Les autorités sénégalaises ne cautionneront sûrement pas les remarques du Rapport mondial de suivi de l’Education pour tous (EPT). Ce document présenté à Dakar, le 1er mars dernier en présence des ministres du Sénégal, de la Sierra Léone, de la Guinée, de la Guinée Bissau, du Libéria et de la Gambie, se penche sur « La crise cachée : les conflits armés et l’Education ». Mais il s’agit d’un rapport bilan entre 1999 et 2000. Le document met plus l’accent sur les réalisations d’autres pays et oublie les « avancées » clamées depuis fort longtemps par le Sénégal en matière d’éducation. Parmi les gouvernements qui ont investi « davantage » dans l’éducation, au cours des dix dernières années, l’Afrique subsaharienne a nettement accru son effort de financement de l’éducation. De manière générale, la part du revenu national investie dans l’éducation est ainsi passée de 3,5% en 1999 à 4% en 2008. Cette progression a été particulièrement remarquée, selon le rapport, au Burundi, en Ethiopie, au Mozambique, dans la République-Unie de Tanzanie et au Swaziland. Et le Sénégal ? Les 40% du budget de l’éducation clamés par le gouvernement ont ainsi été oubliés. A moins que, après enquête des bailleurs de Fonds, que cette part importante soit revue à la baisse. D’autant que ce taux a toujours été l’objet de contestation de la part de la société civile.
L’ex-représentant de la Banque mondiale à Dakar, le Tunisien Habib Fétini avait déclaré en mai 2010 qu’une enquête était en cours pour y voir un peu plus clair. Il avait cependant, révélé que le budget de l’Etat était de 32%. Un taux que le ministre de l’Enseignement préscolaire, élémentaire, moyen-secondaire et des langues nationales Kalidou Diallo avait confirmé, mais en l’expliquant par des coupes budgétaires effectuées depuis 2008. Son collègue de l’Economie et des finances, Abdoulaye Diop, devant le Parlement, il y a quelques mois, a déclaré que les 40% sont injectés (seulement) dans le fonctionnement. Cette valse des chiffres a-t-elle joué dans les notes des rédacteurs du rapport sur l’EPT ?
REDUCTION DE 20% DU BUDGET EN 2009
La faible place du Sénégal dans ce rapport se mesure aussi à l’aune de la réduction des dépenses consacrées à l’Education. Ainsi, lit-on dans ce rapport, 5 des 13 pays ayant participé à l’enquête ont réduit leurs dépenses d’éducation la même année. Là où le Niger a soustrait 6%, la Guinée Bissau et le Tchad 15%, le Sénégal a, quant à lui, considérablement diminué ses dépenses de 20%, comme le Ghana. Ce qui, même si le secteur reste une préoccupation pour les autorités avec un taux toujours élevé, remet en cause les acquis, alors que les objectifs ne sont pas encore atteints. Et le Sénégal qui s’était jusqu’ici proclamé modèle en matière de politique éducative et de résultats jugés « satisfaisants » perd désormais son « prestige ». Etant donné qu’à chaque fois qu’il est cité dans ce rapport, c’est pour le classer dans le lot des meilleurs élèves ou alors tout simplement zappé de la tête de peloton. Cette intention, aujourd’hui confirmée, de revoir à la baisse les intrants de l’éducation entraîne, de toute évidence, une chute des bons résultats enregistrés jusqu’ici. Cela, au moment où le gouvernement espère atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd) en 2015. S’il est vrai que, concernant l’accès pour tous à l’éducation, premier point du Programme décennal de l’éducation et de la formation (Pdef), des « efforts importants » ont été faits, il reste que la qualité, deuxième phase de ce programme, peine à satisfaire. Le rapport de suivi de l’Ept est on ne peut plus clair, en soulignant que « les six objectifs assignés en 2000 par plus de 160 pays à l’éducation pour tous ne seront pas atteints en 2015 ». Sans doute, le Sénégal n’est pas en reste. Il faut tout de même dire que les pays en mauvaise posture sont surtout ceux qui sont en conflits ou en post conflits. Ils n’ont que peu de chance pour rattraper le retard accusé dans le domaine de l’éducation.
RISQUE DE « TRAHISON » DE LA DECLARATION DE DAKAR
Le Sénégal s’était réjoui d’avoir été en 2000, le lieu de lancement des objectifs de 2015 de l’éducation, à travers la Déclaration de Dakar. Ce choix aurait pu servir de motivation à l’Etat qui devrait en faire son cheval de bataille. Toutefois, le Sénégal ne sera pas le seul pays à ne pas réaliser les objectifs fixés. En fin de compte, l’équipe de Kévin Watkins, Directeur du rapport, constate que, 10 ans après ce sommet, « le message principal du Rapport mondial de suivi de l’Ept 2011 est que les gouvernements du monde entier sont en passe de ne pas tenir leurs engagements collectifs ». Plus pessimiste encore, poursuit-on, « certains signes inquiétants » laissent penser que le « décalage » entre la Déclaration de Dakar et les résultats « s’accroît ». En outre, les tendances actuelles montrent que « les enfants non scolarisés pourraient être plus nombreux en 2015 qu’aujourd’hui ». Les craintes d’un échec d’ici à 2015 sont telles que, le rapport avertit : « Sans un effort concerté pour changer ce tableau, la promesse de Dakar aux enfants du monde sera considérablement trahie ».
Certes, au Sénégal, des chiffres ont été brandis pour traduire les avancées notées et des textes ont été adoptés pour encourager l’Education pour tous. Il semble, en revanche, qu’il a été plus question de jouer à la course contre la montre vers les Omd que d’élaborer une stratégie rationnelle. C’est comme cela que les résultats de l’entrée en sixième de 2010 ont été obtenus. Non pas parce que le niveau ou la qualité l’autorise mais, parce que des places seraient disponibles. Encore que les performances du système telles qu’elles sont souvent rappelées par les autorités de l’éducation sont à relativiser, au vu des donnés statistiques livrées par le présent rapport. Le tableau relève que le Taux national de scolarisation (Tns) dans l’enseignement primaire était de 73% en 2008 contre 55% en 1999 et celui de « survie de dernière année », donc d’achèvement, était de 58% en 2008 là où il enregistrait 30% dix ans auparavant. Pour le Secondaire, le Taux brut de scolarisation (Tbs) est estimé à 31% alors qu’il était de 16% à la veille de la Déclaration de Dakar. Seulement, la régression constatée dans le ratio élève/enseignant est paradoxale, malgré les recrutements effectués par l’Etat. Si en 1999, ce rapport était de 49%, en 2008, il a reculé de 18%, soit 31%. Le Sénégal est condamné à combler le déficit d’enseignants pour parvenir à l’Education primaire universelle (EPU). Et l’Afrique subsaharienne, de façon générale, devra compter sur 1 million d’enseignants supplémentaires pour réussir le pari sur près de 2 millions d’enseignants.
Cette tendance à la baisse semble se justifier, pour le Sénégal en tout cas, par l’élimination de certains obstacles au passage des élèves : le « permis » de redoubler plusieurs fois, les examens, comme l’entrée en sixième, presque facultatifs, la réduction de la moyenne au Bfem, l’obligation scolaire, etc. Comme quoi, toutes ces mesures au nom de la promotion de l’Ept ne sont pas toujours aussi efficaces pour le secteur de l’éducation.
6 jours de dépenses militaires peuvent financer l’Ept
La part importante du budget que les pays très pauvres, africains notamment, consacrent à leur armement émeut les rédacteurs du Rapport de suivi de l’Education pour tous. Ce triste constat est d’ailleurs l’objet du document intitulé « La crise cachée : les conflits armés et l’éducation ». Il ressort que dans des pays comme l’Ethiopie, le budget militaire représente « le double du budget de l’éducation primaire », alors que le Tchad, qui affiche « certains des pires indicateurs » du monde en matière d’éducation, dépense « quatre fois plus pour son armement que pour ses écoles primaires ». Pourtant, fait remarquer le rapport, « il suffirait de six jours de dépenses militaires de ces pays pour financer les 16 milliards de dollars qui manquent aujourd’hui à l’Ept ». Les Nations-Unies se désolent ainsi que ces pays n’aient pas saisi « la chance que représente la paix pour reconstruire l’éducation »
Hamath KANE
lagazette.sn