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Faux en écriture

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Le délit de faux et d’usage de faux suppose pour être constitué que soit établi le caractère probatoire des documents argués de faux : tel n’est pas le cas des factures fictives et des faux procès-verbaux de réception de la caisse d’avance de la ville de Dakar.

« Le pouvoir est éphémère, la justice est éternelle » (Wole Soyinka)

Dans la présente publication, nous allons essayer de répondre à la question suivante : la fabrication d’une facture fictive ou d’une fausse facture et l’établissement d’un faux procès-verbal de réception constituent-ils des faux pénalement répréhensibles au sens des articles 135 à 138 du Code pénal ?
Nous examinerons la notion de document dans le faux en écriture (I), les factures fictives/fausses factures en rapport avec la qualification pénale de fabrication de faux en écriture de commerce (II) et les faux procès-verbaux de réception face au délit de faux commis dans un document administratif (III).

La notion de document dans le faux en écriture

Le faux est un délit qui peut être commis en écriture publique et authentique, en écriture de commerce ou de banque et en écriture privée dans les feuilles de route et dans les documents administratifs. D’après l’article 130 du Code pénal (CP), le faux matériel se commet :
– par fausses signatures,
– par altération des actes, écritures ou signatures,
– par supposition de personnes,
– par des écritures faites ou intercalées sur des registres ou d’autres actes publics, depuis leur confection ou clôture.
On remarque que l’article 130 du CP procède par énumérations sans donner la définition du faux en écriture publique et authentique. Par ailleurs, ledit article ne fait pas la distinction entre les faux. C’est l’article 131 qui distingue les faux qui dénaturent la substance ou les circonstances « soit en écrivant des conventions autres que celles qui auraient été tracées ou dictées par les parties, soit en constatant comme vrais des faits faux, ou comme avoués des faits qui ne l’étaient pas ».

Comme on le sait, « le droit pénal sénégalais est un droit d’emprunt ». Ainsi, l’article 130 de notre Code pénal en vigueur n’est qu’une reprise de l’article 145 de l’ancien Code pénal français de 1810. Il se trouve que sous l’empire du Code pénal français de 1810, « la théorie du faux (était) indissociable du système probatoire » et « ce lien a été affirmé avec force par la doctrine, notamment en la personne de Garraud selon lequel « l’objet du faux punissable, c’est la falsification ou l’altération d’un écrit destiné à servir de titre pour l’acquisition, la transmission, la constatation d’un droit, d’un état, d’une qualité », le même auteur soulignant alors que « tout faux en écriture suppose l’altération d’un écrit, pouvant faire naitre une conviction contraire chez les personnes auxquelles il sera présenté, c’est-à-dire pouvant servir de preuve ».
Dans un arrêt récent n° 3076 daté du 2 septembre 2014 (13-83.698), la Chambre criminelle de la Cour de cassation française confirme que « l’infraction de faux et d’usage de faux suppose pour être constituée que soit établi le caractère probatoire des documents falsifiés … ».

H. Donnedieu de Vabres dans un article intitulé « La notion de document dans le faux en écritures. Examen critique du système constructif français » (Revue de Science criminelle, 1940, pages 157-181) soulignait : « C’est un problème important et délicat de l’heure actuelle que celui de savoir sous quelles conditions, à partir de quel stade l’altération de la vérité expose son auteur à la répression. Il s’agit de départager, vis -vis d’elle, la morale et le droit pénal ». L’auteur cité (p.158) s’interrogeait sur la notion du faux en écritures et « plus précisément : quels caractères juridiques doit revêtir un écrit, pour pouvoir être l’objet d’un faux punissable ? « Que faut-il entendre par document, en matière de faux, se demandait-il ? » A son avis, la définition du document, considéré comme un écrit susceptible d’être l’objet d’un faux, est nécessaire « si l’on veut bien admettre qu’il est impossible de soumettre à la répression tous les mensonges écrits » (op.cit. p.159). Il poursuit (p.162) : « la falsification d’un écrit qui ne prouve rien, ou, plus exactement encore, qui ne prouve aucun fait extérieur à lui, qui n’établit que sa propre existence (…) ne peut nuire à personne ». Partant de là, H. Donnedieu de Vabres (p.163) pense que « seul un « document d’origine » » (…) à l’exclusion du « document de hasard », peut être l’objet d’un faux ».

Quand on sait que notre loi pénale de 1965 maintient à ce jour des dispositions héritées du Code pénal français de 1810, on peut considérer que les propos de H. Donnedieu de Vabres, professeur de l’époque à la Faculté de droit de Paris, sont toujours d’actualité. Au lieu de laisser les questions soulevées plus haut au jugement arbitraire des tribunaux, il nous semble important que des réflexions approfondies soient menées par les spécialistes du droit pénal en vue d’amener le juge du droit voire le législateur du Code pénal à apporter des précisions sur la délimitation des qualifications de faux.

Voyons maintenant ce qui se passe quant à l’appui d’un mandat de paiement d’une collectivité territoriale, il est joint des factures fictives/de fausses factures ainsi que de faux procès-verbaux qui n’émanent pas d’un tiers.

Les factures fictives/ fausses factures face au délit de faux en écriture de commerce

Les écritures publiques et authentiques visées aux articles 130 à 133 du CP doivent être nécessairement des documents d’origine. Mais, il n’en est pas de même pour les écritures de commerce visées à l’article 135 qui renvoie à l’une des manières énumérées à l’article 132 du CP sur l’écriture publique et authentique.

Les différents modes de perpétration du faux en écriture de commerce
Comme procédés du faux, l’article 132, qui vise exclusivement les faux commis dans des actes publics et authentiques par toutes autres personnes que le fonctionnaire ou l’officier public chargé de la rédaction de ces actes, énumère quatre modes d’exécution du faux matériel :
– la contrefaçon ou l’altération d’écritures ou de signatures,
– la fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharges,
– l’insertion de conventions, dispositions, obligations ou décharges
– l’addition ou l’altération de clauses, de déclarations ou de faits, que les actes avaient pour objet de recevoir et de constater.
Dans l’expression « contrefaçon ou altération d’écritures ou de signatures », on peut se demander si le substantif contrefaçon se rapporte à écritures et à signatures ou uniquement à écritures et si le mot altération se réfère à écritures et à signatures.
Si on s’inspire des dispositions du troisième alinéa de l’article 132 : « fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharges » et du quatrième alinéa du même article 132 : « addition ou altération de clauses, de déclarations ou de faits que ces actes avaient pour objet de recevoir et de constater », la qualification de faux s’étendrait à l’altération de la vérité entachant toute clause faisant partie de la substance d’un acte, soit en vertu de l’accord des parties , soit en vertu de la loi » (cf. H. Donnedieu de Vabres, p.172).

La facture n’est pas un titre juridique au regard de la comptabilité générale de l’Etat et des collectivités locales.
D’après Jamel Djoudi (dans « Les fausses factures et le délit de faux, Revue de Science criminelle, 1996, p.357), « le titre est, au sens pénal, tout écrit (…) qui, soit, par son caractère, soit par son contenu, est destiné à prouver un fait susceptible de conséquences juridiques ».
Selon Marc Segonds (Cf. Jurisclasseur Pénal Code Fasc.20 : FAUX), citant Jamel Djoudi, lorsque « la facture, en elle-même, n’est pas dotée d’aucune force probante … elle ne constitue qu’une « allégation » ». Ce que confirme l’arrêt précité du 2 septembre 2014 de la Cour de cassation française : « ne revêtent aucune valeur probante les documents établis unilatéralement et constituant une simple allégation ».

La Cour de cassation en France confirme que « les factures ne constituant que des déclarations unilatérales soumises à vérification, ne peuvent en elles-mêmes avoir un effet probatoire et donc être susceptibles d’un faux. Toutefois, elles peuvent acquérir une valeur probante lorsqu’elles sont passées en comptabilité et leur falsification tombe alors sous le coup de (la loi pénale) » (Cass crim., 05 avril 1993).
De son coté, Claude Ducouloux Favard (Cf. « Surfacturations et factures fictives face aux délits de fabrication et d’usage de faux en écriture » dans « La facturation de complaisance dans les entreprises (sous la dir de Christian Lopez et Nicole Stolowy) », L’Harmattan,2001, pp.98-99), considère qu’« un titre juridique est un document servant à établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques ». Il poursuit : « C’est donc la force de la preuve d’un droit plus que la forme du support qui fait qu’un document est ou non un titre juridique, susceptible de falsification ». Selon le même auteur (p.99), une très vielle jurisprudence française (Cass. Crim. 4 novembre 1847, Dalloz périodique), confirmée par l’arrêt de la Cour de cassation du 28 mai 1962 et celui du 12 décembre 1977, retient que « la facture ne peut établir un droit à l’égard de celui qui en est l’auteur et qu’en conséquence un tel document ne peut être falsifié au regard du droit pénal ; il ne peut être autre chose qu’une simple déclaration mensongère unilatérale non sanctionnable pénalement ». Cependant il précise que « cette jurisprudence n’empêche pas que les circonstances, appréciées souverainement par le juge du fond, peuvent donner à la facture force de preuve ».

La distinction entre la fausse facture et la facture fictive
Au dernier paragraphe de la page 11 de l’ordonnance de renvoi rendue par le juge d’instruction dans l’affaire de la caisse d’avances de la ville de Dakar, il est fait référence à de fausses factures. Les factures arguées de faux sont-elles de fausses factures ou bien des factures fictives car plus qu’une nuance, il y a une différence de nature entre la fausse facture et la facture fictive ; deux expressions qu’on regroupe sous le vocable de « facture de complaisance » comme le précise Christian Lopez (« Recherches et constatation des infractions par les administrations financière » publié dans « « La facturation de complaisance dans les entreprises (sous la direction de Christian Lopez et Nicole Stolowy, L’Harmattan,2001,p.17).

Comme l’indique Claude Ducouloux Favard (pp.100-101), il existe deux cas de falsification des factures à relever « en ce qu’ils présentent tous deux quelques difficultés à prouver l’altération du document. Il s’agit des factures fictives et des surfacturations ».
(À propos de surfacturation, on peut se demander quelle différence, y a-t-il entre un agent public qui confectionne une facture fictive et un avocat qui surfacture à l’Etat des honoraires ?).
S’agissant de la fabrication d’une facture fictive, on se retrouve confronté à un cas exceptionnel en raison du fait que la présentation des factures est faite en l’absence d’intervention d’un tiers.
Selon Claude Ducouloux Favard (page 101), « en matière de factures fictives, c’est tout le document qui est faux. C’est donc la cause, ou plutôt l’absence de cause ou la fausse cause, qu’il faut chercher à établir. De cette preuve découle nécessairement le caractère fictif, donc faux de la facture. Mais cette preuve suppose d’avoir décelé le montage frauduleux … » ; « … mais le montage dans lequel s’insèrent les factures fictives n’a pas nécessairement un but frauduleux ».

En résumé, selon Marc Segonds précité, « il faut prendre soin de ne pas confondre l’acte établi unilatéralement par l’agent et soumis à discussion et à vérification auquel la qualification de faux ne peut être appliquée parce que constitutif d’un document représentatif- et l’acte susceptible de constituer la pièce justificative d’une comptabilité auquel la qualification de faux est parfaitement applicable, parce que constitutif d’un document justificatif ».
(…) la ligne de partage doit être soigneusement tracée notamment en présence d’une facture porteuse d’une altération de la vérité ».

La question fondamentale à trancher par les juges de fond de l’affaire de la caisse d’avances est la suivante : les factures fictives de la caisse d’avance sont-elles dotées d’une force probante. Autrement dit, ces factures ont-elles servi comme pièces justifiant des mouvements comptables en matière de comptabilité publique ? Nous répondons négativement : la facture n’étant pas un document justificatif d’une écriture comptable en matière de dépenses publiques.
De la manière dont est articulé le mode justification de la caisse d’avances, on constate que la présentation des factures fictives ne fait pas corps avec celle des mandats de paiement.
Dans le fonctionnement de la caisse d’avances, il est constant que les mandats de paiement sont
établis au nom du gérant de la caisse, et appuyés par des factures au nom du GIE. Or, la bonne règle en matière de dépenses publiques exige une correspondance entre les énonciations figurant sur un mandat (notamment le nom du créancier) et celles portées sur les factures jointes au mandat de paiement. Dans le cas d’espèce, la non concordance entre le nom du créancier figurant sur le mandat de paiement et les factures est de nature à s’interroger sur le mode de justification des opérations. Nous ne savons pas si le rapport de l’IGE en parle mais nous nous demandons si les vérificateurs de l’IGE ainsi que les enquêteurs de la DIC ont analysé la procédure d’exécution des dépenses de la caisse et s’ils se sont demandé pourquoi un mandat au nom du gérant et des factures au nom du GIE ? Si les mandats étaient émis au nom du GIE, on serait en face d’une manœuvre frauduleuse caractérisée.
Selon la jurisprudence issue de l’arrêt de la Cour de cassation française du 5 avril 1993, n° de pourvoi 92-82856, « constitue un faux en écriture de commerce, (pénalement punissable) le fait par une personne, tenue de justifier sur le plan comptable les mouvements de fonds effectués en vertu de son mandat, d’établir des pièces justificatives inexactes concernant les opérations correspondantes ».

En comptabilité générale de l’Etat et des collectivités territoriales, c’est le mandat de paiement non la facture qui vaut titre juridique. En d’autres termes, la facture n’est pas utilisée comme pièce comptable pour enregistrer des opérations dans la comptabilité générale de l’Etat ou dans celle des collectivités territoriales. Par ailleurs, on relève que l’ordonnance de renvoi du juge ne confirme pas que les factures fictives ont été employées comme pièces justificatives dans la comptabilité-matières de la ville de Dakar.
La qualification de faux ne devrait être retenue que dans l’hypothèse d’une altération de la vérité dans les mandats de paiement susceptibles de prouver l’existence de créances relatives à des livraisons non effectuées dont pourrait se prévaloir le GIE.
En résumé, l’article 135 du Code pénal ne devrait pas être invoqué à l’égard du faux matériel que constituent les factures fictives établies au nom du GIE et cela sans préjudice de la preuve à apporter sur l’existence d’un détournement de fonds publics (« le détournement étant, (selon Ndongo Fall), une interversion de la possession, (qui) doit donc entrainer une atteinte au patrimoine de la victime : il sera la cause d’un préjudice réel ».

A présent, interrogeons-nous, non sans marquer notre étonnement, sur le cas des deux agents Y.B et F.T inculpés d’usage de faux en écriture de commerce sur le fondement des articles 135 et 136 du Code pénal. L’intelligence distingue facilement que la fabrication du faux et l’usage du faux fabriqué sont deux actes différents ; une personne peut fabriquer un faux sans en être forcément l’utilisateur.
C’est pourquoi notre droit pénal retient que la fabrication de faux et l’usage de faux sont deux délits juridiquement autonomes. D’ailleurs, l’article 147 du CP n’est-il pas assez clair : « L’usage de faux n’est punissable que lorsque son auteur a sciemment utilisé la chose fausse ».
Dans le fonctionnement d’une caisse d’avance, la règlementation ne reconnait que l’ordonnateur, le comptable du Trésor et le régisseur comme acteurs ; comment Y.B et F.T ont-ils pu alors user de faux quand on sait que c’est l’enregistrement comptable qui marque l’usage de faux ; or, ces deux agents n’ont pas accès à la comptabilité générale de la ville.
Une jurisprudence française énonce clairement dans un arrêt du 19 septembre 1987 de la chambre criminelle que c’est la comptabilisation de la facture sans cause qui constitue le délit d’usage de faux.
En retenant dans l’ordonnance de renvoi l’incrimination d’usage de faux en écriture de commerce des deux agents Y.B et F.T, il est fait une fausse application de l’article 136 du CP.
Dans le même ordre d’idées et en ce qui concerne le délit de faux en écriture de commerce, l’incrimination de « fausses factures » pose un problème. En effet, « le délit de faux n’est constitué que si l’altération de la vérité porte sur un écrit qui est apte à établir la preuve d’un droit ou d’un fait entrainant des conséquences juridiques… » (Cass crim.7 septembre 1993, n° pourvoi 92-86786). Les deux agents n’ayant pas présenté des factures fictives pour se faire payer elles-mêmes des fournitures non livrées, l’infraction n’est pas consommée.
En résumé, pour déclarer coupables de faux en écriture de commerce les deux agents, il fallait que les factures fictives qu’ils ont établies et qui ne correspondent à aucun service fait soient payées au nom du GIE. Comme précisé plus haut, en comptabilité publique, c’est le mandat qui constitue un titre juridique et non la facture.

Les faux procès-verbaux de réception à l’épreuve du faux commis dans un document administratif

L’incrimination de faux dans un document administratif est prévue par l’article 137 du CP qui vise la contrefaçon, la falsification ou l’altération des documents délivrés par les administrations publiques. Le même article incrimine l’usage d’un document contrefait, falsifié ou altéré.
En se gardant de donner une liste exhaustive des catégories de documents administratifs, l’article 137 en énumère limitativement huit : permis, certificats, livrets, cartes, bulletins, récépissés, passeports, laissez-passer et y ajoute tous autres documents délivrés par les administrations publiques (évidemment susceptibles d’être l’objet d’un faux) sans en préciser le sens.

Quelle est la nature juridique du procès-verbal de réception ? En clair, le procès-verbal de réception est-il un document administratif au sens de l’article 137 du CP ?
De notre point, le procès -verbal de réception n’entre pas dans la catégorie des « autres documents délivrés par les administrations publiques ». Lorsque les rédacteurs de l’article 137 du CP parlent d’autres documents, il s’agit de documents délivrés par une autorité administrative de l’Etat ou des collectivités territoriales, etc… « en vue de constater un droit, une identité ou une qualité ou d’accorder une autorisation ».
En fait, pour qualifier un faux dans un document administratif, les trois conditions cumulatives ci-après doivent au moins être réunies, évidement en plus de la conscience de faire un faux :
– la contrefaçon, la falsification ou l’altération,
– la délivrance du document par une autorité administrative,
– le document est délivré pour constater un droit, une identité ou une qualité ou pour accorder une
autorisation.

De notre point de vue, les faux procès-verbaux de réception de la caisse d’avances n’ont pas été délivrés par les services financiers de la ville de Dakar en vue de constater un droit, une identité ou une qualité ou pour accorder une autorisation.
Un procès-verbal de réception n’est pas un document administratif qui est délivré aux citoyens qui en font la demande moyennant paiement. Il devrait être assimilé à un simple document « d’ordre purement interne sans aucune valeur probatoire » et à ce titre, il n’entre pas dans les documents administratifs visés par l’article 137 du CP.
A supposer même que le juge de fond fasse une interprétation extensive de la notion de document administratif (évidemment au sens de la loi pénale), si nous revenons sur l’intitulé du titre du paragraphe V (de la section première « du faux » du chapitre IV du Code pénal), voici ce qui est énoncé : « Des faux commis dans certains documents administratifs… ». L’emploi de la préposition « dans » (qui vient du latin deintus, au-dedans c’est-à-dire à l’intérieur) renvoie, de notre point de vue, à l’altération de la vérité dans un document d’origine. Ce qui fait dire à H. Donnedieu de Vabres précité (p.163) que « seul un « document d’origine » -…- à l’exclusion du « document de hasard », peut être l’objet d’un faux ». Prenant l’exemple du « document de hasard », le même auteur s’interroge : « Si l’on suppose que (ce procès -verbal) a été frauduleusement fabriqué … cette atteinte à la vérité dans un « document de hasard » constitue-t-elle un faux ? ».
La Cour de cassation française dans l’arrêt de sa chambre criminelle n° 3076 du 2 septembre 2014 (13-83.698) confirme : « Attendu que, selon (les articles 130 et 137 du Code pénal) ; il n’existe de faux commis dans un document administratif que si la pièce contrefaite ou altérée a pour objet, ou peut avoir pour effet, d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques, et si elle est délivrée par une administration publique aux fins de constater un droit, une identité ou une qualité ou d’accorder une autorisation ».
Enfin, à relever dans le cas de la caisse d’avances que la fabrication des factures fictives et des faux procès-verbaux intervient toujours après la réception des deniers publics par le gérant lui-même ce qui veut dire que les faux documents n’ont pas servi comme titres pour ouvrir la caisse publique.
En résumé, il se pose la question de savoir si l’article 137 du CP peut être invoqué dans le cadre d’un faux procès-verbal de réception, qui, en réalité, n’est pas un document administratif que délivrent à des tiers les administrations publiques ?

En guise de conclusion générale. Certes, on doit reconnaitre que la fabrication de factures fictives/de fausses factures ou de faux procès-verbaux par le gérant de la caisse d’avances est une faute blâmable et plus précisément elle est une faute de gestion qui peut toutefois masquer un fait punissable par la loi pénale comme par exemple le délit d’escroquerie prévu et puni par l’article 379 du CP.
Pour reprendre la formule de Yvonne Muller, « la conclusion s’impose selon laquelle il ne suffit pas de constater que l’acte de gestion critiqué a été accompli à travers une fausse facture ou une facture fictive pour qualifier pleinement un (détournement de fonds publics) » et que « le principe de la légalité criminelle veut (…) qu’on ne peut saisir n’importe quelle faute sous n’importe quelle qualification pénale ».
Dans le procès pénal en cours, la question suivante demeure fondamentale : étant donné qu’en matière de comptabilité publique, c’est le mandat de paiement qui vaut titre juridique, la fabrication des factures fictives et des faux procès-verbaux de réception est-elle pénalement répréhensible ? Voilà une question sur laquelle les juges de fond saisis des chefs d’inculpation visés dans l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel devraient réfléchir avant de se forger « « une « intime conviction » (au sens de l’article 414 du Code de procédure pénale) sur le caractère probant des éléments factuels produits par le (ministère public), sans se contenter de reprendre à (leur) compte (la réquisition du procureur de la République et l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction dont le rôle est d’instruire à charge mais également à décharge conformément à l’article 178 du CPP) » .
Comme le rappelle maitre Doudou Ndoye dans ses annotations sur l’article 414 du CPP, la conviction du juge « doit cependant et dans tous les cas être affirmée en des termes non équivoques et non en de simples probabilités » (« Code de procédure pénale du Sénégal annoté », EDJA,2012, p.171.).

Dakar, le 6 février 2018

Par Mamadou Abdoulaye SOW
Inspecteur principal du Trésor à la retraite
Courriel : [email protected]

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