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Fille d’aveugle, aveugle, mère de cinq enfants mal-voyants : Aïssata Pouye, la sublime vision pour l’éducation

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Aïssata Pouye a grandi à Rufisque, précisément à Thiawlene Pouyene. Entourée de ses enfants, dont les 5 sont non-voyants, elle regarde désor­mais l’avenir avec optimisme. En effet, grâce au projet Education inclusive mené par SightSavers en collaboration avec le ministère de l’Education nationale, ses deux petites filles, Thioro et Aïssatou, vont pouvoir aller dans la même école que les autres enfants.

Une pionnière, Aïssata Pouye, bientôt 40 ans, l’est à plus d’un titre. Dans sa vie de mal-voyante, la providence l’a conduite à être parmi les premières pensionnaires de l’Institut de formation des jeunes aveugles de Thiès (Inefja).  Trente années après, la voilà qui prend les rênes de la première association des parents d’élèves des écoles inclusives. Un challenge que cette léboue (ethnie de pêcheurs), native de Thiawlene Pouyene à Rufisque, compte relever avec toutes les armes à sa disposition. Déjà, elle donne une idée claire de la stratégie qu’elle compte mettre en œuvre pour pousser les parents de déficients visuels à refuser la mendicité pour leurs enfants. Des visites de proximité sont d’ores et déjà inscrites dans son programme.
Des visites au cours desquelles elle compte donner l’exemple de ses frères dont la clairvoyance d’un père, également aveugle de naissance, a permis de faire des études. Aujourd’hui, ces jeunes gens, le baccalauréat en poche, suivent en France pour l’un, une formation de kinésithérapie, tandis l’autre est en train de s’initier aux règles du journalisme. De tels exemples, Aïssata en connaît encore puisque son père, qu’elle ne cesse de remercier, s’est très tôt posé la question de l’avenir de ses enfants et n’a pas hésité à les orienter vers l’Inefja afin qu’ils accèdent à une éducation de qualité. La même question, elle se l’est posée si souvent qu’elle a fini par développer un goitre, une mala­die thyroïdienne.
La réponse à ses préoccupations survient par le plus grand des hasards. «C’est en écoutant la radio communautaire Jokko Fm que j’ai appris l’existence d’un projet d’éducation inclusive à l’école Cherif II de Rufisque. Et je dois avouer qu’au début, je n’étais pas du tout convaincue parce que je connais les difficultés liées à l’apprentissage du braille. Et je me disais que des enseignants qui n’ont pas reçu une formation spécialisée comme celle de l’Inefja ne pouvaient pas assurer de telles leçons.» Finalement, l’idée d’avoir une opportunité pour éduquer ses enfants que l’Inefja a refusés faute de place, la pousse à se rapprocher de ces enseignants. Après plusieurs discussions avec les maîtres de Cherif II, les appréhensions de Aïssata quant à la disponibilité d’un matériel adéquat, sont levées et elle constate, avec fierté, aujourd’hui les progrès de ses enfants. «Ce que je craignais surtout, c’était que les enseignants ne disposent pas du matériel nécessaire ou bien qu’ils n’aient pas les compétences», confie Aïssata avec ce sourire qui ne semble jamais  quitter son visage bien longtemps.

Un combat pour l’éducation
C’est en 1983, un an après l’ouverture de l’Inefja, qu’elle intègre la structure pour suivre un enseignement général. Les débuts sont difficiles. L’éloignement de la famille pousse les petits pensionnaires à verser des torrents de larmes, se souvient Aïssata. Mais au fil du temps, de solides liens se nouent entre les jeunes élèves qui y découvrent une famille de substitution, plus compréhensive parce que vivant avec le même handicap. Mais l’idée dérange quelque peu Aïssata. A son avis, il s’agit d’une forme de discrimination que de regrouper des non-voyants. Le principe des écoles inclusives étant plus démocratique, selon elle. «Les enfants doivent savoir qu’il n’y a aucune différence entre eux et les autres enfants et cela, il ne peuvent le comprendre que si on les traite de la même façon.»
Mais au bout de quelques années, un mariage et une grossesse l’obligent à renoncer à obtenir le baccalauréat comme ses deux jeunes frères, eux aussi aveugles de naissance. «Je me suis mariée alors que je faisais la 4e au collège. Et comme le règlement de l’école ne permettait pas aux femmes mariées d’être internes, j’ai du abandonner vu que je n’avais pas de tuteur à Thiès», raconte-t-elle.  Aïssata se tourne alors vers le petit commerce pour subvenir à ses petits besoins ainsi qu’à ceux de sa famille. Mais cela ne dure guère devant la mauvaise foi des clients qui cherchent souvent à tirer profit de son handicap. C’est alors le temps de l’oisiveté mais aussi celui de la maternité pour notre interlocutrice. Après un divorce et un remariage, Aïssata donne naissance à 5 enfants, tous non-voyants. «Deux de mes enfants sont à l’Inefja. Les deux autres viennent d’entrer cette année à l’Ecole inclusive Cherif II de Rufisque.»
En effet, Thioro 11 ans et  Aïssatou 7 ans, viennent d’intégrer cette expérience menée de façon conjointe par SightSavers et le ministère de l’Education nationale dans trois départements de la région de Dakar que sont Pikine, Rufisque et Guédiawaye. Après quelques mois d’apprentissage, les deux petites filles se sont épanouies, apprécie leur maman qui raconte qu’elles font de gros efforts et suivent parfaitement les leçons. «Et quand elles rentrent à la maison, je les suis parce que j’ai reçu une formation en braille.» Pas besoin donc du maître référant qui est un des éléments-clés du dispositif de formation mis en place par le projet Education inclusive. Aïssata suit elle-même l’évolution de ses enfants et s’en félicite.

L’association des parents d’élèves : un nouveau challenge
Ici, dans le quartier de Thiaw­lene Pouyene à Rufisque, tout le mon­de connaît la famille de Aïs­sata Pouye. Une famille qui compte parmi ses membres plusieurs non-voyants et mal-voyants. Une situation que Aïssata vit avec sérénité. En regardant dans le rétroviseur, la mal-voyante n’a que reconnaissance pour son géniteur. C’est grâce à sa clairvoyance qu’elle a pu subir une opération chirurgicale dès les premières années de sa vie. Opération qui lui a permis de garder une vision certes faible, mais qui lui permet d’avoir son autonomie. «Mon père était aveugle, de même que plusieurs de mes frères et sœurs. Mais il a toujours insisté pour nous envoyer à l’Inefja. Et nous sommes tous allés à l’école.» Aujourd’hui c’est au tour de ses deux petites filles de fréquenter une école élémentaire, avec des camarades sans handicap.
Mais les problèmes ne manquent pas pour autant. «Le problème du transport se pose vraiment. L’é­cole Cherif est loin de notre quartier, mais c’est quand même l’école inclusive la plus proche. Chaque jour, les petites doivent prendre d’abord le car jusqu’à la Sonadis avant de reprendre un taxi clando qui les amène à Cherif. Et là encore, elles doivent marcher avant d’arriver à l’école. C’est ma fille qui les accompagne mais uniquement pour la première partie du trajet parce qu’elle aussi doit aller en classe. C’est vraiment difficile et j’espère que les autorités feront ce qu’il faut pour que d’autres classes inclusives soient ouvertes dans les autres écoles ou à défaut, qu’il y ait des bus de ramassage scolaires pour les enfants non voyants».
Parler de son élection à la présidence de l’association des parents d’élèves plonge immanquablement Aïssata dans le fou rire. En effet, elle garde de ce moment un souvenir plus que beau. «L’élection s’est déroulée dans une bonne ambiance. Il y avait deux candidats. Moi et un autre parent d’élève. On a chacun fait sa campagne et moi j’ai dit que je connaissais parfaitement le mouvement associatif parce que j’ai eu à diriger la section féminine de l’Association pour la renaissance des aveugles du Sénégal (Aras). Des gens ont voulu me convaincre de désister en faveur l’autre candidat, j’ai dit non. C’est la parité, il faut voter. On a voté et j’ai gagné», raconte la nouvelle présidente.
Place maintenant au travail. «Je sais ce que vivent les parents d’enfants handicapés. Ce n’est pas du tout facile. En plus, l’Inefja a atteint ses limites et beaucoup d’enfants aveugles sont condamnés à rester dans les maisons avec des parents qui ont tellement pitié d’eux qu’ils ne leur apprennent rien. Ils ne savent pas comment manger, se déplacer encore moins lire et écrire. Il faut que cela cesse !» Même si ces enfants ne voient pas, cela ne signifie nullement qu’ils sont des simples d’esprit comme les gens ont tendance à les considérer, se révolte Aïssata. Pour elle, non-voyant, mal-voyant et personne sans handicap, il n’y a aucune différence. De plus souligne-t-elle «Dieu a fait que les non-voyants développent leur intelligence parce qu’en toute chose, ils doivent l’utiliser pour s’en sortir».
Aujourd’hui, les lendemains sem­blent meilleurs pour la famille Pouye. Le spectre de la mendicité s’éloigne de ses rejetons. Mais comme le souligne cette mère de famille, «en plus des enfants de la région de Dakar, il y a encore treize autres régions dans lesquelles on trouve des enfants non vo­yants». La solution reste pour elle, l’élargissement du projet Educa­tion inclusive, quitte à intégrer un cursus en braille dans les écoles de formation des enseignants et des professeurs.

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