« La rencontre personnelle et communautaire avec Jésus-Christ », c’est l’une des idées-force avancée par le Cardinal Théodore Adrien Sarr lorsqu’il parle du plan d’action pastorale 2006-2011 de l’Archidiocèse. Au moment où des milliers de pèlerins s’apprêtent à se rendre au sanctuaire marial de Popenguine, l’Archevêque de Dakar situe également cet évènement dans son thème « l’Eglise en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix », qui est une invite à se réconcilier avec Dieu pour mieux se tourner vers son prochain.
Nommé Archevêque de Dakar, le 2 juin 2000, puis créé Cardinal par le pape Benoît XVI lors du Consistoire du 24 novembre 2007, Mgr Adrien Sarr est membre de la Congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements et également membre de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples.
Membre de la Conférence épiscopale du Sénégal, Mauritanie, Cap-Vert et Guinée-Bissau et président de la Conférence épiscopale régionale de l’Afrique de l’Ouest (Cerao), Mgr Théodore Adrien Sarr considère avec prudence la forte croissance de l’Eglise en Afrique et estime surtout que les églises africaines doivent sans cesse travailler à raffermir la qualité de leur foi.
Dans l’entretien à bâtons rompus qu’il nous a accordé en exclusivité, Mgr Théodore Adrien sarr aborde plusieurs sujets, le Congrès eucharistique, la gestion de l’Archidiocèse de Dakar et la création de nouvelles paroisses, la vie des communautés ecclésiales, les projets de construction pour le diocèse, la succession à la tête des diocèses de Ziguinchor et de Thiès, la Casamance, la vie de l’Eglise en Afrique, le dialogue islamo chrétien, sans oublier la vie politique sénégalaise.
Monseigneur Théodore Adrien, Cardinal Sarr, vous avez lancé, il y a quelques années, un plan pastoral de l’archidiocèse de Dakar ; comment appréciez-vous son déroulement aujourd’hui ?
Le plan pastoral a été lancé exactement en 2001, nous avions élaboré l’année pastorale diocésaine dans un quinquennat de 2001 à 2005.
C’est une initiative que nous avons prise pour faire suite à ce que dans l’Archidiocèse de Dakar, on appelait les (Dop) Directives et orientations pastorales, initié par le Cardinal Hyacinthe Thiandoum. Ces Dop couvraient quatre années (quadriennal).
Pendant que nous étions en train d’évaluer les Dops, de 1996-2000, qui avaient été élaborés avant mon arrivée en 2000 dans l’Archidiocèse, en mon absence et alors que nous préparions les nouvelles, voila que le Pape Jean-Paul II a fait paraître une lettre intitulée « Au début du nouveau millénaire ».
Cette lettre était très intéressante. Nous aussi, au niveau de la Conférence épiscopale régionale de l’Afrique de l’Ouest (Cerao), en 2000 et 2001, nous avions le souci de regrouper ces résolutions et recommandations des Assemblées plénières par thème et même de les inscrire dans une dynamique de vulgarisation.
Quand un Catholique, feu Victor Ndiaye, a entendu parler de ce travail que nous faisions au niveau de la Cerao, il m’a dit qu’il a l’impression que les personnes qui ont préparé cette lettre pastorale pour le Saint Père sont au courant de la planification stratégique moderne. C’est ainsi que l’idée d’introduire une planification comme stratégie dans la pastorale nous est venue. C’est vraiment à Victor Ndiaye qu’il faut rendre hommage. Il nous a aidé à élaborer ce premier plan d’action pastorale diocésain avec les termes de la planification moderne.
Ce plan pastoral a une mission, une vision et des objectifs stratégiques, avec la déclinaison des résultats-clé et intermédiaires, des activités à mener, des indicateurs. Nous l’avons fait.
Ce premier plan a couvert la période de 2001 à 2005. Il faut que reconnaître que comme c’était une nouveauté, tous les responsables ne sont pas tout de suite entrés dans cette perspective et Victor Ndiaye m’avait prévenu en me faisant savoir que chaque fois que vous avez une innovation dans une société, vous avez un tiers de personnes qui adhère immédiatement, un tiers qui hésite et un autre qui résiste. Nous avons expérimenté cela au niveau des responsables, car ce ne sont pas tous les prêtres qui ont adhéré à ce premier plan d’action pastorale. En faisant l’évaluation en 2005 et 2006, nous avons vu qu’il y avait des paroisses qui étaient un peu à la traîne parce que leurs différents responsables n’étaient pas très convaincus et ne les ont pas entraîné à entrer dans ce plan d’action pastorale. Nous ne nous sommes pas découragés, nous avons évalué ce premier plan 2001-2005 et nous avons élaboré un deuxième plan 2006-2011. C’est ce deuxième plan qui est en train d’être développé. Il a beaucoup de ressemblance avec le premier.
Quelle vision du plan d’action pastorale peut-on mettre en valeur ?
La vision est la même parce que le grand objectif que nous souhaitons voir réaliser pendant cinq ans l’Archidiocèse de Dakar, dans les communautés paroissiales et les communautés ecclésiales de base, c’est la rencontre personnelle et communautaire avec Jésus-Christ. Nous sommes convaincus.
Comme Jésus-Christ l’a dit avant de monter au ciel à l’Ascension : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ».
Il est donc présent, ce n’est pas qu’on l’ignore, mais pour que nous arrivions dans la foi à vivre cette présence. Quand nous disons, rencontrer personnellement et communautairement Jésus-Christ, c’est aider les Chrétiens à prendre conscience de cette présence du Christ invisible, certes, mais pour nous permettre dans la prière et dans le recueillement profond, que le Chrétien vive la conviction que le Christ est là, il me voit, il m’attend et je peux entrer en communion avec lui dans la foi.
Cette rencontre avec Jésus-Christ, quand elle est effective et profonde, elle me transforme. Nous avons de beaux textes dans l’Evangile. Saint Paul est l’un des cas les plus frappants. Il était opposé au Christianisme et persécutait les Chrétiens jusqu’au jour où il eut une révélation sur la route de Damas. Plus tard dans ses lettres, Paul dit qu’il a eu des révélations et des visions qui lui ont permis de posséder et de comprendre profondément les mystères de Jésus-Christ et de retour d’Arabie où il s’était retiré, Paul devient l’un des plus grands apôtres du Christ. Ce sont là, les changements que produit la rencontre de Jésus-Christ avec une personne dans la vie.
L’ambition que nous avons dans ce nouveau plan pastoral, c’est d’aider chaque baptisé à dire que Jésus-Christ est présent aujourd’hui dans le monde, dans sa vie, dans l’église, partout où il se trouve et qu’il peut le rencontrer à tout moment.
Et si cette rencontre est effective, elle permettra au Chrétien de ne pas de se conduire n’importe comment sur la terre.
En ce qui concerne les enseignements,qu’est-ce que l’on doit retenir de ce deuxième plan d’action pastorale ?
Nous sommes arrivés à la cinquième année, la dernière et nous allons demander aux paroisses de faire les rapports annuels.
Les mois qui viennent, nous allons faire des évaluations jusque vers les mois de janvier et février. Après cela, nous allons entamer l’élaboration d’un troisième plan d’action pastorale, pour le quinquennat 2012-2017.
Ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a un progrès. Je constate de plus en plus que dans les paroisses, l’idée de plan d’action pastorale est de plus en plus connue par les fidèles, cela veut dire que les pasteurs ont adhéré et ont essayé d’entraîner les fidèles. Mais il y a toujours des décalages parce qu’il y a des paroisses très avancées et engagées et des paroisses qui ne sont pas au même niveau d’avancement. La conclusion que je peux en tirer est que l’idée du plan d’action pastorale est acceptée et vécue, car il y a des activités que nous avons prévues.
Nous avons demandé aux pasteurs de mettre dans le cadre de ce plan pastoral, dans toutes les paroisses, des commissions justice et paix. Nous avons aussi prévu d’organiser, dans la quatrième année, certaines activités comme le congrès eucharistique. Il faut reconnaître que le plan, c’est comme un esprit qui doit pénétrer toutes les activités organisées au sein de l’Eglise catholique de l’Archidiocèse de Dakar. Les prêtres doivent bien préparer les messes dominicales (du dimanche) et voir comment les animer de telle manière que l’objectif de rencontrer Jésus-Christ, présent aujourd’hui et vivant parmi les hommes, soit vécu dans la messe.
Il faut dire que la messe est l’un des grands moments et des moyens privilégiés que le Christ nous donne pour le rencontrer personnellement et communautairement et nous laisser transformer par Lui.
En rencontrant Jésus-Christ, nous construisons l’Eglise famille de Dieu.
Le plan d’action pastorale a aussi des objectifs des stratégiques. Le premier, c’est la communion car les Chrétiens doivent cultiver, être et vivre la communion. Vous voyez comment la messe peut favoriser la communion des Chrétiens.
La sanctification est le deuxième objectif de notre plan d’action pastorale. Le Chrétien doit se laisser sanctifier par Jésus-Christ grâce au sacrement et à la parole de Dieu. Et la messe est le meilleur moment pour faire cela, parce que le Chrétien doit participer à l’eucharistie et à la réception de la communion. Le troisième objectif du plan pastoral est celui du témoignage.
Le Chrétien doit être témoin de Jésus-Christ en faisant des activités qui puissent faire grandir la conscience des autres fidèles du Christ. Il faut rappeler aux Chrétiens de venir à la messe, d’écouter la parole de Dieu, afin de recevoir les grâces et le corps du Christ. Quand on dit « allez dans la paix du Christ », cela veut dire aller dans le monde et soyez des témoins de Jésus-Christ.
La messe pousse à ce témoignage et donne la force aux croyants de pouvoir témoigner.
Le quatrième objectif de notre plan d’action pastorale, c’est le service. Jésus-Christ durant son vivant s’est déclaré « le fils de Dieu qui est venu pour servir et non pour être servi ».
Il l’a démontré avec le bel exemple du lavement des pieds des apôtres, le jeudi saint. Alors Jésus-Christ en faisant ce geste nous recommande nous aussi d’être des serviteurs dans le monde, «servez le monde ».
Nous essayons de le faire à travers les œuvres sociales de l’Eglise, la Caritas, l’école catholique, la santé, etc. Nous servons les hommes à travers ces structures. Chaque Chrétien, là où il est, doit servir son prochain. Il doit arriver à faire de sa profession un service des autres, parce que c’est Jésus-Christ qui l’a envoyé servir les autres. C’est tout cela que le plan d’action pastorale englobe.
Que retenir de l’organisation du Congrès eucharistique diocésain de 2010 ?
Les Chrétiens ont participé à ce Congrès eucharistique en juin 2009. Nous leur avions dit : nous vous donnons la parole. « Dites nous ce que vous comprenez de l’Eucharistie, de la messe ou qu’est-ce que vous ne comprenez pas ».
En plus, nous avons demandé aux fidèles chrétiens de nous dire ce qui leur plaît dans nos façons de faire et qu’est-ce qui ne leur plaît pas. Ils ont donné des réponses. Il y a des paroisses qui ont bien fait le travail, d’autres étaient tout juste au milieu. C’est un résultat mitigé ; mais dans l’ensemble, il y a eu des réponses. Avec ce travail, nous avons tenu en février 2010 des assises théologiques avec le thème «Mieux comprendre l’eucharistie, pour mieux la célébrer et mieux la vivre ».
Il y a eu des conférences sur l’aspect sacrificiel de l’eucharistie pendant la messe. Il faut que les Chrétiens comprennent cela pour ne plus être tentés de retourner aux sacrifices de nos ancêtres ; le sacrifice de Jésus-Christ accomplie tous les sacrifices.
Une fois que l’on a célébré ou assisté à la messe, on doit avoir les jours qui suivent un comportement qui montre que l’on a reçu quelque chose. Nous disons toujours : « allez dans la paix du Christ » et le pape Benoît appelle cela la cohérence de l’eucharistie, c’est vous dire que ce qui est vécu pendant la messe doit se traduire dans la vie de Chrétien de tous les jours.
Nous disons, après avoir mangé le pain eucharistique, nous devons être capables de donner aux gens le pain et de nous engager pour rendre service aux pauvres et aux personnes qui seraient dans le besoin.
C’est dans ce sens que le Congrès eucharistique est intéressant parce qu’il doit aider le Chrétien à être au service. Le congrès nous a permis de constater qu’il y a des choses comprises par des Chrétiens, mais ce n’est pas suffisant et nous voulons voir comment développer l’après-congrès, en revenant sur certaines conférences, en essayant de faire le lien entre le sacrifice de Jésus-Christ sur la croix et renouvelé à la messe et les sacrifices de nos ancêtres, sérères, diolas, manjacques, mancagnes et tous les autres.
Il y a encore beaucoup de choses à faire, il faut continuer à faire pour que les gens comprennent de plus en plus, mais surtout que les Chrétiens comprennent qu’en venant à la messe, le sacrifice de Jésus-Christ sur la croix est rendu présent. Saint Paul et Saint Pierre insistent pour dire aux Chrétiens qu’ils doivent être des hosties vivantes, cela veut dire que chacun doit s’offrir soi-même comme Jésus-Christ s’est offert sur la croix.
Les hommes ne doivent pas avoir peur des croix de la vie, c’est-à-dire savoir que la condition humaine sur terre est faites de joies et de peines, de réussites et d’échecs, de souffrances et de joies. Donc quand les joies viennent, je les accueille et je peux les offrir à Dieu comme actions de grâce, d’où l’importance de l’action de grâce dans la messe et la prière. Rendre grâce à Dieu pour ces bienfaits pour les joies qu’il me donne et le louer et le supplier de me donner la force. Nous devons accepter les souffrances de la vie en pensant à Jésus-Christ qui a donné sa vie pour les hommes. Quand je prends, ces épreuves de la vie avec amour, elles prennent une autre dimension. C’est pourquoi, celui qui comprend cela ne pensera jamais à se suicider, parce que quelles que soient les difficultés qu’il rencontre, il doit savoir que Jésus-Christ a beaucoup souffert à cause du monde et que lui Chrétien est appelé à offrir ses épreuves de souffrances avec celles de Christ.
Les récents décès de Mgr Jacques Sarr, évêque de Thiès et de Mgr Maixent Coly, évêque de Ziguinchor, laissent un vide dans leurs diocèses et au sein de la conférence épiscopale ?
En parlant de Mgr Jacques Sarr, évêque de Thiès, nous pouvons aussi évoquer la mémoire de Mgr Maixent Coly, évêque de Ziguinchor qui nous a quittés en août dernier, après des souffrances de plusieurs années. Il a été souligné durant ses obsèques le courage qu’il a eu. Cela démontre ce que je viens de dire sur les souffrances de la vie. Devant les épreuves et les souffrances de la vie, le Chrétien en pensant à Jésus-Christ peut les assumer courageusement, malgré le fait qu’il souffre, il peut les assumer par amour, tout en sachant que sa vie et son espérance ne sont pas détruites.
C’est en Jésus-Christ que nous puisons cela, la foi en Lui et la volonté de l’unité en Jésus-Christ. Mgr Maixent Coly, qui a connu ces épreuves avant de quitter son monde, s’est engagé discrètement et réellement pour la promotion de la paix en Casamance. Il n’a pas vu cette paix arriver, mais il a vraiment travaillé à cela, grâce à son engagement pastoral ordinaire dans son grand diocèse de Ziguinchor, qui est grand surtout pour son nombre de Catholiques et de prêtres.
Après le décès de Mgr Maixent Coly, il y a eu celui de Mgr Jacques Sarr quelques mois plus tard. Là aussi, nous avons souligné durant ses obsèques ce que nous avons trouvé comme mérite de sa vie, son engagement, en particulier pour l’apostolat des laïcs. Il faut reconnaître qu’il avait été préparé pour tout cela avant qu’il ne soit évêque de Thiès. Quand, il était jeune prêtre, l’Archevêque de Dakar, Mgr Hyacinthe Thiandoum, qui n’était pas encore Cardinal, l’avait envoyé en France pour faire une formation de deux ans sur l’apostolat des laïcs. A son retour, il l’a tout de suite responsabilisé à la centrale des œuvres.
Il a eu par la suite un grave accident et son ministère a été interrompu pendant deux années, le temps qu’il se soigne. A sa guérison, il a repris son travail. Donc ça a été vraiment le grand apostolat de sa vie, jusqu’au moment où il a été nommé évêque du Diocèse de Thiès. Nommé à Thiès nous avons continué à lui confier au sien de la conférence épiscopale la commission de l’apostolat des laïcs.
Vous aviez une certaine complicité avec Mgr Jacques Sarr qui était l’un de vos condisciples lors de votre formation au Petit séminaire de Ngasobil ?
Nous avons fait Ngasobil ensemble qui était à l’époque pré-séminaire, c’est-à-dire, l’école primaire seulement. Après le primaire, nous nous sommes retrouvés au Cours Sainte Marie de Hann pour poursuivre nos études jusqu’en classe de Première, ensuite nous sommes aussi partis ensemble à Sébikotane pour faire le cycle du Grand séminaire. Effectivement, c’est un vrai condisciple et à la fois un frère, nous avons cheminé ensemble avant de nous retrouver dans le même diocèse de Dakar. Nous étions de grands amis. En plus nous nous sommes retrouvés dans la charge épiscopale, cette amitié a continué à se concrétiser par une collaboration et des échanges fraternels. Pendant les obsèques, nous avons également souligné le rôle que Mgr Jacques Sarr a joué dans la promotion du dialogue islamo-chrétien, du fait que la plupart des grandes familles religieuses musulmanes du Sénégal ont fait de son diocèse, leur siège.
Nous lui avions demandé d’être responsable de la commission épiscopale des relations entre chrétiens et musulmans. Il faut dire que cette tâche avait déjà été confiée à feu Mgr Ndione de son vivant, à cause de la conjoncture des familles religieuses qui sont présentes dans le diocèse Thiès. Sur ce plan, nous pouvons dire avec fierté que Mgr Jacques Sarr avait bien joué son rôle. Il nous a aidés à garder de bonnes relations entre musulmans et chrétiens. Mieux, il trouvait souvent des occasions pour faire avancer ce dialogue et nous lui demeurons reconnaissant. En plus de cela, il a abattu un travail énorme dans le diocèse de Thiès, en consolidant cette Eglise diocésaine, puisque le diocèse de Thiès a été crée avec Mgr Ndione. Mgr Jacques Sarr était le deuxième évêque de Thiès et avait effectué un travail de consolidation de cette famille diocésaine.
L’Eglise n’a pas encore remplacé les évêques des diocèses de Thiès et de Ziguinchor ; qu’est-ce qui retarde cette désignation ?
C’est bien de poser cette question pour éclairer les fidèles et surtout les Sénégalais, parce que certaines personnes avancent des idées qui ne sont pas exactes. En fait, le remplacement d’un évêque prend un certain temps et c’est normal. Il peut prendre une année, deux, parfois trois ans.
Pourquoi ? Parce qu’il y a un processus de consultation à faire sur des candidats éventuels. Il y a d’abord, un acte préliminaire posé par la Conférence épiscopale du pays concerné. Chaque conférence épiscopale doit toujours avoir une liste de ce que nous appelons des « prêtres épiscopables », c’est-à-dire des prêtres qui peuvent devenir évêques. Ce sont les évêques eux-mêmes, en concertation secrète, qui disent nous pensons qu’un tel prêtre peut faire partie des candidats à l’épiscopat éventuel et nous donnons un petit CV de chacun.
Ce pli est déposé à la Nonciature pour que le Nonce apostolique puisse le faire parvenir à Rome.
En cas de décès d’un évêque ou de poste vaquant, si un évêque est transféré d’un diocèse à un autre, (comme cela a été mon cas lorsque j’ai été transféré du diocèse de Kaolack à Dakar), il faut en définitive avoir une liste de trois noms pour le diocèse en question. Ces noms sont soumis à Rome par le Nonce apostolique, si le Saint-Siège est d’accord, le Nonce doit faire une consultation très secrète sur chacun de ces trois prêtres, parce qu’une quarantaine ou une cinquantaine de personnes doivent se prononcer et donner leur appréciation sur ces noms de prêtres retenus. Elles vont dire ce qu’elles en pensent, au niveau intellectuel, pastoral, formation, moral. Il est jugé au niveau de sa collaboration et de sa capacité à diriger et à administrer un diocèse sur divers plan, notamment financier et pastoral, entre autre.
Il y a un certain nombre de qualités que le futur évêque doit avoir. Une fois que cette consultation est faite, le Nonce apostolique rassemble toutes les réponses, en fait la synthèse pour chacune et les envoie à Rome. C’est à partir de ces consultations que le pape lui-même et lui seul dit pour tel diocèse, je choisi tel prêtre pour qu’il en soit l’évêque.
Nous sommes dans ce processus de consultation, donc il faut que tous ensemble, nous patientions, parce que c’est un travail sérieux qui permettra au Nonce apostolique de présenter au Saint-Père des informations qui lui permettent de faire un bon choix pour le diocèse de Ziguinchor et celui de Thiès.
Cette précision fait penser aussi à l’appellation de « chef de l’Eglise sénégalaise » que l’on vous attribue très souvent ; ce titre est-il exact ?
C’est aussi bien de poser cette question, parce que je l’ai expliqué, chaque évêque est nommé directement par le pape et personne d’autre.
Deuxièmement, chaque évêque est responsable de la vie et de la pastorale de son diocèse devant le pape. Tous les cinq ans, nous faisons la visite auprès des tombes des apôtres Pierre et Paul. Lors de cette visite quinquennale, chaque évêque présente le rapport sur la vie de son diocèse. Après il a audience avec le Pape qui, après avoir pris connaissance de son rapport, échange avec l’évêque sur la vie de son diocèse et en profite pour lui poser des questions.
C’est dire que chaque évêque est responsable de la vie et de la pastorale de son diocèse et tous les évêques du monde doivent en faire autant.
A part cela, il y a quand même ce que nous appelons la Conférence épiscopale qui est un regroupement des évêques, soit du même pays ou de la même région avec un président qui est élu, une fois cet évêque élu, il a des responsabilités et des prérogatives de président, par rapport aux autres évêques membres de la conférence. Il y a aussi ce que nous appelons la province ecclésiastique qui existe soit dans le même pays ou dans une région et qui constitue un groupe de diocèses.
Au Sénégal, il y a sept diocèses qui constituent la province ecclésiastique du Sénégal, membre de la conférence interterritoriale du Sénégal, Mauritanie, Cap-Vert et Guinée-Bissau. Parmi les diocèses qui constituent une province ecclésiastique, l’un d’entre d’eux est appelé Archidiocèse, cela veut dire que c’est le premier des diocèses et il est dirigé par un Archevêque, c’est le cas de Dakar.
Pour définir la situation hiérarchique de l’Archevêque qui est juste un ordre de préséance, je l’ai expliqué à plusieurs reprises à des autorités, en en utilisant l’expression latine « primus inter pares », pour dire que l’Archevêque est le premier parmi ses pairs.
A ce titre, il peut avoir certaines missions de vigilance discrète dans les autres diocèses, au nom du Saint-Père. L’Archevêque vient en premier dans l’ordre de préséance.
Deuxièmement, quand il a vraiment besoin ou éprouve la nécessité d’intervenir parce que dans tel diocèse, il y a une difficulté, l’Archevêque peut, sous l’autorisation de Rome, intervenir discrètement dans ce diocèse pour essayer de trouver des solutions.
Dire que l’Archevêque de Dakar est le chef de l’Eglise catholique du Sénégal est donc une erreur ?
Ce n’est pas exact. Mais les populations sénégalaises sont habituées à le dire, au début j’ai commencé à rectifier, mais il faut simplement retenir que l’Archevêque a une préséance surtout protocolaire vis-à-vis des autres évêques.
Eminence, depuis que vous êtes élevé au rang de Cardinal, est-ce qu’il y a une différence dans la gestion des activités de l’Archidiocèse de Dakar ; comment l’Eglise de Dakar est organisée ?
Avant même d’être nommé Cardinal, dès mon arrivée à Dakar, nous avions estimé que ce diocèse étant très grand et ayant déjà des responsabilités extérieures au niveau de la région ouest-africaine comme au niveau du continent, il fallait mieux que je multiplie mes collaborateurs en attendant qu’un évêque auxiliaire soit nommé.
J’ai nommé un Vicaire général comme il se doit, mais j’ai surtout institué les vicaires épiscopaux. Le Vicaire général, en la personne de l’abbé Alphonse Seck, aide l’évêque dans la marche du diocèse et en cas d’absence de l’évêque, ce dernier lui confie le diocèse pour qu’il veille pour que tout se passe bien.
A côté, j’ai nommé six vicaires épiscopaux, ce sont des personnes à qui je délègue de mes pouvoirs dans des domaines précis. Par exemple, l’abbé Léon Diouf est nommé vicaire épiscopal chargé du secrétariat épiscopal de la pastorale. Il participe à la production de documents, favorisant des rencontres et des réflexions pour que la pastorale du diocèse soit pensée et déroulée correctement. Il y a un vicaire épiscopal chargé de l’apostolat des laïcs. Il s’agit de l’abbé Dominique Mendy qui coordonne des mouvements d’actions catholiques qui sont dans L’archidiocèse, des groupes d’apostolats qui sont dans le diocèse, des mouvements de formation des jeunes comme des scouts et guides et des associations des laïcs jeunes et adultes. Il coordonne tous ces mouvements, car cela contribue à l’accomplissement de la mission de l’Eglise.
Le troisième vicaire épiscopal est le père Enzo qui se charge des relations entre l’Archevêque et les congrégations religieuses. Dans le diocèse, il y a plusieurs congrégations et notamment ce que nous appelons les congrégations cléricales comportant des prêtres, des frères et des sœurs. Le père Enzo assure le lien entre les supérieurs de ces congrégations et l’Archevêque de Dakar, ce qui me permet de pouvoir bien suivre les questions qui concernent la vie et les activités des religieux dans le diocèse. Les quatrièmes vicaires épiscopaux, ils sont deux.
Je les ai chargés de la vie du diocèse, mais dans les zones urbaines et rurales. L’Archidiocèse de Dakar est divisé en deux zones constituée par la région de Dakar (Cap-Vert), c’est l’abbé Joseph Touré qui est le vicaire épiscopal chargé de cette zone pour suivre la vie pastorale et les autres activités de l’Eglise dans cette zone, en faisant l’interface entre les prêtres et moi et entre les communautés religieuses et moi.
L’abbé Jean Touré est chargé de la zone rurale ; cela comprend le département de Mbour et de Fatick qui font partie de l’Archidiocèse de Dakar, lui aussi doit suivre la vie des communautés chrétiennes dans cette zone et me faire des rapports me communiquant des joies, des peines des Chrétiens qui sont dans ces zones, mais surtout s’il y a des difficultés pour que j’intervienne.
Le sixième vicaire épiscopal est l’abbé Jean-Marie Ndour. Il est chargé de la pastorale sociale. J’avais chargé l’abbé Jean-Marie Ndour de cette mission, mais il est parti depuis octobre en France pour deux ans. En attendant, je ne l’aie pas remplacé. Cette charge consistait pour moi à demander à ce prêtre de travailler à la coordination des activités de nos œuvres sociales, notamment l’enseignement catholique du diocèse, les postes de Santé, les centres de promotion de la femme et la Caritas diocésaine.
Tout cela, ce sont des œuvres sociales de l’Eglise, il faut que nos activités soient toujours en conformité avec le plan d’action pastorale, mais aussi avec le projet que nous voulons mener au service de l’homme, en cordonnant et harmonisant des activités. Lorsque dans une zone, nous avons une école et un dispensaire catholiques ou un centre de formation pour la promotion de la femme, il est souhaitable que chacun des responsables ou des personnes engagées dans ces œuvres sociales ne travaillent pas seulement chacun dans son domaine, mais qu’ils soient complémentaires, cela doit encore s’améliorer dans ce sens. C’est un des objectifs qui m’avait poussé à créer ce vicariat épiscopal de la pastorale sociale pour sensibiliser nos responsables d’œuvres à tenir compte de ceux qui sont à côté d’eux et s’engagent au nom de l’Eglise en menant d’autres activités. Il s’agit des gens de la Santé qui soignent au nom de l’Eglise, des enseignants et ceux de la Caritas qui travaillent au nom de l’Eglise afin qu’ils trouvent des occasions de se rencontrer pour échanger, en tenant compte les uns, des autres.
Monseigneur, beaucoup de chantiers de construction et de réfection des églises sont ouverts dans l’Archidiocèse de Dakar, notamment le projet Saint Paul et l’église Marie Madeleine de Mbao. Ou en sont ces projets, les moyens sont-ils réunis pour leur réalisation ?
Il faut que je dise à tout le monde à travers votre organe que ces projets ne sont pas pensés, élaborés, initiés pour uniquement être des projets.
C’est parce qu’il y a une grande nécessité. Après quelques mois de présence dans le diocèse, j’ai eu l’occasion d’écrire au Cardinal préfet de la congrégation pour l’évangélisation des peuples pour lui dire que tel que je vois l’Archidiocèse, (avant d’aller à Kaolack j’avais travaillé comme prêtre à Ngasobil et j’ai eu souvent l’occasion de venir à Dakar), j’ai toujours senti la nécessité de créer de nouvelles paroisses. J’avais dit au préfet de cette congrégation qu’en dix ans, on pouvait créer une dizaine de paroisses dans l’Archidiocèse de Dakar.
C’est ce qui a été fait. Depuis 2001, jusqu’à maintenant, nous avons crée dix nouvelles paroisses, autant dans Dakar que dans la zone rurale. A Dakar, j’ai séparé ce qui était une seule paroisse Saint Christophe de Yoff et Notre Dame des Anges de Ouakam que j’ai scindé en deux paroisses.
Saint Paul de Grand-Yoff autrefois allait jusqu’à la mer, c’est-à-dire à la plage de Hann. J’ai délimité à partir de l’autoroute. Maintenant tout ce qui est entre l’autoroute et la Baie de Hann constitue la quasi-paroisse Sainte Joséphine Bakhita. Ensuite Pikine, qui était une immense paroisse, je l’ai complètement démembré en enlevant le secteur de Dalifort que j’ai rattaché à Hann. Du côté de Guédiawaye, j’ai crée la paroisse Notre Dame de la Joie Saint-Jean qui est devenue aussi la paroisse du Bienheureux Jean-Paul II. Ensuite la paroisse Marie Madeleine de Mbao, il fallait la créer.
Au niveau de la zone rurale, nous avons créé assez rapidement la paroisse de Nianing, parce que Mbour ne pouvait pas avoir une seule paroisse.
Dans la commune de Mbour, nous avons créé la quasi-paroisse Saint André de Mbour et même une troisième avec Nguékokh qui était rattaché à Mbour. Maintenant Nguekh, Somone et Ngary constituent une paroisse naissante. Fatick, aussi, était une immense paroisse.
Il y a aujourd’hui trois paroisses qui apparaissent parce que Diakhao a été détaché de Fatick pour être une paroisse. Diouroup est devenu une paroisse. Toutes ces paroisses ont été créées parce que les Chrétiens s’installent partout maintenant. J’ai fait la visite pastorale du doyenné des Niayes qui comprend les paroisses de Rufisque, Keur Massar, Pikine, Guédiawaye, les Parcelles assainies, Marie Madeleine de Mbao.
En visitant ces paroisses surtout celle de Rufisque qui va jusqu’à Sébikotane, ou de Rufisque à Bambilor, j’ai vu que les prêtres sont débordés parce que les Chrétiens sont partout.
Heureusement, il y a des communautés ecclésiales de base. Il faudra rapidement faire de Diamantin une paroisse, Sébikotane et William Ponty peuvent aussi être une nouvelle paroisse. La paroisse Saint Abraham de Guédiawaye est trop grande avec Yeumbeul qui explose en termes de populations. Il faudra créer rapidement une paroisse à Yeumbeul.
Il faudra aussi créer une paroisse pour Sangalkam, Kounoune et Bambilor pour décharger Rufisque. En zone rurale, j’ai oublié de citer la création de la paroisse de Fissel portant le nom de Saint Joseph. En prenant un secteur dans la zone de Ndiaganiao et un secteur dans la paroisse de Thiadiaye et un autre secteur dans la paroisse de Diohine. Bientôt, il faudrait songer à créer une paroisse entre Thiadiaye et Djilakh et une autre paroisse entre Thiadiaye et Mbour.
Toutes ces paroisses doivent être créées parce que les Chrétiens augmentent, de naissances, mais aussi avec les conversions des adultes.
En plus les populations s’installent au niveau du Cap-Vert à cause de l’exode rural, mais aussi avec l’industrialisation. Il faut penser à créer de nouvelles paroisses. Mais cela implique, j’en viens maintenant à mes projets, nécessairement des églises nouvelles et de nouveaux presbytères, des salles paroissiales et de réunion. Il faut des écoles, des dispensaires, etc.
Voila pourquoi, j’ai dit que l’on ne crée pas des projets pour des projets, mais parce que c’est nécessaire. En créant des paroisses, nous sommes obligés de les doter d’infrastructures qui permettront aux Chrétiens d’avoir des lieux de culte et aux prêtres d’avoir où loger, ainsi que des agents pastoraux comme les religieuses.
Hormis ces nouvelles églises à construire, il y a le grand projet de la paroisse Saint Paul de Grand-Yoff qui constitue une nécessité parce que l’église actuelle est petite et trop proche du marché, avec beaucoup de nuisances surtout les dimanches lorsque les gens vont à la messe.
Heureusement que le Cardinal Thiandoum avait pensé à trouver un autre terrain pour construire une église pour les populations de Grand-Yoff. Heureusement aussi qu’avec l’aide de l’Etat ce terrain a eu des dimensions intéressantes. Quand je l’ai vu et que le curé d’alors le père Edmond Koffi m’a parlé du projet de l’église et qu’il m’a montré le plan, j’étais entièrement d’accord pour la construction d’une église paroissiale, mais je voulais que l’on construise une grande église, étant donné que le terrain le permet.
Ainsi, cette église peut être pour Dakar, un grand lieu de rassemblement plus tard. J’ai constaté que toutes nos églises étaient petites avec l’augmentation des fidèles catholiques à Dakar. La Cathédrale, Saint Pierre de Boabab, Martyr de l’Ouganda sont devenues petites et ne peuvent plus contenir des foules de huit mille ou dix mille fidèles. L’ambition pour le projet de Saint Paul est d’en faire un sanctuaire paroissial avec comme possibilités d’avoir des tribunes à l’intérieur et surtout l’aménagement de l’esplanade extérieure et la possibilité d’ouvrir les côtés pour que les gens puissent suivre la messe ou d’autres manifestations religieuses. L’objectif est que l’on puisse arriver à des rassemblements de dix à treize mille fidèles dans certaines circonstances, parce que cela n’existe pas à Dakar.
A la Cathédrale, quand il y a beaucoup de monde, quelques personnes sont à l’intérieur de l’église et ceux qui sont dehors ont de la peine à prier parce qu’elle n’est pas conçue pour cela. Cette église de Grand-Yoff sera conçue pour que ceux qui seront à l’extérieur puissent vraiment suivre ce qui se passe à l’intérieur.
Le projet Saint Paul est-t-il bien avancé ?
J’en viens ; le terrain étant grand, nous avions dit qu’il est bon de saisir l’occasion pour créer un collège. Comme il était plus facile de faire un emprunt pour le collège, parce qu’avec la scolarité on peut remplacer progressivement les fonds, nous avons pu mettre en place ce collège Cardinal Thiandoum que je voulais aussi comme un moyen de décentraliser nos écoles, trop concentrées sur le quartier Plateau. Il s’agit des collèges Sainte Jeanne D’arc, Notre Dame, Cathédrale, Saint Michel, Saint Joseph de Médina, etc. En plus, il est nécessaire qu’il y ait de nouvelles écoles dans les nouvelles zones dites résidentielles.
Comme il y avait ce terrain, nous avons profité pour édifier le collège Cardinal Thiandoum. Avec le collège Notre Dame du Liban, ils parviennent à répondre à ce besoin d’établissements scolaires dans la zone. On verra comment continuer à créer d’autres collèges à Pikine, à Guédiawaye, etc. On pense à chercher des terrains à Yeumbeul, Keur Massar, à Mbao pour créer de nouveaux collèges.
Le collège Cardinal Thiandoum, une fois bâti, il est en finition actuellement, il y aura le projet de sanctuaire. D’après le plan, ses dimensions et les ambitions que l’on nourrit, ce sanctuaire coûtera assez cher. Il aura un sous-sol bien occupé avec des salles, une morgue, des salles de conférence, des boutiques de vente d’objets religieux, peut-être la libraire ClairAfrique pourrait y avoir une agence. Pour cela, la construction et les autres travaux vont nous coûter quelque 2 milliards et demi de francs Cfa. Il faut que nous nous mobilisions.
Si jusqu’à présent les travaux ne sont pas commencés, alors que j’avais lancé les chantiers, c’est parce que les études techniques n’étaient pas terminées, elles le sont aujourd’hui. Un monument de cette dimension mérite de sérieuses études. Les appels d’offres ont été lancés et nous avons eu une réunion du comité directeur pour faire le point sur le dépouillement des appels d’offres et faire le choix de l’entreprise qui acceptera de construire ce sanctuaire. Dès que le choix sera fait, nous demanderons à l’entreprise choisie de commencer les travaux. Mais les Chrétiens doivent savoir que nous sommes loin d’avoir atteint la somme demandée pour la construction de ce sanctuaire estimée à 2,5 milliards de francs Cfa.
Dès que les travaux vont démarrer, nous allons relancer la campagne de sensibilisation de recherche de fonds et faire savoir aux Chrétiens que ce sanctuaire est un symbole. Il faudrait que nous puissions dire un jour que cette église, c’est nous qui avions été les premiers à la construite avec nos cotisations et des contributions pour que nous soyons plus convaincus de notre capacité à faire quelque chose de grand.
Il faut que les Chrétiens dépassent ‘’l’attentisme’’, parce que nous constatons cela vis-à-vis de l’Eglise. On lance des appels, mais les Chrétiens répondent parfois difficilement.
La construction de ce sanctuaire est une occasion de montrer que, même si nous ne sommes pas les plus riches du Sénégal, si chacun donne quelque chose au nombre que nous sommes, on peut réunir des millions voir des milliards de francs Cfa pour construire cette église.
Une fois que notre mobilisation sera au point, nous allons demander des contributions soit sénégalaises ou de l’extérieur. Mais je veux d’abord que les Catholiques de l’Archidiocèse de Dakar se mobilisent autour de ce projet. Nous attendons simplement que les travaux démarrent avec l’entreprise que nous aurons retenue et que, au fur et à mesure que nos cotisations avancent, nous puissions payer cette entreprise. Si nous attendons de mobiliser les 2,5 milliards de francs Cfa, en 2020 on n’aura pas commencé. Il faut commencer en cherchant au fur et à mesure des fonds.
Eminence, quelle appréciation peut-on faire de la vie de l’Eglise en Afrique ? Que dit-elle face à la persistance des conflits religieux entre musulmans et chrétiens, comme cela se voit au Nigeria ?
Un fait reconnu au sein de l’Eglise universelle est que depuis une dizaine d’années, chaque fois qu’il y a un synode, on aborde les questions de l’Eglise sur le continent. Il faut reconnaître qu’aujourd’hui, c’est en Afrique que la croissance de l’Eglise est la plus forte ; on parle d’une croissance de 14% par an. C’est aussi en Afrique que la croissance de vocation sacerdotale religieuse est également la plus forte. Ce sont des signes de vitalité de l’Eglise en Afrique.
Ce sont de jeunes églises avec leur dynamisme propre. Mais il ne faut pas oublier que cette croissance quantitative doit s’accompagner d’une croissance qualitative. Il faut que les Catholiques africains travaillent à approfondir leur foi et la conformité de leur vie avec l’Evangile, approfondir leur fidélité à Jésus-Christ dans ce domaine ; nous avons encore beaucoup d’efforts à faire. Les gens devenus chrétiens doivent faire leurs ruptures nécessaires avec la religion traditionnelle qu’ils avaient auparavant.
L’inculturation adopte des valeurs de nos religions traditionnelles et traditions que le Christianisme doit assumer pour que notre foi chrétienne ne soit pas une foi éthérée, mais une foi vécue dans un contexte précis. Il faut continuer cette conversation et cette inculturation parce que nous ne sommes qu’au début.
Deuxièmement, il faut que la fidélité des prêtres, des religieux et religieuses soit cultivée et approfondie pour que nous puissions avoir un clergé de saints prêtres, évêques et religieuses. Ce sont des qualités à soigner. Comme la conversion dure toute la vie, nous pouvons dire que la conversion d’une communauté n’est jamais finie. La preuve, si vous regardez l’Occident, que l’on disait l’Occident chrétien, il est aujourd’hui « déchristianisé ».
Pour éviter cela, il faut sans cesse que nos églises africaines travaillent à la qualité de leur foi, de la vie et de l’apostolat chrétiens. Il y a aussi le fait que cette Eglise de l’Afrique est confrontée évidemment aux problèmes du continent.
A propos de qualité de la foi et vie chrétiennes, les évêques que nous sommes, nous nous désolons de dire que c’est dommage que des politiciens africains, qui se réclament du Christianisme, qui sont Catholiques, n’aient pas toujours un comportement qui fasse honneur.
Heureusement il y a des gens qui, comme Julius Nyerere dont la cause de la béatification est introduite, ont honoré leur foi chrétienne dans l’exercice de leur responsabilité. Mais à côté, nous avons des présidents chrétiens en Afrique qui ne font pas honneur et c’est dommage. Cela veut dire que nous avons un travail à faire encore pour accroître la conversion des mentalités et des conduites des uns et des autres.
Pourquoi ces conflits durent ; on n’arrive pas à trouver de solutions ?
C’est pour dire encore une fois qu’il y aura encore beaucoup d’efforts à faire dans le sens du dialogue interreligieux et islamo-chrétien en particulier. Il faut souligner qu’au niveau du Nigeria, j’ai des contacts avec des évêques du pays. C’est vous dire que nous avons eu des occasions pour nous rencontrer et d’échanger sur des difficultés de ce pays.
Il semblerait que ce sont souvent des raisons économiques qui revêtent un aspect religieux par la suite. Il existe au niveau du monde entier la conférence mondiale des chefs religieux pour la paix avec une cellule africaine, donc l’Archevêque d’Abuja et le khalife de Kadouna, ainsi que les autres chefs religieux. Ils ont pour mission de réfléchir et agir pour la promotion de la paix en Afrique en évitant ces conflits et surtout en faisant de sorte que la religion ne soit instrumentalisée par les politiques.
Il y a des problèmes en Egypte et en Orient où l’on assiste à la persécution des Chrétiens. Il faut que là aussi, l’interpellation soit lancée. J’ai beaucoup aimé l’idée des jeunes Egyptiens qui réclamaient que la citoyenneté soit première et qu’elle passe avant la religion. Je pense qu’ils ont raison parce qu’ils sont Egyptiens avant d’être musulmans et ou chrétiens. Ils favorisent la laïcité comme au Sénégal où l’Etat s’est déclaré laïc, c’est-à-dire non confessionnel et ne se réclame d’aucune religion ou communauté religieuse. Cette laïcité positive dont parlait le président Senghor et que Sarkozy a repris, je pense que c’est l’un des meilleurs fondements de la paix sociale dans un pays, parce qu’elle permet l’égalité des citoyens, quelles que soient leurs races, ethnies et religions et l’engagement de tous pour la construction du pays. Si au niveau du Maghreb et de l’Orient, cette citoyenneté primaire pouvait faire son chemin pour permettre qu’en Egypte, l’on soit musulman ou chrétien, on est d’abord Egyptiens en accordant les mêmes chances à tout le monde, ce serait meilleur et mieux.
Entretien réalisé par Jean PIRES et Eugène KALY, photos Pape SEYDI, lesoleil.sn