«Au niveau global, il y a des avancées sous Macky Sall»
Directrice du Laboratoire genre et recherche de l’Ifan, chercheure et sociologue, Fatou Sow Sarr est une voix autorisée pour décrypter avec les mots qu’il faut les maux de la société sénégalaise. Dans cet entretien qu’elle a accordé à «L’AS», elle fait une analyse fine et dépouillée du rejet de la parité, la genèse de la montée de la violence dans le pays et se prononce sur la traque des biens mal acquis et ses résultats.
Vous étiez à la pointe du combat pour la parité. Depuis quelques temps, des voix s’élèvent pour remettre en cause l’utilité de cette loi et le député Me El Hadji Diouf promet même d’introduire une proposition de loi portant abrogation de la parité. Quel commentaire cela vous inspire-t-il?
En tant que chercheure, j’ai élaboré à partir du concept de parité, une théorie et bâti tout un argumentaire pour accompagner le processus mis en œuvre par le Caucus des Femmes Leaders. La démarche et la méthode qui ont sous-tendu l’action ont donné leurs résultats. Pour ma part, je reste ouverte aux arguments de ceux qui sont contre, car ils vont nous aider à parfaire notre modèle d’analyse. Si l’on me démontre qu’on s’est trompé, je l’accepterais, mais il faut le prouver.
Me El hadj Diouf a le droit de s’opposer à la parité. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Des femmes dans l’espace politique et la société civile s’étaient ouvertement prononcées contre la parité. Je pense qu’elles ont révisé leur position, car je ne les entends plus pourfendre la loi. En vérité comme dans toute innovation, il y a des résistances. En sociologie, on parle de majorité sociale tardive : c’était le cas quand le Président Senghor a voulu introduire le gaz pour la cuisson. Beaucoup de personnes s’y étaient opposées, prétextant que le Tiebou dieun ne peut se faire qu’au feu de bois et au charbon. Aujourd’hui, dites-moi quelle sénégalaise souhaiterait retourner au feu de bois, lorsqu’elle peut accéder au gaz ? Les détracteurs de la loi sur la parité finiront par se rendre à l’évidence, qu’il s’agit d’une avancée sociale majeure. On ne peut pas aller dans le sens contraire de l’histoire, sous peine d’être balayé par le vent. Maintenant que les passions se sont tues nous pouvons en débattre avec plus de sérénité.
La parité a été appliquée aux élections de 2012 et 2014 et la terre ne s’est pas dérobée sous nos pieds. Nous devons tous soutenir cette avancée démocratique, car c’en est une. Notre pays a ouvert la voie au reste du monde, malheureusement la politisation de la question a fait qu’on n’a pas compris à temps la formidable opportunité diplomatique qui s’offrait à nous. Grâce à la parité, le Sénégal a connu un rayonnement exceptionnel, et fasciné des pays qui veulent copier son modèle.
Cette critique n’était-elle pas fondée, compte tenu de la faible représentativité des femmes dans les instances électives?
Les femmes sont bien représentées avec 42,7% à l’Assemblée nationale et 47% dans les collectivités locales. Cela dit, la loi a des limites, car telle que libellée, elle fonctionne pour le scrutin de liste mais pas pour le scrutin uninominal, c’est cela qui explique la faible présence des femmes dans les bureaux des collectivités locales.
Cette loi est pertinente, car la démocratie, au-delà du suffrage universel et de la séparation des pouvoir signifie aussi la représentation du peuple par le peuple, or le peuple a deux composantes équivalentes en dignité : les hommes et les femmes. Puisque le seul critère pour entrer dans un parti politique c’est d’être citoyen ou citoyenne, il n’y pas de raison qu’un seul groupe s’accapare de tous les avantages. L’Assemblée étant le lieu où se décide l’utilisation des ressources et où on vote les lois qui vont régir les vies des hommes et des femmes, notre hypothèse est qu’une présence massive de chaque catégorie permettra de prendre en charge leurs problèmes respectifs. Nous savons que c’est sur le long terme qu’on va atteindre notre but, lorsque des femmes conscientes des enjeux et avec l’expertise nécessaire seront à l’Assemblée, mais il faudra définir les compétences et exiger des partis leur application aux hommes et femmes qu’ils investissent.
Et si cette loi venait à être abrogée, quelle attitude devraient adopter les associations féminines en guise de riposte ?
Nous ne sommes pas à l’abri de reculs, car l’histoire est jonchée d’exemples, mais pour le moment nous n’avons aucune inquiétude. Le Président Macky Sall est le gardien de la parité et ne reviendra pas sur cet engagement. Les Africaines l’ont investi au Sommet de Johannesburg de 2015 comme leur champion pour faire avancer l’égalité de sexes. Déjà en 2005, il était dans l’esprit de la parité en s’engageant en tant que Premier ministre pour l’entrée des femmes dans l’armée et pour la prise en charge par les femmes salariées de leur conjoint. Il a donné des instructions pour que le genre soit pris en compte dans la politique agricole. Il y a aussi des hommes comme Moustapha Diakhaté, plus engagés que jamais dans la lutte pour l’égalité de genre. Il faut leur rendre hommage.
On assiste à une montée de la criminalité dans le pays. Comment la sociologue que vous êtes analyse-t-elle cette tendance de plus en plus accrue des Sénégalais à verser gratuitement dans la violence?
Seules les données statistiques peuvent prouver qu’il y a une augmentation de la violence, et pour le moment tel n’est pas le cas. Quoi qu’il en soit, ce que la presse relate, en termes de barbarie, est suffisant pour sonner l’alarme. Mais il faut se rappeler que ces criminels proviennent des familles, donc c’est la structure familiale qu’il faut interpeler, sans occulter la responsabilité de l’Etat.
Cela fait des années que les sociologues alertent sur les risques de violence. Ils ont démontré que depuis les PAS (Ndlr : politiques d’ajustement structurel) des années 80, du fait de la pauvreté, la situation sociale est caractérisée par la perte de valeurs morales, religieuses et civiques. Les normes qui régulaient la conduite des Sénégalais, et qui assuraient l’ordre social, sont devenues inefficientes. Si rien n’est fait, la violence ira grandissante et sous des formes de plus en plus insoutenables.
Mais si la pauvreté est un des éléments explicatifs de la violence, ce sont les inégalités sociales et surtout l’exclusion sociale qu’il faut davantage incriminer. Par le passé, les populations étaient pauvres mais avec une vie faite de respect de l’autre et de sollicitude envers les plus démunis. Aujourd’hui, privé de repères, de statut social de réseau relationnel et de perspectives de réinsertion dans les réseaux de socialisation, l’individu tombe plus facilement dans la déchéance et ladélinquance.
Etes-vous d’accord avec ceux qui battent en brèche la thèse de l’insécurité en soutenant que la plupart des crimes commis sont des crimes domestiques?
On ne peut pas tout réduire à des crimes domestiques, on ne peut pas non plus tout rejeter sur la responsabilité de l’Etat. Et même si la première responsabilité est celle de la famille, lorsque du fait de la défaillance des politiques sociales, l’Etat ne donne pas aux familles les moyens de prendre en charge ses membres, il doit être interpellé.
Quel bilan faites-vous des quatre ans de gestion du pays par le Président Macky Sall ?
Pour un tel exercice, il faut disposer de données et d’indicateurs vérifiables. Je pourrais tout au plus donner mon opinion sur la situation générale et faire une analyse dans les domaines de recherche qui me concernent.
Au niveau global on peut dire qu’il y a de réelles avancées. Le pays ne connait pas de troubles graves, ce qui est propice à l’activité économique. Pour la première fois depuis 1960, on connait un taux de croissance en hausse constante sur quatre années successives. On a connu des taux de plus de 8% en 1970 et 1976 et de plus de 6% en 2003, mais jamais de manière continue et cela est extrêmement important en termes de changement structurel de l’économie, même si les retombées ne sont pas encore significatives pour les ménages.
Beaucoup d’infrastructures ont été réalisées dans le monde rural (eau, électricité et routes). Au plan institutionnel, des mesures importantes ont été prises, notamment dans le domaine de la décentralisation, ce qui va renforcer la participation des femmes.Le système éducatif a fait des progrès en matière d’égalité de genre, même si l’alphabétisation des femmes demeure faible avec 37,7%. Mais nous savons que c’est dû à un retard cummulé depuis 1960, puisque seules 3% des Sénégalaises étaient alphabétisées à l‘indépendance.
Il existe une politique sociale volontariste pour augmenter les revenus des ménages avec la baisse des loyers, des impôts sur les salaires, du prix des denrées alimentaires, l’octroi de la bourse familiale.Dans le secteur de la santé, il y a la CMU, le plan Sésame, la gratuitéde certains soins médicaux, la subvention des médicaments anticancéreux, et diverses mesures qui dans l’ensemble ont donné des résulats positifs, avec une baisse de la mortalité infantile et une hausse de l’espérance de vie. Mais les populations ne sont pas satisfaites du système de santé, du fait des problèmes de prise en charge des maladies comme le diabète, l’hypertension et du faible accès aux spécialistes. Il va falloir repenser le système pour améliorer la qualité de la prestation des services et surtout pour que les médecins des services publics soient payés correctement et restent exclusivement dans les services publics. Le faible recul de la mortalité maternelle, s’explique aussi par le faible accès aux médecins, (4% des femmes enceintes) et aux sages-femmes (42%), dont 70% sont concentrées à Dakar et Thiès.
Pour l’administration, il reste beaucoup à faire : les nominations au conseil des ministres oscillent entre 8 et 11%, alors que par le passé on a atteint 25% ce qui est plus proche de la représentativité des femmes dans la fonction publique.Depuis 2000, il existe un ministère dédié à l’entreprenariat féminin et divers fonds de crédits dédiés aux femmes. Mais selon une étude de la direction des Petites et Moyennes entreprises, en 2014, seules 18,9% des entreprises appartiennent à des femmes. Il faut donc interroger les investissements fait pour les femmes.Aujourd’hui le problème le plus important est celui de la jeunesse sans emploi et qui n’a pas le temps d’attendre des années pour bénéficier des retombées de la croissance. Il faut être attentif à ce qui pourrait en découler. La pauvreté et l’oisiveté de ces jeunes doivent être mises en corrélation avec les problèmes d’insécurité.
La reddition des comptes marquée par la traque des biens mal acquis a connu un coup d’arrêt après la condamnation de Karim Wade et consorts. On ne parle plus de la Crei. Votre commentaire
Comme beaucoup de Sénégalais, je ne suis pas convaincue que la condamnation de Karim était juste. Lorsque la traque se réduit à une personne c’est suspect. Cela dit, il faut nécessairement mettre fin à la dilapidation de nos ressources mais il faudrait que la loi s’applique à toute personne fautive, sans calcul politique.
Propos recueillis par Hawa BOUSSO (L’AS)
La traque des biens mal acquis est terminée, Madame. Elle visait un seul homme. Bolloré est assouvi. Macky aura une deuxième légion pour service rendu.
La traque a eu un extraordinaire impact qu’il faudrait considérer à sa juste valeur: un effet dissuasif majeur qui fait que la gestion des deniers et biens publics est devenue dorénavant et de loin bien meilleure qu’avant 2012.Un nouveau départ sur des bases plus saines
La poste et le coud sont la pour démentir vos propos.
il me semble qu’elle soufflé le chaud et le froid