Bruits. Dehors, des petits pas se pressent à la porte. Tout d’un coup, la sonnerie retentit. Pour une foi c’est l’interviewer qui reçoit l’interviewé dans son intimité. Cela change un peu, mais il faut s’appeler Fanta Diallo pour accepter de se déplacer chez la journaliste, à 20 heures du soir pour se faire tirer un portrait. Pas de chichi chez elle. Le naturel est au rendez-vous avec cette tunique bariolée et ces lunettes qui vous sautent aux yeux. « Bonsoir, comment ça se passe ? », s’enquiert l’adjointe au maire de Fann-Point E-Sicap Amitié. Puis, à haute voix, exprime son enthousiasme : « J’ai une journée chargée demain, mieux vaut le faire maintenant. » Pragmatique, elle l’est jusqu’au bout des ongles. L’effet qu’elle fait quand on la rencontre ? C’est un tout petit format 1,60m sous la toise pour 55kg. Une fille au contact aisé et qui met à l’aise, gentiment à la cool sans être collant. Ni mine déterrée, ni pose éthérée.
Ouf, il y a du jeune dans les organisations politiques. Ouf, l’interminable fin de règne des vieux maîtres à penser s’achève. Une nouvelle génération sans effroi prend le relais. Une génération qui dit qu’il y a « des choses qui restent à penser ». Qui ajoute : « Sans être certain d’avoir la réponse. » Et même : « Il faut prendre ce risque, si on veut ouvrir un avenir indéterminé. » Le programme est énoncé d’une voix douce, précise, ferme aussi, par une jeune femme timide de 26 ans, qui rougit facilement mais n’a pas froid à ses grands yeux noirs. Dans sa façon de mettre sa tête un peu en arrière et de sourire sans être narquoise, il y a une détermination farouche sur le but à atteindre. Mais aussi une disponibilité totale sur le chemin à emprunter.
Fanta Diallo, adjointe au maire de Fann-Point E-Sicap Amitié, coordinatrice des jeunes de Benno Siggil Sénégal, responsable des jeunes du Mouvement Tekki, assistante chargée de programme du mouvement citoyen dirigé par Madame Penda Mbow, dit s’engager dans l’éducation sociale, la santé, contre l’occupation de la voie publique le tout pour un budget de 398 millions de FCFA. « La commune veut prendre en charge les malades de notre localité pour les 24 premières heures. En gros, on veut que les urgences soient gratuites. » Noble ! On la suit dans ses projets du moment. De fil en aiguille, d’indices en citations, on découvre comment Fanta, commandeur statufié de la politique moderne, compte obstinément changer les choses : « je ne voulais pas rester là à rouspéter, me lamenter sans pour autant poser des actes qui peuvent changer les choses, c’est pourquoi je me suis engagée dans la politique au côté du mouvement Tékki en 2007. » Cependant, elle ajoute : « j’ai glissé par accident dans le monde de la politique, je suis sociologue de formation et militante dans les mouvements citoyens. » Heureux hasard !
« Je n’ai pas envie de changer. Je veux rester honnête et ce n’est pas facile dans ce milieu. »
Il y a longtemps que pareille jeunesse n’avait pas défié avec une telle vigueur les « dominants » politiques du moment. La comparaison qui vient à l’esprit donne la mesure de l’appesantissement ambiant : il est possible que le dernier exemple remonte au coup de force de Modou Diagne Fada pas encore trentenaire, député libéral à la fin des années 90. Mais, nuance fondamentale, l’ancien étudiant du Meel (mouvement des élèves et étudiants libéraux) dénonçait en assénant, en asséchant sur le prétoire, Fanta Diallo n’offre à partager que son envie de penser plus loin. Aux règlements de compte, elle préfère agir. « On veut aider à changer en mieux notre localité », dit-elle. Et aussi : « je n’ai pas envie de changer. Je veux rester honnête et ce n’est pas facile dans ce milieu. » Car, autre différence avec les vibrions pressés de la scène politique, elle se prête difficilement au « je ». Zéro narcissisme ? « Cela ne sert à rien de se précipiter au devant de la scène. » Mais, l’idée même d’un portrait ne l’a pas déplue.
Elle perd quatre frères dans la tragédie du bateau le Joola
Née en 1984 à Dakar, cette ainée d’une fratrie de sept dont les quatre sont décédés dans la tragédie du Joola, a su se nourrir de toutes ces fidélités et son œil s’allume encore au souvenir de ses exploits : « j’ai parlé à un an et marché à un an et demi. Un vrai phénomène. » Isolée, effarée, la gamine « pas très sociable » est inscrite au cours Sainte Marie de Hann. Elle y fera tout son cursus scolaire, du préscolaire à la terminale. Elle dit : « à 7 ans, je me définissais comme une fille très calme mais ma mère te dira que j’étais très nerveuse. » 13 ans, 14 ans l’âge ingrat. Une rupture salvatrice et fondatrice va s’opérer. Rétrospectivement, elle lance : « je me suis refugiée dans le sport, je passais mon temps avec le ballon orange et cela me faisait un bien fou. » Fille d’un professeur de lycée et d’une couturière, Fanta, avec ses gilets discrets et sa réserve presque maladive a de faux airs d’enfant sage. Mais un besoin rageur l’habite : ne pas se laisser intimider. Elle aime relever les défis, la preuve : sa petite taille n’aura pas suffit à freiner ses ambitions à vouloir devenir une grande basketteuse. 10 ans auront suffi pour la désillusionner. Elle dit le regard songeur : « j’aurais pu être meneuse. » Après le bac en 2003, elle entre à l’Université Cheikh Anta Diop et s’inscrit en Sociologie. Là, soudain, l’élève moyenne devient brillante et obtient haut la main son Diplôme d’études approfondies (Dea) sans traîner.
Arrive ses 18 ans. Les mois de septembre des années 2001 et 2002 seront macabres. Elle se souvient : « jusqu’à cet âge je voyais la vie en rose, c’est le 26 septembre 2001 que j’ai perdu ma grand-mère et j’étais très attachée à elle ». Comme si le sort s’acharne sur elle, le bateau le Joola engloutit ses quatre frères le 26 septembre 2002. Avec le recul, elle regarde le catafalque de ses morts. Comme si elle tenait un carnet intime. Mais les morts ne se relèvent pas, ne s’expliquent pas, ils nous laissent au chagrin qu’ils nous causent. C’est donc à elle, Fanta, de faire le boulot : le deuil de sa grand-mère et de ses quatre frères. Mais, elle n’y arrive pas. Le chagrin du vide le secoue encore. A l’instant. Elle estime : « Je n’arrive toujours pas à parler d’eux sans avoir une grosse charge émotionnelle. Ils me manquent…mais c’est la vie. »
Fanta déplore que la politique flatte à ce point les passions tristes
On prédit généralement à ce genre de personne, jeune et radicale, un lent et sûr glissement vers les responsabilités et l’assagissement. Pour l’heure, elle assure de son intransigeance, derrière son humeur sans soubresauts. Mais l’arène politique, à commencer par ses amis de Benno peut bien la regarder en biais depuis qu’elle s’y pose en prétendante, et non plus en jeune recrue. Samedi 15, elle a été élue à 15 voix sur 22 pour diriger les jeunes de sa coalition. C’est là qu’elle connaît la période la plus douce de sa vie ou bien la plus dense. Pour l’instant, Fanta déplore que la politique flatte à ce point les passions tristes : le mépris, l’envie, la honte, la hauteur… Bienvenue chez les « requins »… Au fait, avec toutes ses responsabilités a-t-elle une vie privée ? Elle répond, le sourire aux lèvres : « question à 1000 euros ! » A vous de juger !
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Aïssatou LAYE