etat du Sénégal a pris naissance le 14 décembre 1962. Au cours d’un bureau politique du parti-Etat, le Bps (Bloc populaire sénégalais), Léopold Sédar Senghor se signala par une phrase laconique sortie à la fin de la rencontre : « Camarades, ça ne va pas dans le parti ! Il faut que nous nous réunissions les 15 et 16 décembre pour examiner ce qui ne va pas dans le parti ». La réunion du Bps s’est effectivement tenue, vendredi 15 décembre, mais à ce moment-là, une motion visant à limoger Mamadou Dia et son gouvernement était déjà déposée sur le bureau de le l’Assemblée nationale.

Les partisans du président du Conseil, dont ValdiodioNdiaye, le ministre de l’Intérieur de l’époque, apostrophèrent Senghor. Ils plaidèrent de discuter d’abord de la motion de censure avant de se pencher sur ces « difficultés » du parti. De palabres en conciliabules, décision fut prise de convoquer un comité national, avec auparavant, une rencontre avec le groupe parlementaire, programmé lundi 17 décembre à l’Assemblée nationale. Les deux têtes de l’Exécutif se retrouvent dans la matinée à l’hémicycle, mais la rencontre avortera du fait que la conférence des présidents avait malgré tout maintenu le vote de la motion de censure.

L’interpellation du président Mamadou Dia fut vive face au président. « Vous avez entendu, ils ont décidé de voter la motion de censure. Je ne leur permettrai pas de se réunir avant le Conseil national du parti de lundi prochain, comme convenu », lui a-t-il indiqué. C’est là qu’est intervenu le grand clash, et Senghor et Mamadou Dia se retirèrent avec fracas de l’Assemblée nationale, pour regagner leurs antres respectifs du Palais présidentiel et du 9ème étage du Building administratif. Requise par le président du Conseil, la gendarmerie nationale empêcha la réunion des députés pour le vote de la motion de censure. Mais les parlementaires ont pu s’extraire de l’Hémicycle, pour finalement faire tomber le gouvernement de Mamadou Dia, au domicile du Président Lamine Guèye, sis Boulevard de la République, avec une majorité de 48 députés sur les 80 que compte l’Assemblée nationale.

Mais, pour l’essentiel, l’Armée, alors sous le commandement du général Amadou Fall fera montre d’une certaine neutralité inspirée par Mamadou Dia, qui était en même temps le ministre en charge de la Défense. Ce dernier considérait que c’était une affaire de parti politique. Pendant ce temps, une fraction d’entre elle, le bataillon des parachutistes de Rufisque sous la direction du Colonel Pereira, était venu en renfort, pour protéger le président Senghor et le Palais de la République. C’était sur réquisition de l’aide de camp du chef de l’Etat. Constatant cette situation de fait, le président du Conseil qui, dit-on, croyait la sécurité de son mentor menacé, requit l’Armée pour protéger Senghor. Mais, au terme d’un jeu d’alliances au sein de l’Armée, le président de la République finit par remporter la partie.

Des acteurs de l’époque dont Mansour Bouna Ndiaye, à l’époque membre du Bp du Bps, ont fait état du rôle éminent joué par la France par l’intermédiaire de son Haut représentant à Dakar (nom qui désignait l’ambassadeur à ce moment). Etier de Bois Lambert, que l’on disait favorable au camp de Senghor aurait joué ainsi un grand rôle dans la désignation du colonel Jean-Alfred Diallo, comme nouveau chef d’Etat-major général des Armées sénégalaises, en remplacement du général Amadou Fall, dégradé et mis aux arrêts à Gorée.

Influences politiques françaises

Il faut dire que la France, avec alors une communauté d’expatriés estimée à quelque 30 000 membres, dont sept à huit mille militaires, avait ses intérêts à défendre. Elle détenait les secteurs clefs de l’économie et Senghor, jugé plus francophile, était plus populaire chez les ressortissants de l’Hexagone que Mamadou Dia, catalogué communiste et donc plus intransigeant vis-à-vis du capital privé des expatriés de l’Hexagone.
On peut aussi noter la précipitation avec laquelle, la nature du régime politique a changé. C’est ainsi que, dès l’après-midi du 18 décembre, les députés ont désigné debout, et par acclamation, Léopold Sédar Senghor, comme le chef unique de l’Exécutif.

Un gouvernement fut nommé avec la présence de personnalités d’origine française comme André Peytavin aux Finances, André Guillabert, mais aussi des personnailités proches des intérêts économiques français comme Pierre Senghor, proche parent du poète-président.
Reclus à sa résidence officielle de la Médina (actuelle maison de la culture Douta Seck), Mamadou Dia et deux de ses ministres (Ibrahima Sar et Joseph Mbaye) furent arrêtés dans l’après-midi du déc18 décembre, tandis que ValdiodioNdiaye s’est livré lui-même à la police.

« Si c’était à refaire… »

Le président du Conseil et ses compagnons furent lourdement condamnés au terme de leur procès en mai 1963. Sur la sellette, ses trois ministres et camarades de parti ont affirmé à la barre être fiers d’être sur le même banc que Mamadou Dia. Quant à l’ex-président du Conseil et désormais prévenu, il ne montra aucun remord devant ses juges de la Haute Cour de justice, composée outre les magistrats, de six députés – les mêmes qui ont voté la motion de censure contre son gouvernement.

Le président Mamadou Dia, de son côté, jeta à la face de ses juges : « Si c’était à refaire, je recommencerais, bien que j’aie été usé, écœuré, après des années de gouvernement et plusieurs mois de dénigrement. Je n’ai rien demandé. Si je suis resté, c’est parce que je considérais que c’était de mon devoir de faire face à la situation ». De l’eau dans le bissap de ceux qui considèrent que Mamadou Dia n’a jamais fait de coup d’Etat et qui plaident pour la réouverture de son procès, voire sa réhabilitation.

* Des entretiens que nous avons réalisés avec deux acteurs de l’époque, feu Mansour Bouna Ndiaye (février 2008 à Louga) et M ; Philippe Decraene (mars 2011 à Paris), ancien responsable service Afrique au quotidien « Le Monde » et envoyé spécial de ce journal en décembre 1962 et mai 1963 à Dakar, nous ont été d’un précieux apport.

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