Selon les statistiques officielles du jour, le Sénégal a enregistré 1433 cas déclarés positifs depuis le 2 mars dont 12 décès et, surtout, 927 cas positifs sous traitement. Parmi ces derniers, figurent 6 cas graves admis dans les services de réanimation de l’hôpital Fann et de l’hôpital Principal de Dakar. Pire, on vient de dépasser, pour la première fois, le nombre de 100 nouveaux cas infectés en une seule journée. La fulgurance de la propagation du virus laisse envisager le pire, même si, pour des raisons politiciennes le Gouvernement s’abstient de dire la vérité. La décision d’aménager 400 lits sur trois sites (hangar des pèlerins de l’aéroport LSS, base aérienne de Thiès et centre des armées de Guéréo) pour une prise en charge extra hospitalière prouve que la situation est grave et qu’il faudra s’attendre au pire. La progression de la covid-19 a fini de jeter, par terre, le voile que Macky Sall et son Gouvernement avaient couvert certaines politiques et certains programmes présentés(es) comme des avancées majeures sur la voie de l’émergence en vantant leur efficacité. Elle a permis de mettre en lumière les nombreuses défaillances constatées dans la mise en œuvre de ces politiques ou programmes. Ce qui les empêche de jouer pleinement le rôle attendu de leur part en cette période d’urgences.
Une politique sanitaire faite de fortes disparités et d’inégalités entre les régions
Le pays fonctionne sous le régime de l’urgence sanitaire portée essentiellement par le personnel médical. On ne se lassera jamais de souligner sa compétence, son engagement et son dévouement. C’est le personnel médical, toutes catégories professionnelles confondues, qui porte le fardeau que représente la situation actuelle. Il a fait des miracles et continue d’en faire. Toutefois, on est arrivé au moment où la compétence ne suffit pas, à elle seule, pour apporter des réponses efficaces à la propagation du virus. Dans cette lutte contre la covid-19, les moyens sont aussi importants, particulièrement les infrastructures et les équipements médicaux. Ce qui est en train de se passer met à nu les limites de la politique de santé conçue et mise en œuvre par le Gouvernement de Macky Sall. On ne se rend compte, de façon abrupte et cruelle, qu’il existe au Sénégal des structures ou infrastructures sanitaires construites sans respect des normes et/ou qui manquent d’équipements adéquats.
La réalité à laquelle nous faisons face nous montre, aussi, une exacerbation des disparités, inacceptables et injustifiées, entre Dakar et l’intérieur du pays. Disparités en tout : matériels et équipements médicaux, personnels médicaux notamment spécialisés, budgets, etc. Ce qui va à l’encontre des discours officiels que tiennent les autorités sur la décentralisation du système de santé comme axe majeur de la politique sanitaire. Par exemple, aucune de ces régions, Kolda, Sédhiou, Kaffrine et Tambacounda, n’abrite un hôpital de niveau 3, c’est-à-dire un centre hospitalier national disposant de capacités d’hospitalisation en médecine et spécialités médicales ainsi que l’accomplissement d’une mission d’enseignement et de recherche. Plus grave, le Sénégal ne dispose, actuellement, que de 80 lits de réanimation dans tout le pays (par exemple, le Maroc en dispose 3 000 !) et certaines régions en étaient dépourvus jusqu’à récemment. C’est suite aux alertes lancées par quelques courageux membres du personnel de santé que le Gouvernement s’est résolu, dans la précipitation, à équiper quelques hôpitaux régionaux de respirateurs. S’il survenait une détérioration subite de l’état d’un nombre important de patients parmi les 927 cas positifs actuellement sous traitement, le système ne pourrait pas faire face. Ce sera l’hécatombe ! Gérer c’est prévoir. Ce que Macky Sall et son Gouvernement ne sont pas capables de faire. Par contre, s’il s’agit de faire de la propagande et de la politique politicienne, en enduisant tout de vernis, ils sont champions !
Le défaut d’articulation de la CMU et du PNBSF à la politique sanitaire
La pandémie de la covid-19 révèle de nombreuses limites dans la mise en œuvre de la couverture maladie universelle (CMU) et dans celle du Programme national de Bourses de Sécurité familiale (PNBSF). Ces deux programmes sont insuffisamment articulés à la politique sanitaire. Ce qui est révélateur d’une absence de cohérence d’ensemble dans la mise en œuvre de la Stratégie nationale de Protection sociale (SNPS) mise en place par le Gouvernement.
En effet, on constate une discrétion, voire un manque d’implication de l’Agence de la CMU dans la lutte contre la Covid-19 alors qu’elle aurait dû être un maillon important dans le dispositif de sensibilisation et de prévention. La CMU permet aux personnes les plus vulnérables (à faibles revenus) de la population de bénéficier d’une couverture contre le risque maladie notamment les personnes âgées de 60 ans et plus bénéficiaires du Plan Sésame, qui sont les plus exposées à la covid-19. L’Agence de la CMU fait état, au deuxième trimestre 2019, de 2 994 198 personnes bénéficiaires de la couverture contre le risque maladie a? travers les mutuelles de santé?. Le Système d’Information de Gestion Intégré de la Couverture Maladie Universelle (SIGICMU) qu’elle a mis en place contient un module d’identification biométrique et une base de données lui permettant notamment de faire une gestion de proximité avec les bénéficiaires grâce à l’application mobile « SAMACMU ». S’il y avait une bonne articulation entre la CMU et la politique nationale des urgences, ce puissant outil aurait été utilisé pour informer et sensibiliser une bonne partie de la population. Cela aurait été plus efficace et l’impact plus décisif que les conférences de presse journalières du Ministère de la santé, qui n’intéressent qu’une poignée de spécialistes et de journalistes.
Enfin, l’établissement des listes des ayants-droit de l’aide alimentaire que l’État distribue a mis à nu le manque de fiabilité, voire de crédibilité de la base de données des bénéficiaires du Programme national de Bourses de Sécurité familiale (PNBSF). Ceci, en dépit de l’instauration du Registre National Unique (RNU), une base de données visant à identifier les ménages les plus pauvres du Sénégal (ils sont pré-identifiés par des comités de quartier ou de village comme étant les ménages les plus pauvres de leur communauté). Si le travail d’implantation du RNU était correctement effectué on aurait eu des données, à jour et fiables, pour organiser, avec efficacité, la distribution des aides, voire des produits sanitaires. De plus, cela aurait atténué les suspicions sur la qualité de pauvre des ménages inscrits au RNU, car les sénégalais pensent, majoritairement, que seuls les ménages authentifiés comme des militants de l’APR y sont inscrits.
Toutes ces failles atténuent la portée et l’efficacité des actions de lutte contre la Covid-19 en cours. Elles auraient pu être évitées si Macky Sall n’avait pas politisé la mise en œuvre d’un instrument aussi important que la stratégie nationale de protection sociale (SNPS). Il en a fait une chasse gardée familiale au regard des centaines de milliards de francs CFA que draine sa mise en œuvre. Il a toujours mis l’intérêt national de côté en s’abstenant de faire appel aux véritables compétences en la matière et en préférant confier la mise en œuvre de la SNPS à des mains inexpertes comme celles de son « Goro » actuellement. Mais comme ce que femme veut, Dieu le veut, il n’avait pas d’autre choix que de tout remettre entre les mains de son beau-frère. Avec ça, le Sénégal est loin de sortir de l’auberge !
(À suivre)
Cheikh Faye, Ph.D
Professeur / UQAC (Canada)
Membre de la Cellule de veille stratégique sur la Covid-19
République des Valeurs