Début dans la danse et la musique
Je suis Fatou Touré, artiste, chanteuse, compositrice. J’ai sorti mon premier album «Dolé» en 2000. Je suis al pulaar de mère et socé de père. Ma mère est laobé. Elle était originaire de Niangue Edi et mon père était commandant dans l’armée.D’ailleurs, je suis née au camp Lemonier Scoa. J’ai fait mes premiers pas à l’école de Colobane jusqu’en 4e, ensuite j’ai fait la 3e à Guédiawaye. Cependant, j’ai toujours voulu devenir artiste. J’ai donc été dans plusieurs groupes dont l’art dramatique de Sorano, puis j’ai intégré le ballet Mansour Guèye de Sandaga. C’est avec ce ballet que je suis allée pour la première fois en tournée en 1989 et j’ai fait beaucoup de pays avec eux. Dieu a fait que j’ai toujours servi ma culture, car une personne doit aimer ce qu’elle fait. C’est en 2000 que Youssou Ndour a produit mon premier album. Je crois d’ailleurs que je suis la première artiste que son label a produit et c’est par la suite que Viviane est arrivée. J’ai travaillé jusqu’en 2003 avec lui. Puis, j’ai commencé à m’auto produire.
Son divorce, sa fille…
J’ai divorcé deux fois. Mais je tiens à dire que le divorce se pratiquait bien avant moi et continuera de se pratiquer après moi. Je ne suis pas la première femme à m’être mariée, ni la première à avoir divorcée. Le mariage est une chose que Dieu décide et s’il décide qu’il doit prendre fin, il prendra fin. Chaque personne quand elle se marie, elle souhaite que cela dure pour la vie. Mais nul ne peut être à la place de Dieu. Lui seul décide de notre avenir. Les problèmes qu’on voit dans les mariages, aujourd’hui, ne sont pas seulement dus aux femmes. Je reconnais que les femmes ont des défauts, mais les hommes en ont pires encore. Les femmes ne veulent que se ranger, mais les hommes d’aujourd’hui n’ont qu’une idée derrière la tête se marier avec vous afin de jouir de vos biens matériels et dépenser votre argent. Les hommes se marient avec vous, vous font croire qu’ils vous aiment, alors qu’ils n’ont qu’un but vous dépouiller de votre argent. D’ailleurs, les hommes ne se marient plus avec les femmes qui sont sans ressources financières. Ils se marient pour la plupart du temps avec des femmes de renommée. Il y a des hommes bons et des femmes vertueuses. Le contraire aussi existe. À cause de certains hommes, les femmes ne veulent plus se marier. Pour ma part, je ne veux plus me remarier, je ne cherche plus d’époux. J’ai d’autres projets.
Ma fille, elle ne fait que me donner un coup de main. Elle ne veut même pas être danseuse. Elle ne pense pas prendre la relève, car elle sait que le monde de la musique est très difficile. Elle m’aide, c’est tout. Lorsqu’une personne voit sa mère évoluer dans un milieu, elle doit la soutenir. C’est son devoir tout comme je le faisais avec ma propre mère. Ma fille ne sera pas chanteuse, elle ne souhaite pas le devenir.
«Thiouraye» et culture laobé
Le «Thiouraye», ce n’est pas un plus que les laobés ont, c’est tout simplement notre culture. Ma grand-mère, Gagnesiré elle s’appelait, vendait du «Thiouraye». Ma mère aussi en vendait et elle m’amenait souvent avec elle. Tout le quartier connaissait ma mère. On l’appelait mère Bata, car elle vendait cette crème que les laobés monnayaient à cette époque. Depuis mon enfance, je les voyais pratiquer ce commerce et c’est comme ça que j’ai commencé moi aussi. Nous sommes une famille de laobés et nous ne connaissons que ça. Ma mère était une travailleuse, elle ne tendait jamais la main. On ne la trouvait pas dans les baptêmes et les mariages. Aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours vendu du «Thiouraye». Un jour, je suis allée voir Serigne Mansour Sy, le Khalife général des Tidianes à Rufisque. Alors il m’a dit Fatou Laobé que fais-tu de ta vie, je lui ai répondu que j’étais dans le monde de la musique et c’est là qu’il m’a dit qu’en plus de la musique, je devais faire du commerce. C’était en 2004, je me suis ensuite dit que j’allais me remettre à vendre du «Thiouraye» comme le faisaient ma mère et ma grand-mère. Depuis, je vends du «Thiouraye», des pagnes et des encensoirs. Je les exporte même dans les autres pays. Ces temps-ci, j’ai aussi commencé à vendre des chaussures et des greffages que j’amène de l’étranger. Je n’ai pas encore de boutique, donc je mets la marchandise dans ma voiture et je fais le tour des maisons et de mes amis. Vous savez, je suis une artiste, et je ne peux pas quémander de l’agent dans les cérémonies ou bien aller chez mes amis pour leur demander de l’argent. Je ne tendrai jamais la main à quelqu’un. Mais quand on m’offre quelque chose, je le prends, car l’honneur ne se refuse pas. Je ne veux pas mendier encore moins qu’on ait pitié de moi. Donc ce que j’ai, je le gagne à la sueur de mon front.
Carrière musicale
Faire de la musique est difficile actuellement. On fait de la musique sans espérer un résultat positif. Avant, vous discutiez avec un producteur, ensuite vous alliez en studio, il vous donnait une avance et à la fin un reliquat pour que vous vendiez votre album. Mais aujourd’hui, quand vous vous auto produisez, vous pouvez tirer 50 à 100 exemplaires et le jour où cela sort sur le marché, vous vous rendez compte que tous les marchands ambulants vendent votre Cd. Si ce sont les clips, ils en font des sélections qu’ils vendent. Nous ne gagnons rien dans cela. Peut-être qu’on continue à faire des apparitions pour que les gens sachent qu’on est toujours dans la musique. Toutefois, à la longue, ces apparitions n’ont plus de sens. D’un autre côté, il y a des artistes qui te sortent un excellent album, mais ils ne peuvent pas faire de concerts live. Un chanteur doit pouvoir se tenir devant son public et chanter en a capella. Ce qu’il chante doit venir de son cœur, mais pas avec l’aide de l’électronique. Il y a plusieurs artistes ici, si vous leur donnez un micro ou si vous les surprenez en leur demandant de chanter, ce sera un gros fiasco. Ils ne peuvent pas chanter sans l’aide de l’ordinateur. Les chanteurs qui le font sont connus du public qui connaît la nature de tous les chanteurs. Je voudrais aussi évoquer les animateurs du Sénégal à qui on donne de l’argent pour qu’ils mettent des chansons tout le temps. Généralement, les artistes qu’ils mettent sont moins doués que ceux qu’ils ne mettent pas. Malgré cela, quand ils ont besoin de nous pour leurs émissions, ils ne se gênent pas pour nous appeler. Ils devraient faire la promotion de tous les artistes sans distinction.
L’autre constat, c’est le plagiat qu’il y a dans la musique, les gens copient sur les autres. Même sur le thème la lutte. Cela a commencé avec Demba Dia et Viviane et maintenant ils veulent tous chanter la lutte. Ils vont même jusqu’à copier l’instrumental des lutteurs. Le rôle d’un artiste est de créer et le plus grand défaut des artistes sénégalais est de passer leur temps à copier sur les autres.
Fatou Laobé, une femme de caractère
Je ne suis pas belliqueuse bien que d’aucuns le disent. Vous savez, lorsqu’on a des ennemis qui font tout pour vous atteindre sans succès, ils finissent par vous coller des étiquettes. Je vis, depuis 20 ans, dans ce quartier de Yeumbeul, tous mes enfants sont nés ici et jamais je ne me suis disputée avec mes voisins. Je ne peux pas empêcher qu’on colporte des ragots sur moi. Quand on est célèbre, on diffuse forcément des rumeurs sur vous. L’essentiel est que j’ai de l’orgueil, de la dignité et je suis aussi une battante. J’adore entendre les gens colporter des ragots sur moi, car cela me pousse à me dépasser. On devrait remercier ceux qui passent leur temps à dire du mal de nous et prier pour qu’ils aient une longue vie. Toute personne qui dit du mal sur vous, elle le paiera dans l’au-delà. En plus, si vous analysez bien, une personne qui dit du mal de vous, elle veut que vous ayez ce mal en vous, ce qui n’est pas le cas. Quand une personne me calomnie, j’en prends note et je fais tout pour ne pas ressembler à ce qu’elle attend de moi. C’est bien d’avoir des ennemis, car ils attendent tout le temps votre échec, et c’est cela qui fait que vous vous battez, que vous vous surpassez pour ne pas leur donner satisfaction.
Rumeurs de mariage avec un fils de Serigne Bara
Je n’ai jamais été marié à un fils de Serigne Bara. Il était mon guide tout comme il était celui de ma mère et de mon père. Ma mère était un talibé de Serigne Abou Madiyana Borom Yeumbeul. Il a tout fait pour elle. C’est dans sa maison que je suis née et que j’ai appris les «Khassaïdes». On a tous le droit de chanter notre guide religieux et si cela plaît aux gens de s’imaginer d’autres choses, ils peuvent le faire. Je ne peux pas faire le tour du pays pour répondre à tous ceux qui lancent des rumeurs sur moi.
Prochains album et vie en banlieue
Je prépare un album de 15 titres. Il sera international. On prévoit de faire une chose qu’aucun artiste n’a encore faite. Nous allons travailler avec plusieurs musiciens de style différent. Nous collaborerons avec Habib Faye, Vieux Mac Faye, Papis Konaté et Jimmy Mbaye, entre autres. Je ferais des duos avec plusieurs chanteuses. J’envisage même un duo avec Thione Seck ou Youssou Ndour. En ce moment, je travaille en studio, mais l’album est loin d’être fini. Je veux prendre mon temps et l’enregistrer étape par étape, pour mieux revoir ce que je fais et bien choisir la musique.
Pour ce qui est de ma vie, je dirais que vivre dans la banlieue est extrêmement dur. D’ailleurs, de nombreux artistes qui vivaient là ont déménagé. Les comportements et les idées sont différents dans la banlieue. Vous m’avez trouvé chez moi et vous avez sûrement remarqué que je n’avais pas de garde du corps. Pourtant, si je voulais, je pourrais prendre des gardes. Mais j’habite avec ma famille et si je mets un garde du corps, ici ils vont le voir autrement. Quand on vit dans la banlieue, on entend du tout, on est accusé de toutes sortes de choses. J’ai ma maison ici, toutefois j’en ai une autre aux Maristes. Je l’ai depuis mon premier album, mais je l’ai mise en location, car j’ai besoin de l’argent que cela rapporte puisque je suis le soutien de ma famille. Je préfère de loin vivre ici avec ma famille et partager tout ce que j’ai avec eux plutôt que d’aller vivre aux maristes sans eux. Si je voulais mener la vie d’un toubab comme les autres stars, je partirais vivre aux Maristes et j’aurais trouvé un garde du corps pour le mettre devant ma porte ainsi que plusieurs femmes de ménage. Je ne dis pas que je ne le ferai pas un jour, mais pour l’instant je suis heureuse d’avoir une maison ici, à Yeumbeul, de vivre entourée de ma famille. Vous voyez parfois un artiste qui n’a sorti qu’un single, même pas un album, et la première chose qu’il fait c’est de quitter la banlieue pour aller louer ailleurs. Avant, je croyais que ces artistes avaient la folie des grandeurs. Mais maintenant je les comprends mieux. Car c’est difficile de vivre dans la banlieue.
Le maraboutage
J’ai entendu des artistes parler de maraboutage. Parfois aussi, vous sentez des choses bizarres en vous qui ne peuvent être que mystiques. Vous avez envie de faire quelque chose, mais c’est comme si quelque chose vous retenez sans que vous sachiez quoi. Après mon clip «Bara», j’ai voulu en réaliser un autre. J’avais tout prévu, les costumes et tout. J’avais même déjà payé le réalisateur, mais jusqu’à présent je ne sais pas ce qui me retient de l’appeler pour commencer le tournage. Personnellement, je n’ai jamais amené le nom d’un artiste chez un marabout. Tout ce que vous faites de mal à une autre personne vous tombe forcément dessus. Vous voyez un artiste qui galère, vous vous demandez les raisons de son calvaire. Alors qu’il paye tout simplement les conséquences de ses actes. Une personne qui ne vous a rien fait, le seul lien que vous avez elle, c’est que vous faites le même métier, vous ne pouvez décemment pas lui faire du mal. Car nul ne peut remplacer son destin par celui d’un autre. Néanmoins, je me protège de ces manœuvres. Parce qu’on est obligé de le faire dans le monde de la musique.
donc il fo rester lucide devant té enfants