Selon des témoignages, les terres de Djeuss Nord sont restées pendant 30 ans sans connaître un début d’exploitation faute de système d’irrigation et de moyens. L’arrivée du projet rizicole de la Compagnie agricole de Saint-Louis, qui veut s’implanter sur plus de 4 000 ha, n’est pas sans bénéfice et inquiétudes pour les populations impactées. Ces dernières détiennent une légitimité sur les ressources foncières. Une préservation de leurs droits a fait l’objet d’un protocole d’accord qui lie l’agrobusiness à la commune de Diama. A l’épreuve de la mise en œuvre, Le Quotidien a cherché à en savoir un peu plus sur le respect des droits des pasteurs et des paysans qui cohabitent avec cette société dans cette partie du Delta du fleuve Sénégal.
Loin de l’étiage, les défluents Gorom, Lampsar et Djeuss alimentent les chenaux qui irriguent ce secteur du Delta du fleuve Sénégal. D’une part, l’émissaire réalisé dans le cadre du Millenium challenge account (Mca) est opérationnel. D’autre part, long de 8 km, le canal de la Compagnie agricole de Saint-Louis (Casl) porte l’eau dans les parcelles rizicoles aménagées pour les villages riverains. Ainsi, la vallée du Djeuss Nord, ce secteur à vocation agro-pastorale de la commune de Diama, rompt avec la jachère qui frappait son potentiel foncier de 20 mille hectares. Alors que le soleil perd des celsius au thermomètre du fait des effets de l’alizé maritime qui balaie l’ancienne capitale du Sénégal, la saison de la moisson s’ouvre dans le Delta. Les femmes, assises à même le sol, tamisent le riz paddy. Dans les parcelles de Casl, la mécanique assure la récolte. Une moissonneuse batteuse aux allures d’un tank roulant parcoure les lignes, abat les tiges et trie la céréale. Il ne restera qu’une mise à sac du produit brut.
Fidèles à leurs méthodes manuelles, les villageois de Diadiam 3 et de Rône sont dans la ferveur de la moisson. S’il en est ainsi cette année, s’accordent-ils, c’est parce l’eau du fleuve a pu couler dans leurs périmètres. «On avait 160 ha qu’on n’avait jamais pu cultiver. Maintenant, on en cultive 60. Le reste est exploité par la compagnie. A peu près, 1 500 personnes y ont des périmètres rizicoles. Ces terres sont restées ici depuis plus de 30 ans sans qu’on ne les cultive, faute d’eau», confesse Mahmout Fall, riziculteur et par ailleurs président de la Section villageoise de Rône.
Mécanisme d’acquisition des terres
L’ouvrage hydraulique a facilité l’acceptation du projet de la Casl. Celui-ci avait besoin des terres des paysans pour se déployer. Trouver mécanisme de compensation des terres perdues n’était pas facile au départ. «Finalement, on a convenu d’un commun d’accord que 40% des terres irriguées reviennent aux riziculteurs villageois et les 60% à la compagnie», renseigne M. Fall. Ce même type de compromis a fait recette au village le plus impacté du projet rizicole. Djiby Sèye, conseiller du chef de village de Diadiam 3, souligne que «des compensations ont été payées à ceux qui avaient commencé à mettre en valeur». Le promoteur, poursuit-il, a commencé par expliquer aux populations, l’intérêt du projet. «C’est après toutes ces concertations que la procédure de désaffection et d’affectation des terres a été enclenchée par le Conseil municipal.»
Le résumé de l’étude d’impact environnemental et social réalisée par la Banque africaine de développement (Bad) montre que le projet vise à réaliser «des aménagements collectifs avec maîtrise totale de l’eau comprenant un réseau de chenaux calibré pour 3 500 ha, un réseau de collecteurs de drains et une station électrique d’exhaure des eaux de drainage couvrant un bassin de 4 250 ha, des lignes électriques, des pistes et un périmètre irrigué pour la riziculture de 2 024 ha exploités en régie». Verront également le jour «un réseau de canaux d’irrigation et de drainage des pistes et des bâtiments d’exploitation corps de ferme». A terme, 1 250 ha seront mis à la disposition des agriculteurs locaux. Ahmadou Fall, conseiller municipal à Diama, de confier : «On ne pouvait pas exploiter nos terres là avec nos simples bras. La preuve est que les terres sont là depuis 30 ans. Elles servaient d’espace d’errance pour le cheptel. On s’en félicite, car les villageois avaient un problème lié à l’accès à l’eau pour cultiver la terre. La compagnie a fait mieux que la Saed. Les jeunes, qui partaient à Dakar, ont commencé à rester.» Toutefois, le Plan d’occupation et d’aménagement des sols, réalisé par la Saed, a aidé à lever les équivoques car on avait déjà attribué «au site ciblé par le projet une vocation agricole».
Au mois de mars passé, la compagnie a signé un protocole d’accord avec la commune de Diama. Selon son responsable qualité, environnement et social, Aïssamby Diémé, la Casl s’y est engagée à irriguer les parcelles rizicoles réservées aux paysans, à ne pas déplacer de village. En plus du recrutement de la main d’œuvre locale, des femmes tirent profit des limites de la moissonneuse batteuse incapable d’atteindre toutes les lignes des rizières. Ainsi, les femmes des villages Diadiam 3, Rône, Maraye, Ndigueu, Polo, s’arrachent laborieusement du riz dans les parcelles de la Casl. «Dans chaque hectare, on peut avoir 250 kilogrammes de riz paddy à l’hectare», déclare Ndèye Maguette Diaw, désignée par ses pairs pour porter leur parole.
Un capital de fourrage
Cependant, la réalisation du projet rizicole a perturbé les activités pastorales car la zone mise sous exploitation était aussi une source de pâturage pour les bergers. Les défrichements à base de moyens mécanisés ont entamé le tapis herbacé. Le protocole d’accord signé fait obligation à l’agrobusiness de «réaliser des couloirs et des abreuvoirs».
Dans les abords de ses parcelles, la société a aménagé six mares d’eau destinées au cheptel. Par ailleurs, ça ne transhume guère dans le Djeuss. Conformément à l’accord, la paille de riz est mise à la disposition des pasteurs pour pallier les défrichements et la disparition du tapis herbacé. Ce fourrage est devenu une aubaine. C’est le lieu d’un troc florissant. Les éleveurs engagent des prestataires. Disposant d’une logistique, ces derniers traitent la paille de riz et la conditionnent dans le site de stockage. «Ces prestataires prennent 60% de la paille et, nous, le reste. Les gens viennent de plusieurs localités du Sénégal pour chercher la paille de riz ici», se réjouit Ahmadou Fall, paysan et élu local.
A en croire Aïssamby Diémé, outre l’accès à l’eau aux paysans et aux éleveurs, la Casl a offert 300 tonnes de paille de riz durant la campagne de contre-saison 2015 conformément à l’accord. Par contre, dit-il, «les populations se sont engagées à éviter que les animaux, qui divaguent, détruisent les parcelles mises sous exploitation».
Filiale du groupe français Arthur Straight investissement, la Compagnie agricole de Saint-Louis se positionne en leader dans la filière riz. Pendant que le Président Macky Sall exécute son Programme national d’autosuffisance en riz, l’agro-industrielle exploite 540 ha, avec un rendement moyen de six tonnes à l’hectare. Dirigée par Laurent Nicolas, la société figure déjà parmi les gros agrobusiness qui écument le Delta du fleuve Sénégal.
La Bad et la Bei en appui
D’un investissement estimé à 28 milliards de francs Cfa, la filiale du groupe français Arthur Straight investissement a un accord de financement avec la Banque européenne d’investissement (Bei) pour 15 millions d’euros. Pour atteindre les 4 500 ha visés, Casl a également sollicité l’appui financier de la Bad. C’est dans ce cadre que la Banque panafricaine s’est intéressée au respect des droits de la communauté impactée. Le bailleur cherchait à savoir si les mesures sociales sont conformes à son «Système de sauvegarde intégré».
En attendant que toutes ses opérations de fundraising aboutissent, la compagnie fonctionne sur fonds propres, d’après la direction basée à Saint-Louis. Le projet rizicole vise à promouvoir la sécurité alimentaire au Sénégal en produisant du riz blanc pour le marché local. En cultivant 4 mille hectares dans le Delta du fleuve Sénégal, le promoteur veut produire 56 mille tonnes de riz paddy par an. Afin de commercialiser 45 mille tonnes de riz blanc, il lui faudra signer des contrats de production avec des agriculteurs pour un minimum de 9 mille tonnes par an de riz paddy. Ce produit brut exige un traitement, s’il doit s’imposer sur le marché national.
A la lisière du village de Raynabé 1, une usine de production de riz blanc est en train de voir le jour. Le chantier est très avancé. «L’objectif est de manufacturer 100 mille tonnes par an», assure M. Diémé.
Le jour de notre visite, les ouvriers étaient en train d’installer les séchoirs. Sonar Kor confie que les travaux de montage des silos ont été confiés à la société Hydra, pendant que le marché de construction de l’usine de décorticage est attribué à 2ai, une entreprise ivoirienne. La sortie des premiers sacs de riz blanc est prévue pour 2017. Il a fallu amener de l’eau de Ross Béthio, chef-lieu de commune situé à 15 km du village de Raynabé 1. Les 436 habitants de Raynabé 1 ont obtenu, quant à eux, une borne fontaine. Les femmes se sentent déjà soulagées. «On transportait de l’eau de Ross Béthio ou du canal de la Saed à l’aide de charrettes. Maintenant, ce calvaire est un souvenir. En plus, nous avons des jeunes qui travaillent dans le chantier», savoure Penda Sow, la gestionnaire du robinet. En l’absence du chef de village, Aliou Agne a été désigné pour parler au nom du village. «Avec la borne fontaine, on a le temps de faire le nécessaire pour subvenir à nos besoins. En plus, nous avions ici des problèmes de stockage et de décorticage du riz paddy. Le son de riz peut aussi aider à nourrir le bétail», souligne-t-il. Autant de motifs d’avoir l’eau à la bouche.
Le Quotidien