Le Conseil d’État, saisi pour trois recours en urgence, a refusé vendredi de suspendre l’usage du lanceur de balles de défense (LBD). Utilisé lors des manifestations des Gilets jaunes, son usage fait débat.
Son usage fait polémique, mais le Conseil d’État a tranché : la plus haute juridiction admnistrative a rejeté, vendredi 1er février, les demandes de suspension de l’usage du lanceur de balles de défense (LBD) dans les prochaines manifestations de Gilets jaunes, estimant que le risque de violences rendait « nécessaire de permettre aux forces de l’ordre de recourir à ces armes ».
La CGT et la Ligue des droits de l’homme (LDH) avaient tenté mercredi, lors d’une audience tenue en urgence, de convaincre les juges administratifs d’interdire cette arme selon eux « dangereuse », à l’origine de nombreuses blessures graves et utilisée plus de 9 200 fois depuis le début du mouvement de contestation sociale.
Dans sa réponse à la requête de la CGT et de la LDH, le Conseil d’État reconnaît notamment que « l’usage de ce matériel (le LBD, NDLR) a certes provoqué des blessures, parfois très graves », mais explique aussi : « Il ne résulte pas de l’instruction que l’organisation des opérations de maintien de l’ordre mises en place (…) révèlerait une intention des autorités concernées de ne pas respecter les conditions d’usage strictes mises à l’utilisation de ces armes. »
La bataille des chiffres
Ces dernières semaines, l’attention s’est focalisée sur les blessures infligées aux manifestants par ces armes qualifiées d' »intermédiaires ». Selon le collectif militant « Désarmons-les », 17 personnes blessées par la police ont perdu un œil depuis le début du mouvement des Gilets jaunes. Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner comptabilise, pour sa part, quatre personnes gravement blessées à l’œil sur les 101 enquêtes menées par la police des polices. Pour calmer la colère, il a annoncé que les policiers équipés d’un LBD seraient désormais porteurs de caméras piétons.
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Mais samedi, lors de l’acte XI des Gilets jaunes, la polémique est montée d’un cran, après la grave blessure à l’œil à Paris d’une figure du mouvement, Jérôme Rodrigues. Ce dernier affirme avoir été touché par une balle de défense, ce qu' »aucun élément » ne permet à ce stade de dire, a nuancé le secrétaire d’État à l’Intérieur, Laurent Nuñez. Deux enquêtes ont été ouvertes après cette blessure, dont les investigations ont été confiées à l’Inspection générale de la Police nationale. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, s’est prononcé contre son usage en opération de maintien de l’ordre.
Arme « sublétale » versus « létale »
Le débat autour de l’usage du LBD 40, successeur du flashball, ne date pas d’hier. À l’origine, les LBD sont apparus dans les années 1990, avec une létalité amoindrie pour ne pas tuer. En France, ces armes étaient alors strictement réservées aux unités spécialisées. À l’occasion d’émeutes en banlieues, leur usage a ensuite été élargi aux Brigade anti-criminalité (BAC). Dans les années 2000, l’usage a encore été élargi aux policiers de proximité. Depuis, il a été plus largement diffusé dans les unités de maintien de l’ordre.
L’administration française définit le LBD comme une « arme sublétale » utilisant un projectile conçu pour se déformer et/ou s’écraser à l’impact et limiter le risque de pénétration dans un corps vivant, mais avec une puissance d’arrêt suffisante pour dissuader ou arrêter un individu. Mais selon certaines sources, le système LBD peut présenter à courte distance des effets traumatiques irréversibles voire mortels.
Pour les défenseurs du LBD 40, supprimer cette arme intermédiaire « renforcerait les risques d’usage disproportionné de la force publique, explique David Le Bars policier, dans le JDD du 28 janvier. Le LBD constitue en effet un compromis entre le contact physique, particulièrement dangereux pour tous les acteurs du maintien de l’ordre, manifestants comme policiers, et des moyens ou des armes plus puissants ».
« Ces armes non létales sont maintenant plus précises que les flashballs et leur puissance a été réduite, argumentait de son côté Luc Escoda, du Syndicat de police Alliance. Le projectile envoyé ne perfore pas ».
Faux, argumente-t-on dans les rangs des anti-LBD. « Il faut arrêter de dire que ces armes ne sont pas létales, leur non-létalité n’est pas prouvée ! », a affirmé plusieurs fois Me Arié Alimi, avocat du collectif militant « Désarmons-les », citant le cas d’un pompier touché à la tête qui serait mort sans intervention médicale. En outre, le recours à « ces armes particulièrement dangereuses lors des manifestations causant des dommages irréversibles », porte « atteinte aux libertés fondamentales telles que le droit de manifester et le droit à la protection de la vie », dénonce également La Ligue des droits de l’homme.
Proscrit dans les pays nordiques
La polémique n’a rien de surprenant car l’Europe est divisée sur cette question. La plupart des pays du Nord n’ont plus recours à ce type d’armes : l’Autriche, l’Irlande, la Finlande, la Norvège, la Suède, le Danemark et le Royaume-Uni l’ont proscrit y compris pour le maintien de l’ordre. En Allemagne, il est utilisé dans deux Landers sur seize.
La France, en revanche, tout comme la Pologne et la Grèce – avec une petite restriction – usent sans limite du LBD. En Espagne, excepté la Catalogne, il est également utilisé, mais seulement par la gendarmerie (Guardia civile).
La position française interroge les chercheurs. « C’est une aberration : la France ne devrait pas être dans ce groupe qui rassemble essentiellement des anciennes dictatures, affirme Sébastian Roché. Le fait est qu’elle est a gardé une tradition de police centralisée, où le citoyen n’a pas sa place. À la différence des pays nordiques qui ont organisé une police tournée vers la population, et dont l’un des objectifs est de s’en faire accepter ».