La Bourse a décidément des humeurs déroutantes. Les tambours et trompettes annonçant l’introduction de Facebook sur le marché des valeurs technologiques, le Nasdaq, promettaient une furie de tous les records. Les commentaires sur les dangers du comportement moutonnier des investisseurs, acteurs consentants des bulles et des krachs, étaient prêts à être servis.
Mais, patatras ! D’orgie, il n’y eut pas, vendredi 18 mai à New York. Le réseausocial auquel 900 millions de Terriens se connectent régulièrement, a vu son action clore sa première séance à 38,23 dollars, soit 23 cents de plus que le prix auquel les investisseurs avaient acquis les actions auprès des banques chargées de l’opération. Pour les professionnels de la Bourse, cette hausse de 0,61 % en guise de baptême du feu, est minable. Synonyme d’un échec de l’introduction en Bourse de l’année.
Que s’est-il passé ? Les moutons feraient-ils désormais preuve de discernement ? Rien n’est moins sûr. Surtout, gardons-nous de tirer des conclusions sur l’avenirboursier de Facebook et sur l’avenir de cette entreprise. L’histoire financière est émaillée d’introductions en Bourse en fanfare qui terminent quelques semestres plus tard en effondrement ou de débuts poussifs qui se transforment en success stories. Et, par définition, on ne le sait qu’après…
Une chose est sûre : le prix auquel le marché évalue cette société d’à peine huit ans, 105 milliards de dollars à la clôture vendredi, a de quoi donner le tournis. Cela représente vingt-six fois son chiffre d’affaires des douze derniers mois.
Mais, bulle ou pas bulle, là n’est plus la question. Le pari des investisseurs sur la capacité future du réseau social à transformer son audience en dollars est un pari sur la capacité de Facebook à transformer nos vies. Rien de moins. Derrière le juvénile Mark Zuckerberg, affublé de son éternel hoodie (sweat à capuche), c’est une machine d’une rare puissance qui est à l’oeuvre. Ce lieu virtuel où s’échangent les informations des plus futiles aux plus intimes, des photos de famille ou des titres de musique, où se côtoient des copines de collège, le président Obama et la chanteuse Lady Gaga, des entreprises, des clubs de foot ou des journaux comme Le Monde, ce lieu virtuel transforme l’Internet. Les « amis » sur Facebook deviennent des guides, des prescripteurs, plus écoutés que les algorithmes de Google.
Facebook n’est déjà plus cette start-up sympathique née sur le campus d’Harvard. C’est un prédateur engagé dans une lutte acharnée avec pour but ultime la domination des réseaux. Car seul le numéro un s’en sortira. La fébrilité à l’égard du mobile, dont chacun sait qu’il en sera demain la porte d’entrée, en témoigne. Même si personne ne sait encore comment monnayer cet usage.
Facebook a montré en avril, en surpayant Instagram, une application photo pour mobile, sa détermination à tuer dans l’oeuf tout ce qui serait susceptible de lui faireun jour de l’ombre. Son introduction en Bourse décuple sa puissance de feu.