Des flaques d’eau qui polluent l’environnement, des maisons mal loties, des rues plus ou moins sablonneuses. Le décor du quartier de Gouye Mbind (littéralement, le baobab de l’écriture), fief du nouveau khalife général des mourides, ne respire pas la splendeur des autres quartiers de Touba. Gouye Mbind fondé par Serigne Bara ibn Khadim Rassoul fondateur du mouridisme, a été un éternel « oublié ». Ici, les habitudes des populations sont rurales, du moins, jusqu’à l’accession du défunt khalife El hadj Bara Falilou, dit-on. Si certains quartiers de Touba se singularisent par leurs maisons cossues, les grandes villas et des résidences qui font jaser, Gouye Mbind présente encore sa ruralité. Des rues sablonneuses, des ordures par-ci, des flaques d’eau par-là balafrent le quartier. Une population besogneuse.
Dans les maisons, pour ceux qui en ont les moyens, on trouve attacher un cheval, un âne et une charrette. Moyen de déplacement et surtout de revenus. A la lisière de Gouye Mbind, une centaine de charrettes attendent de transporter les clients qui vont dans diverses destinations à Touba ou dans les quartiers limitrophes. En ce début d’hivernage, Gouye Mbind (le baobab de l’écriture) projette l’image d’un quartier populeux et ordinaire de la ville de Touba. Un univers plutôt anonyme où rien de clinquant ne frappe l’œil du visiteur. Même si les dahiras se sont mobilisés très tôt pour balayer, remblayer, enlever les ordures qui donnent une image dégradante au quartier, désormais point focal du mouridisme. Un nouveau statut pour Gouye Mbind situé à l’Est de la grande mosquée de Touba en léthargie jusqu’en fin 2007 date du lancement du programme spécial de la ville de Touba.
Ce n’est donc qu’en 2008 que les premières rues goudronnées et les lampes firent partie du décor de ce quartier situé à l’Est de la Grande mosquée. Grâce au programme de modernisation de la ville de Touba lancé par le défunt khalife qui avait décidé d’accorder aux fiefs des fils de Serigne Touba, une attention très spéciale. Une démarche largement saluée par Serigne Bara Lahat, frère de Cheikh Maty Lèye Mbacké. « El Bara Falilou, le défunt khalife, a fait ce qu’il fallait pour la communauté mouride. Il est important de le rappeler ». Gouye Mbind n’entre que dans l’ère de la modernité, mais Serigne Bara Lahat refuse de décliner des ambitions et des doléances. « Il serait indécent aujourd’hui alors que nous sommes en plein deuil de parler de ces choses. Le temps viendra, mais, présentement nous ne voulons pas entendre parler de doléances. »
TOUS LES CHEMINS MENENT DESORMAIS A GOUYE MBIND
Le soleil décline en ce jeudi 1er juillet à Touba. Devant la maison du nouveau khalife, point de foule. Mais à l’intérieur, il y a du monde. Quelques personnes regroupées ça et là, des véhicules garés sont les indicateurs de l’évènement qui se passe dans le quartier. « La mosquée située à l’intérieur de la maison vous servira de repère », indique un individu. Après quelques détours la maison de Cheikh Maty Lèye, nouveau Khalife de Touba, se reconnaît à distance par l’ambiance qui y règne.
A l’intérieur, une mosquée de couleur blanche ceinturée de bandes vertes enrichit le décor. Elle est bâtie au centre de la concession. Un mur la sépare, du reste, du « nouveau palais de la république mouride ». Deux entrées s’ouvrent pour les visiteurs. L’une est fortement sécurisée avec ses chevaux de frise pour canaliser le flux des talibés. Certains sont désireux de rencontrer le nouveau khalife, d’autres veulent renouveler leur allégeance à l’instar du président de la république et de sa délégation ce jeudi. « Il y a eu des bousculades terribles quand Abdoulaye Wade était là entre 14 et 15h. Les gens ont souffert parce que la sécurité présidentielle a pris les choses en main et des dignitaires de Touba ont été rabroués, bousculés par les gardes de corps du président de la République devant la maison du Khalife », révèle une dame trouvée devant la maison du Khalife. Des faits confirmés par des proches d’Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti socialiste. La délégation de Tanor et celle de Wade se sont croisées à Gouye Mbind. « C’est Massamba Sarré (Ndlr : membre du service de protocole du chef de l’Etat) qui a voulu faire bloquer la délégation de Tanor », s’indigne El hadj Sarr, un des fidèles de Tanor.
La tension devant l’entrée de la maison du khalife s’estompait au fur et à mesure que le soleil se retrouve de l’autre côté de la mosquée. Les policiers de faction, l’air nerveux, la tenue débraillée, canalisent difficilement la centaine d’individus qui font des pieds et des mains pour pénétrer dans la maison du khalife. Une atmosphère que Gouye Mbind ne connaissait qu’en période de Magal. Aujourd’hui, les choses ont changé. La boule de l’histoire s’arrête un moment à Gouye Mbind. « Il faudra désormais faire avec cet attroupement », relève un homme. Là où vit le nouveau khalife général des mourides, les bousculades vont désormais rythmer le quotidien. Les talibés affluent de partout pour le voir, recevoir du khalife ses bénédictions et faire acte d’allégeance. Une nouvelle ère commence à Gouye Mbind.
Pourquoi Gouye Mbind ?
Les actes posés par Serigne Touba Khadim Rassoul resteront incompréhensibles des non initiés. Il a choisi des fiefs pour chacun de ses premiers fils que sont Serigne Mouhamadou Moustapha, Serigne Fallou, Serigne Bara, Serigne Bassirou, Serigne Abdou borom deurbi, Serigne Ibrahim Mbacké. Il avait fondé le village de Tindody pour Cheikh Moustapha, celui de Ndindi pour Serigne Fallou et le village de Sanossi dans la région de Louga pour Cheikh Mouhamadou Lamine Bara. Quelques années après, Serigne Touba a demandé à ce dernier de fonder Gouye Mbind vers 1911. Donc Gouye Mbind a été béni par Cheikh Ahmadou Bamba en personne et c’est à Gouye Mbind que Mouhamadou Lamine Bara ibn Khadim Rassoul a eu toutes ses récompenses divines. Et comme, de son vivant, il avait l’habitude de s’adosser au tronc d’un gros baobab qui se trouvait dans le quartier, pour écrire des poèmes et des prières. D’où le nom de Gouye Mbind (littéralement, le baobab de l’écriture). D’ailleurs, en un moment donné, les talibés était prompts à inscrire leurs noms au tronc de ce baobab pour, disent-ils, leur bénédiction. Mais, comme ceci revêtait les allures d’une pratique païenne, les autorités religieuses de Gouye Mbind, très ancrés dans l’orthodoxie musulmane, ont vite fait de mettre fin à ce qu’elles considéraient comme un fanatisme débordant. « A Gouye Mbind, on ne connaît que les écrits du saint Coran, ceux du Prophète ou ceux de Serigne Touba », dit fièrement Serigne Cheikh Kabîr Mbacké.
Le baobab a disparu depuis des années. Un arbre miracle pour certains parce que c’était l’endroit préféré du fondateur de Gouye Mbind Serigne Bara Mbacké qui était l’écrivain de serigne Touba. C’est lui qui a transcrit la plupart des poèmes de son père dédiés au prophète Mohamed (psl). Serigne Bara s’asseyait à longueur de journée sous le baobab situé seulement à quelques encablures de sa concession. Il y passait des journées et y recevait ses visiteurs. Cette belle habitude a été mythifiée par les nombreux talibés de Serigne Bara Mbacké qui prirent l’habitude de venir inscrire leurs noms sur l’arbre espérant ainsi un salut salvateur sur terre et une intercession pour entrer au paradis.
Le rappel à Dieu de Serigne Mouhamadou Lamine Bara Mbacké, en 1936 (soit 9 ans après le rappel à Dieu, en 1927, de son père) a, sans doute, ralenti la modernisation de ce quartier situé à l’Est de la grande mosquée. Mais, selon des témoignages recueillis dans le quartier, cette situation trouverait son explication dans un mysticisme qui animait le vécu de Serigne Touba. Le fondateur du mouridisme, avant la fondation de Gouye Mbind, aurait d’abord voulu que son fils Bara Mbacké élise domicile à côté de la maison de Serigne Fallou en face de la Grande mosquée. Mais, Serigne Bara avait choisi d’aller un peu plus loin en disant : « Laissez Fallou à côté de la mosquée car, lui, il reste, mais moi, je m’en vais ». Serigne Mouhamadou Lamine Bara Mbacké ibn Khadim Rassoul, s’en est allé trop tôt sans occuper le poste de khalife de Serigne Touba, mais aujourd’hui, on a tendance à penser qu’il avait laissé sa place à ses enfants, qui, en dehors de Serigne Cheikh Maty Lèye, nouveau khalife, sont trois à pouvoir être khalife de Bamba. Comme pour dire que Gouye Mbind a aussi sa dose de mysticisme.
Pape Amadou FALL
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