Le consulat français de Dakar est connu pour être l’un des pires de l’Afrique de l’Ouest. L’accueil catastrophique et les attentes interminables ne semblent pas émouvoir la présidence sénégalaise.
«Quand il pleut, il n’y a même pas d’abri pour protéger les gens de la pluie». Thierno Ibrahima Dia ne décolère pas. Sénégalais, il est membre du conseil d’administration de l’association Survie, en lutte contre le système de la Françafrique. Et comme beaucoup, il dénonce les conditions d’accueil du consulat de France à Dakar.
En 2000, une pétition lancée par le site Senegalaisement.com entendait protester contre «l‘incompétence et la mauvaise volonté des fonctionnaires du consulat de Dakar» et signaler «des abus». Aujourd’hui encore, des internautes viennent raconter leurs mésaventures dans les commentaires. Sur la page consacrée à ces doléances, une photo de l’ambassade illustre le propos, accompagnée de cette légende: «Le bâtiment infernal».
«J’avais du sang sur toute ma veste»
L’une des pires histoires est sûrement celle de Léna Diop. En 2004, elle vient spécialement au Sénégal pour récupérer des papiers originaux que détient encore le consulat. On lui propose un rendez-vous deux mois plus tard.
«J’ai dit que je ne pouvais pas, que je restais moins d’un mois.»
Parce qu’elle exigeait qu’on lui rende ses documents originaux avant son retour en France et qu’elle a refusé de bouger tant que ce ne serait pas fait, Léna a fini par être électrocutée au taser, à plus de six reprises, et traînée au sol.
«La peau de mon doigt s’est complètement arrachée. J’avais du sang sur toute ma veste, les cheveux hirsutes, ma peau en lambeaux, mes lunettes cassées.»
Après un article dans Jeune Afrique, le consul s’excuse finalement auprès de Léna, et les trois gendarmes français qui l’ont «malmenée» sont jugés et reconnus coupables par le tribunal de Créteil. Amende de 8.000 euros. Dispensés de peine.
Léna dit avoir encore du mal à digérer cette affaire. «Plein de gens m’ont raconté leur histoire après ça, exactement la même que la mienne… Tout ça était bien rôdé!»
Un petit billet pour accélérer les procédures
Depuis ce scandale, les Français ne sont plus autorisés à rentrer dans le consulat. Pour les autres c’est toujours la queue devant le bâtiment. Il suffit de se rendre sur place pour le constater. Cet après-midi là, le soleil faisait monter la température à plus de 30 degrés. Dans la queue face à la grille du consulat, une centaine de personnes s’agglutine. «Ils traitent les gens comme de la merde», peste Moussa. Il est venu spécialement de France, dont il est originaire, contester un refus de visa pour sa belle mère.
«Elle devait venir voir notre fils né il y trois mois.»
En plus des conditions d’attente, la demande de visa coûte cher. Il faut compter au minimum 40.000 francs CFA (60 euros), une vraie petite fortune alors que le salaire mensuel moyen au Sénégal est de 50.000 francs CFA (76 euros)… Et, ce qui n’est pas pour redorer le blason du consulat, sur la pétition un signataire évoque même une demande de bakchich.
«Le monsieur m’a dit clairement qu’il avait une tonne de dossiers, et que si je souhaitais obtenir ma carte d’étranger rapidement il serait préférable que je verse un petit billet pour accélérer les procédures», témoigne-t-il.
Point noir
Mathieu est proche des milieux diplomatique. Sous couvert d’anonymat, il a accepté de témoigner.
«En terme de communication, le consulat c’est le point noir. Je crois que c’est partout pareil en Afrique, mais au Sénégal encore plus, parce que c’est un pays de forte émigration.»
Il est lui-même abasourdi par la façon dont on reçoit les gens au consulat.
«On se tire une balle dans le pied. Les visas ça ne concerne pas tout le monde ici, 90% des gens ne peuvent pas se payer le voyage. Donc les demandes concernent la société active, des leaders d’opinion. A ces gens-là, on sert une soupe dégueulasse, un service médiocre.»
Universitaires et hommes d’affaires dégoûtés
A vouloir limiter les migrations, le consulat de France fait fuir les candidats diplômés vers d’autres pays, notamment les Etats-Unis. Devant le consulat, Papa Mody Ndiaye, enseignant à l’Ecole polytechnique de Thiès, raconte:
«J’ai cinq collègues universitaires qui ont juré de ne plus jamais mettre les pieds en France à cause des conditions d’obtention des visas. Maintenant, ils se tournent vers les Etats-Unis pour les échanges universitaires.»
Juste derrière lui dans la queue, Malick Ndiaye, banquier en costume chic, déplore «l’excès dans les demandes et l’accueil du consulat, même pour les hommes d’affaires. J’en connais qui délaissent maintenant la France et se rendent en Chine ou en Turquie, pays pour lesquels l’obtention d’un visa commercial ne pose aucun problème».
Pour Mathieu, tout cela n’est pas le fruit du hasard:
«C’est une politique voulue: on fait tout pour décourager l’immigration venue d’Afrique. On ne peut pas le voir autrement, c’est objectif comme constat.»
Il rappelle cependant que les fonctionnaires, beaucoup critiqués, sont eux-mêmes victimes de conditions de travail difficiles.
«Le consulat est toujours en sous-effectif. Les employés doivent gérer 30.000 demandes par an. Avec leurs petits bras, ils ne peuvent pas tout faire! C’est vraiment dur et ils demandent toujours des effectifs à Paris sans être pour autant écoutés.»
Côté Quai d’Orsay (le ministère des Affaires étrangères français), on se borne à livrer un discours attendu.
«On a des agents qui sont des professionnels dévoués à leur tâche. Ils ont énormément de demandes et de visites, la pression est grande.»
On rappelle que «le consulat général de France à Dakar est l’un des plus importants d’Afrique subsaharienne», et on met en avant les chiffres positifs. «Le taux de délivrance des visas est de 75%. Plus de sept demandes sur dix sont donc satisfaites, situation bien plus favorable qu’il y a sept ou huit ans», où ce taux était alors de seulement 60%.
«Que fait un chef d’Etat pour ses citoyens?»
Et le gouvernement sénégalais dans tout ça? Thierno Ibrahima Dia s’indigne:
«La mission d’un chef d’Etat, c’est quand même d’assurer la protection de ses citoyens. Or, là, on n’est pas protégés, on n’est pas respectés.»
Il estime que cette situation pose la question centrale qui anime le combat de son association: «Que fait un chef d’Etat pour ses citoyens?»
Pourtant, dans d’autres circonstances, le gouvernement Wade sait intervenir dans les actions de l’ambassade. On se souvient encore du départ tumultueux de l’ancien ambassadeur Jean-Christophe Rufin, que Wade avait pris en grippe après quelques petites déclarations qui ne ménageaient pas son clan.
Mathieu dénonce lui aussi «les courts-circuitages permanents qui ont commencé à poindre pendant son mandat». Il évoque une double diplomatie, celle «officielle des petits fours, des réceptions et des ambassades» et celle de l’Elysée, «où les chefs d’Etat appellent directement».
Il illustre son propos par un exemple:
«Il y a deux ans Karim Wade a été reçu à l’Elysée, sans que les gens de l’ambassade aient été prévenus. Tout le monde l’a appris le matin, à la lecture des journaux, dans un contexte aussi compliqué que celui de la succession possible de Karim Wade à son père.»
Mathieu résume:
«Il y a une sorte de retournement; on est plus dans la Françafrique, mais dans l’Afriquefrance. Ce sont les intérêts personnels des hommes politiques qui influencent la politique diplomatique.»
Françafrique
Au début de son mandat, Nicolas Sarkozy promettait une rupture avec le système de la Françafrique. Mais pour Thierno Dia, de l’association Survie, même Jean-Christophe Rufin, souvent désigné comme l’homme de ce renouveau, ne «se livrait finalement qu’à une critique superficielle: il ne dénonçait pas les réseaux, mais le fait que certaines personnes semblaient s’en accaparer».
Olivier Thimonier, secrétaire général de Survie, estime que «Nicolas Sarkozy est revenu sur ses promesses et perpétue la politique de ses prédécesseurs». Il égrène alors:
«Il y a toujours une présence militaire française en Afrique. […] sur le plan économique, c’est encore pire, on est toujours dans la promotion des intérêts français.»
Enfin, d’un point de vue politique, il évoque «le rôle bien connu d’hémisphères officieux, le plus symbolique étant Robert Bourgui» et «un monopole de l’Elysée qui travaille en toute opacité».
Dernier exemple en date, la nomination comme nouvel ambassadeur de Nicolas Normand. Selon Thierno Ibrahima Dia, «il a été reçu par Karim Wade dès mars 2010; c’est comme s’il était déjà agréé par le régime Wade. Bon nombre de journalistes sénégalais ont publié des articles à ce sujet et n’ont jamais été démentis». Quand on interroge le Quai d’Orsay sur cette accusation, on nous sert pour toute réponse ce qu’on apprend à l’école:
«La nomination des ambassadeurs se fait par le président en Conseil des ministres.»
Renée Greusard
slateAfrique