Le bras de fer entre associés de Wari que nous évoquions dans plusieurs éditions de la semaine dernière déroule encore et toujours son lot de révélations. Aux dernières nouvelles, le Doyen des juges, le magistrat Mahawa Sémou Diouf a pris avec détermination les rênes de l’affaire. Lui qui a reçu, comme nous l’évoquions, une plainte de deux associés de la société CSI.SA. Selon des sources proches de la Justice, le boss de Wari a longuement été entendu il y a une dizaine de jours, après les plaignants. Après confrontation des auditions des deux parties, le Doyen des juges a ensuite transmis au Parquet pour règlements. C’est à la suite de cela que le Procureur a demandé, dans un réquisitoire supplétif transmis au doyen des juges que Kabirou Mbodj soit inculpé et que la société soit mise sous administration provisoire, en attendant d’y voir plus clair. La balle est aujourd’hui dans le camp du doyen des juges.
A l’origine…
C’est en 2006 que le projet ‘’Wari’’ commence à germer et que Kabirou Mbodj se rapproche de Seyni Camara, cadre de banque spécialisé dans les transferts d’argent. Ce dernier qui a une expertise avérée pour avoir travaillé dans les plus grandes banques, contacte à son tour Malick Fall en 2007, et lui propose de prendre part à l’aventure. Ce dernier a aussi une expertise confirmée dans la mise en place des plates-formes informatiques pour servir de base techniques aux opérations de transfert d’argent. Le quatrième actionnaire de la boîte arrive donc par la ‘’baraka’’ de Malick Fall qui fait venir un expert du nom de Cheikh Tague. Ce sont ces quatre actionnaires de la CSI qui vont lancer Wari.
L’expérience démarre d’ailleurs très mal et les débuts sont plus que difficiles. Car, c’est avec un concurrent, précisément Post Finance que le business commence ses activités. La plate-forme s’appelle ‘’Call Money’’ et c’est Seyni Camara qui le baptise ainsi. Malick Fall met en place les systèmes d’informations financiers et de services de transfert d’argent. La Poste glisse des peaux de bananes à la petite entreprise logée dans des bureaux exigus à la place de l’Indépendance. La CSI.SA finit par jeter l’éponge et cherche un nouveau partenaire financier. Seyni Camara engage les négociations avec la Caisse nationale de crédit agricole du Sénégal (CNCAS). Il faut trouver un autre nom, tout neuf. C’est ainsi que Wari est né. Selon des sources proches de la Police judiciaire sénégalaise, c’est WariWassa qui avait été proposé comme nom, mais Seyni Camara pensera que Wari sonne ‘’plus court, plus choc’’. Kabirou Mbodj suit tout ce processus avec attention. Il écoute beaucoup en laissant les experts faire le travail nécessaire.
Le virage…Interactive
Même avec ce changement de cap, Wari ne prend pas immédiatement son envol. La croissance n’est pas encore au rendez-vous et les actionnaires décident de créer une nouvelle société dénommée Interactive pour accélérer le déploiement du réseau de Wari. Un nouvel actionnaire arrive en la personne de Bernard Tissot et la nouvelle société qui vient renforcer la CSI dans l’activité, est composée de cinq actionnaires, avec chacun 20% du capital social. Seyni Camara est nommé gérant d’Interactive. La CSI se focalise sur le produit et le public alors qu’Interactive gère les réseaux et les points de vente. ‘’C’est le tournant’’, lâche un de nos interlocuteurs. La séparation de l’activité de gestion du réseau des autres tâches dope la machine. A partir de ce moment, Wari commence à connaître la croissance. De façon très rapide. ‘’Si rapide que cela donne le tournis à certains’’, raconte d’ailleurs, avec un brin d’ironie, une de nos sources.
Comment Kabirou Mbodj s’est installé
Selon nos investigations, l’opération de prise de contrôle du business Wari par Kabirou Mbodj commence par Interactive, qui gère en fait tout le réseau de distribution de la société de transfert d’argent. Les montages se complexifient à ce stade de l’évolution rapide du produit. On ne sait pas encore pour quelle motivation et selon quelle logique, mais Kabirou Mbodj propose à ses associés de créer une autre société, la Cellular system international data system (CDC), qui devient une filiale de CSI.SA. Rentre alors en scène un cinquième acteur, en la personne de Kimintang Willane, nommé Directeur général de la CDC. Aujourd’hui, ce dernier est en contentieux avec M. Mbodj.
Ensuite, il propose aux actionnaires de lâcher chacun en ce qui le concerne 5% d’Interactive pour constituer les 20% de CDC. A la fin du processus, il se retrouve avec 35% des parts, contre 15% pour chacun des actionnaires qui vont accuser Kabirou Mbodj d’avoir racheté en catimini les actions du Français Bernard Tissot, qui était dans Interactive. Autant d’opérations assimilées à des manœuvres frauduleuses par Seyni Camara, Cheikh Tagué et Malick Fall.
Cette étape franchie, la machine pour le contrôle de Wari va continuer à se déployer de façon implacable. On ne sait pas trop comment, mais Kabirou Mbodj parvient à faire rétrocéder 50% du chiffre d’affaires d’Interactive (qui contrôle 60% des activités de Wari) à SCI. Seyni Camara est dans la même veine écarté de ses fonctions de gérant. La manœuvre se parachève avec la mise en place de Interlinq Suarl dont il est l’unique actionnaire, un artifice accompagné par une augmentation de capital pour larguer tous ses compagnons. Kabirou Mbodj peut à partir de ce moment s’installer sur le trône. Il est le seul patron à bord. Nous sommes en début 2013, il s’autoproclame seul concepteur de Wari et se taille immédiatement un demi-milliard qu’il se met dans la poche. Précisément 510 millions de francs Cfa représentant 8% de toute l’activité de la société.
Parfum de détournements
Dans les différentes plaintes déposées au niveau de la Justice, ces manœuvres pour écarter les actionnaires de Wari sont dénoncées en même temps que les opérations financières qui les accompagnent. Aussi, nous signale-t-on qu’entre juillet 2013 et juillet 2014, Kabirou Mbodj a réussi à détourner tout le portefeuille cible d’Interactive au profit de la nouvelle société. ‘’Ces transactions représentent plus de 75 milliards Cfa de flux financiers, soit des commissions avoisinant le milliard Cfa’’, lit-on dans un document d’enquête de Police.
Et entre juillet 2014 et octobre 2014, 1,3 million de transactions Wari, soit 25 milliards Cfa de flux financiers, représentant 400 millions de francs Cfa en commissions sont répertoriées.
Les plaignants relèvent aussi que sur un échantillon de 307 millions de francs Cfa retirés dans les comptes de la CSI, seuls 13 millions sont justifiés. Ce qui leur fait dire que le montant de 293 millions de francs Cfa demeure injustifié et ne présente aucun lien avec l’objet social.
D’autres griefs, relevés dans la gestion courante de la société, sont disséminés dans le rapport que l’expert-comptable, Me Ngor Diouf, membre de l’Ordre national des Experts et évaluateurs agréés du Sénégal (ONEEAS) a confectionné pour le compte de la Justice.
Nous avons essayé de joindre M. Kabirou Mbodj sur son téléphone portable. Nous lui avons laissé un message écrit pour le faire réagir sur le dossier. Il nous a communiqué un numéro du Nigeria sur lequel nous avons essayé de le joindre. En vain.
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