Nous n’avons pas de leçon à donner et il ne s’agit pas de faire prévaloir un ordre «civilisationnel» mais tout simplement de rappeler le droit: Ouatarra a gagné les élections.
La Côte d’Ivoire vit une tragédie. Celle d’avoir organisé un processus électoral dont le dénouement lui est volé. C’est grave pour la démocratie en général; c’est terrible pour l’un des plus éminents pays du continent africain. L’ONU avait donné des garanties sur le bon déroulement du scrutin. Elle paraît hélas incapable d’assurer, au-delà de la proclamation du vainqueur, son installation dans le fauteuil présidentiel.
La faute est d’abord celle de Laurent Gbagbo et de son système. Héritier d’un processus électoral contesté, il a, pendant 10 ans, dirigé son pays sans légitimité démocratique, autre que celle de sa première élection. Certes, il a affronté une rébellion dans le nord. Certes, il a connu lui-même la violence. Certes, il fut un opposant courageux à Houphouët-Boigny, quand celui-ci présidait la Côte d’Ivoire sous un régime de parti unique.
Mais rien ne pouvait justifier qu’il puisse utiliser le thème de l’«ivoirité» pour écarter pendant des années son rival. Rien ne pouvait expliquer, sauf la peur d’être lui-même renversé, le recours à des milices ou à des commandos pour terroriser ses adversaires. Rien ne pouvait commander au nom de l’habileté, dont il était, paraît-il passé maitre, l’instrumentalisation des difficultés de son pays pour reporter une élection présidentielle tant de fois entrevue. Et je n’oublie pas les opérations qu’il a menées contre les troupes françaises qui étaient là au nom de l’ONU pour séparer les belligérants. Toutes ces raisons font que, comme Premier secrétaire du Parti socialiste en 2004, j’ai considéré que Laurent Gbagbo était devenu «infréquentable». Il est dommage que certains, y compris au PS, ne s’en soient pas rendu compte suffisamment tôt et aient continué à lui prodiguer encore récemment je ne sais quel signe de cordialité, pour ne pas dire de soutien. Du côté de l’Elysée, comme du gouvernement, il y a eu sûrement la tentation de négocier et de parvenir, par je ne sais quel compromis, à une forme de tolérance mutuelle. Et il faut bien le dire, le scrutin du mois de novembre dernier a pu donner des raisons d’espérer en une issue paisible. C’était mal comprendre que Gbagbo, comme hélas d’autres chefs d’état en Afrique, a instauré un système fait d’arrangements commerciaux, financiers, politiques, d’utilisation du clanisme, du communautarisme voire de la religion.
La pression doit être maximale
Nous en sommes là aujourd’hui: un président élu, Alassane Ouattara, dont les amitiés sont connues à l’endroit de Nicolas Sarkozy, mais qui a gagné de façon incontestable l’élection. Mais qui, malgré les proclamations, les menaces, les injonctions, est aujourd’hui menacé, y compris pour sa propre vie.
La Côte d’Ivoire est donc devenue un exemple pour l’autorité des Nations unies, pour la démocratie en Afrique, pour les relations entre la France et ce continent. Je souhaite que la pression internationale soit maximale, qu’elle ne se relâche pas, que les sanctions à l’égard des dirigeants de l’équipe Gbagbo soient prononcées et deviennent effectives. Car si, d’aventure, rien ne se produisait et que la force revenait à la force ou que la partition du pays soit la résultante de l’impuissance, alors il s’en trouvera sur le continent africain, comme partout dans le monde, pour continuer à faire prévaloir leur dictature, leur mépris du suffrage universel et leurs combinaisons affairistes. Nous n’avons pas de leçon à donner et il ne s’agit pas de faire prévaloir un ordre «civilisationnel» mais tout simplement de rappeler le droit.
Car, soyons justes: il n’y a pas que la Côte d’Ivoire dans le monde. Au même moment, des votes ont eu lieu en Biélorussie et chacun sait qu’ils sont biaisés. Des élections sans valeur ont eu lieu en Birmanie. Et à Cuba, en Corée du Nord, voire en Chine, il n’est même pas question d’organiser quelque consultation pluraliste que ce soit. Et je n’oublie pas Mougabe au Zimbabwe qui, paraît-il, envisage de se représenter en 2011. Faut-il parler aussi des régimes de la péninsule arabique? Mais la liste serait trop longue. Le problème du monde, tel qu’il est aujourd’hui, c’est que ses indignations sont à éclipse, que ses performances démocratiques sont très relatives et que, surtout, sa persévérance à vouloir faire prévaloir les principes est modulée selon la puissance des Etats considérés. Pour autant, soutenons la Côte d’Ivoire dans cette période tumultueuse et dangereuse et faisons en sorte que le vainqueur de l’élection devienne son prochain président.
François Hollande
slate.fr