Huit photos et une vidéo, publiées sur un site de développeurs informatiques pour illustrer un concept d’interface ultra novateur : une machine qui serait plus petite qu’un ordinateur portable mais plus grande qu’un smartphone, noire avec des coins arrondis, un bel écran multitactile, et on l’appellerait « tablette »… À l’origine de cette très étrange présentation, qui n’est pas sans rappeler un certain iPad annoncé par Apple la semaine dernière, il ne s’agit ni de contrefacteurs chinois ni de technophiles incompréhensiblement passés à côté de la déferlante médiatique qui a suivi la keynote. Non, derrière ces huit photos et cette vidéo négligemment dévoilées, il y a Google.
Les images proviennent de Chromium, dont la communauté de développeurs travaille sur les deux plus importants projets open-source de Google : le navigateur Chrome et le futur système d’exploitation pour netbooks Chrome OS. Une page du site intitulée Exploration de formats explique : « Bien que sa cible première soit les netbooks, Chrome OS pourrait être adapté sur un large éventail d’appareils. Chacun aurait ses propres puissance, taille d’écran et méthodes de saisie. Ci-dessous, l’illustration des formats que nous envisageons. » Suit une liste d’appareils à écran plus ou moins large et, pour chacun d’entre eux, des pistes d’interfaces et de fonctionnalités adaptées : écran divisible en deux parties au dessus de 40 pouces, fenêtres superposables pour les PCs de bureau et portables, fenêtre unique en plein écran pour les netbooks… et les « tablettes ». Ce comparatif est en ligne depuis longtemps, et le dessin de la tablette intégrée à la liste également. Sur le premier croquis, elle était blanche et son orientation verticale évoquait un PDA. Les images publiées aujourd’hui la montrent noire et horizontale, comme l’iPad.
Difficile de ne pas voir dans le contexte de cette sortie un planning et une discrétion savamment mesurés par Google, désormais concurrent direct d’Apple dans les domaines d’Internet et de la téléphonie. Chez Apple, les premières rumeurs de tablette tactiles ont été lancées quelques mois avant l’annonce officielle sous la forme d’une « fuite contrôlée » dans le Financial Times, selon le site Macobserver.com?. Officiellement, Google n’est pas non plus à l’origine des images de tablettes tournant sous Chrome OS puisqu’elles n’apparaissent que dans le cadre du projet Chromium, en partie porté par des centaines d’internautes motivés et volontaires. Mais le fait qu’elles aient été mises en ligne par Glen Murphy, designer du navigateur Chrome et employé de Google, laisse tout de même entendre que Mountain View cautionne et participe.
Peu de détails sont dévoilés concernant cette hypothétique tablette made in Google, et pour cause : le site du projet Chromium vise principalement à concevoir les programmes informatiques et les interfaces qui constitueront le futur système d’exploitation, et non les machines sur lesquelles il sera installé — il est déjà suffisamment étrange que le support tablette soit le seul à bénéficier, du jour au lendemain, d’une modélisation visuelle et d’une démonstration vidéo. Il s’agit surtout de battre le fer tant qu’il est chaud, de glisser à toutes les oreilles préchauffées par la déferlante iPad que Google ripostera, de réserver sa place sur le marché avant que les premières commandes ne soient passées dans les Apple stores, et de se mettre Googlophiles, Apple-phobes et Apple-sceptiques dans la poche en évitant les erreurs de l’iPad. Car la vidéo répond très précisément à l’une des critiques formulées à l’égard de l’iPad, en montrant la possibilité d’exécuter plusieurs tâches à la fois.
Une annonce rapide de Google confirmant le développement d’une tablette pourrait leur permettre de ne pas répéter l’expérience peu convaincante du Nexus One, débarqué trop tard sur le marché des smartphones pour avoir une chance de supplanter l’iPhone. Avec 20 000 unités vendues aux Etats-Unis durant la première semaine, les résultats du téléphone Google sont plutôt médiocres. Ce qui n’a pas empêché Steve Jobs d’accuser Google de « chercher à tuer l’iPhone » en se camouflant derrière leur « bullshit » de devise (Don’t be evil). Un œil un tant soit peu friand de clashs retentissants et savoureuses guéguerres dans le business multimédia n’hésiterait pas à voir, dans les images de Google tablette, un tirage de langue effronté.