En l’état actuel des choses, ce qu’il faut retenir de la décision du conseil constitutionnel, c’est le désaveu cinglant des initiateurs de la cabale APR-PDS, reposant sur une prétendue corruption de certains Sages du conseil constitutionnel et qui avait au moins trois objectifs. Cette conspiration anticonstitutionnelle devait remettre en selle Karim Wade, éliminé de la liste des candidats définitivement retenus, pour parjure ; allonger le mandat du président Macky Sall, privé de troisième mandat et décidément très peu pressé de quitter les lambris dorés du pouvoir ; et accessoirement larguer le « candidat-tocard » de Benno Bokk Yakaar, déjà donné perdant par les sondages occultes, circulant sous le manteau.
UN REPORT ILLÉGAL
La situation semblait critique, car le complot anticonstitutionnel avait la bénédiction du Chef de l’État, connu pour ses talents de manœuvrier politique hors pair. Il pouvait, en outre, compter non seulement sur des dizaines de députés prêts à lui obéir au doigt et à l’œil et sur un parterre de juges, à la réputation douteuse, avec lesquels, il avait des accointances prononcées, enclins à honorer ses commandes judiciaro-politiques, car lui étant redevables de beaucoup de bienfaits illicites.
Malgré tout, le tollé et la levée de boucliers suscités dans le pays et à l’étranger, par le « coup de force institutionnel » du 3 février dernier, étaient tels que le Conseil constitutionnel ne pouvait que renouer avec sa sagesse originelle et rejeter, sans coup férir, les deux textes censés justifier le report de l’élection présidentielle au 15 décembre 2024. Il s’agit, d’une part, du décret n° 2024-106 du 3 février 2024, portant abrogation du décret convoquant le corps électoral pour l’élection présidentielle du 25 février 2024 et de l’autre, de la loi portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution, adoptée sous le n° 4/2024 par l’Assemblée nationale, en sa séance du 5 février 2024.
Ce report, s’il avait été validé, aurait violé des clauses d’éternité comme la durée du mandat présidentiel, d’une durée de cinq ans.
Dans tous les cas, ce véto de dernière heure aux motivations aussi complexes qu’obscures, constitue un coup de frein salutaire, qui est venu interrompre la carrière politique sinusoidale du président Macky Sall, jalonnée par des voies de fait et des excès en tous genres.
La première bévue digne d’intérêt remonte aux élections régionales, municipales et rurales, du 12 mai 2002, quand le président Sall, alors ministre de la République, effectua son vote, sans daigner présenter sa pièce d’identité (qu’il avait dû oublier à Dakar), au président d’un bureau de vote de la commune de Fatick. Ce qui ne devait être qu’un faux pas malheureux se révèlera, par la suite, comme hautement emblématique du parcours, marqué par le forcing, de celui qui, dix ans plus tard, allait présider aux destinées de notre Nation. L’annulation, au dernier moment, de manière aussi unilatérale qu’illégale, de l’élection présidentielle du 25 février 2024, peut donc être considérée comme le couronnement logique d’une longue liste de forfaits politiques.
FORFAITS POLITIQUES EN SÉRIE
C’est ainsi, que plus tard, en tant que président de la République, il allait multiplier les transgressions, depuis la convocation express du référendum du 20 mars 2016, sur un projet de réforme constitutionnelle, l’adoption, en quatrième vitesse, sans concertation, de la loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013, portant Code général des Collectivités locales ou acte 3 de la décentralisation, dans une période coïncidant avec les préparatifs du Magal et des fêtes de fin de l’année. Poursuivant sa stratégie du fait accompli, il allait déstructurer notre système électoral, en faisant voter, « sans débat », par sa majorité mécanique, dans une Assemblée sous état de siège, la sinistre loi sur le parrainage citoyen, qui nous vaut, en grande partie, les déboires que vit actuellement notre Démocratie.
On ne saurait passer sous silence, l’instrumentalisation de la justice se traduisant par la criminalisation systématique des opposants politiques, victimes d’innombrables arrestations illégales et injustifiées, de procédures judiciaires inéquitables voire fantaisistes, selon l’avis d’organismes internationaux spécialisés, comme la Cour de Justice de la CEDEAO ou le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU…etc.
Enfin, une place à part revient au duel épique entre le président Macky Sall et celui qui, par la force des choses, est devenu le principal opposant à son régime, à savoir Ousmane Sonko, littéralement persécuté, depuis plusieurs années, radié de la Fonction Publique, poursuivi pour plusieurs chefs d’accusation infondés, par des magistrats aux ordres. Après un thriller judiciaire scandaleux et plein de rebondissements, il sera finalement évincé de la présente élection présidentielle pour le motif fallacieux de diffamation d’un ministre présumé coupable de malversations à hauteur de 29 milliards, une condamnation taillée sur mesure pour le rendre inéligible.
L’ARME RECURRENTE DU « CHANTAGE AU DIALOGUE »
L’emprisonnement d’Ousmane Sonko (et de milliers de militants de son parti), devenu l’agneau du sacrifice des caïds du système néocolonial, n’a pu être possible, qu’en raison d’erreurs d’appréciation, mais aussi de reniements regrettables du parti démocratique sénégalais et de certains leaders de Yewwi Askan Wi, la principale coalition de l’Opposition.
Pourtant, l’Opposition politique avait réussi le plus difficile lors des législatives du 31 juillet 2022, en mettant sur pied l’Intercoalition Yewwi-Wallu, qui avait réussi à mettre Benno Bokk Yakaar en minorité à l’Assemblée Nationale. De plus, l’Opposition dite radicale, sous la houlette du PASTEF, était parvenue à édifier, contre la gouvernance erratique, autoritaire et peu vertueuse du régime du Benno-APR, un puissant mouvement de résistance, qui va finalement contraindre le président Macky Sall à renoncer à son troisième mandat.
C’est précisément pour sortir de cette situation inconfortable, que le président Macky Sall allait convoquer un nouveau dialogue politique, comme il le fit après le score mitigé obtenu lors du référendum de mars 2016 et sa réélection usurpée lors de l’élection présidentielle de février 2019, de laquelle il avait écarté ses principaux rivaux. A chaque fois, il s’était agi, non pas de trouver des solutions consensuelles aux défis interpellant la Nation, mais d’initier des manœuvres politiciennes comme la manipulation de la Constitution ou du code électoral, le débauchage d’adversaires politiques … Le 31 mai 2023, eut donc lieu l’ouverture officielle du dialogue imposé, avec la participation « forcée » de Taxawu Sénégal et du PDS, désireux de voir leurs leaders (artificiellement rendus inéligibles) remis en selle pour la présidentielle prévue le 25 février 2024.
Macky Sall semble donc considérer le dialogue comme une recette miracle, une sorte de poudre de perlimpinpin dotée de vertus merveilleuses et apte à gommer toutes les forfaitures politiques, qu’il commet, à longueur d’année. Il est pourtant clair, que le premier acte de dialogue, de décrispation et de rupture avec notre système hyper-présidentialiste obsolète est son départ dans les meilleurs délais de la tête de l’Etat.
PAS DE DIALOGUE MAIS DES CONCERTATIONS POUR UNE REFONDATION INSTITUTIONNELLE
Le système politique basé sur le clientélisme, la corruption et les violations permanentes des standards et normes de la démocratie représentative, en vigueur dans nos pays néo-colonisés, depuis l’indépendance formelle des années 60, a visiblement atteint ses limites. Il est miné par des contradictions ayant atteint leur maturité, au moins depuis l’alternance de 2000.
Ce n’est donc pas un hasard, si ce sont les formations politiques libérales dirigées par Me Abdoulaye Wade et le président Macky Sall, qui sont à l’origine de cette bourde politique monumentale, que constitue l’annulation de la présidentielle du 25 février prochain et que les sept Sages viennent, fort heureusement de rejeter.
Dans l’optique de perpétuer leur règne, les libéraux ont usé, à volonté, d’entourloupes et de combines incessantes, auxquelles le peuple s’est toujours opposé, dans le cadre d’une bataille politique loyale et apaisée. Malheureusement, depuis l’avènement du régime de Benno Bokk Yakaar, la confrontation a pris une tournure plus agressive, exacerbée depuis 2019, à mesure que les exigences pour la rupture avec la domination néocoloniale se faisaient plus fortes.
Cela s’est traduit par la détérioration de l’indice de démocratie du Sénégal, qui, selon The Economist Group, est passé du statut de « démocratie imparfaite » à celui de « régime hybride » et ce n’est pas le coup d’Etat constitutionnel avorté ni les coupures d’Internet et de signaux TV, qui vont arranger les choses.
L’usage abusif de la force et l’instrumentalisation de la Justice ont également fait la preuve de leur inefficacité, la coalition présidentielle étant finalement devenue tellement minoritaire qu’elle est terrifiée par l’approche de l’élection présidentielle, qu’elle vient de tenter de renvoyer aux calendes grecques.
A l’heure actuelle, l’urgence n’est pas de dialoguer mais de désarmer, de neutraliser des forcenés politiques, qui ont pris notre République bananière en otage.
Les forces vives auront le loisir, après la défaite du candidat de Benno Bokk Yakaar, de convoquer une concertation nationale pour la réactualisation et la mise en œuvre des conclusions des Assises Nationales et des recommandations de la CNRI.
NIOXOR TINE