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[ Guest-Editorial] Une tragicomédie ivoirienne Par Venance Konan*

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Simone, habillée de blanc, comme si elle était à un mariage, le sien. Simone qui cherche les lèvres de Laurent, les trouve et les embrasse. La foule applaudit. Simone rayonnante, prend la main de Laurent, qui sourit de toutes ses dents refaites au Maroc, et les deux posent devant les objectifs des photographes. Ce 4 décembre 2010 est le jour de Simone. Elle a retrouvé son Laurent. Laurent, l’infidèle. Pour le dernier acte de leur tragédie commune. Pendant ce temps, dehors, le peuple gronde. Il n’accepte pas que Laurent lui vole sa voix qu’il lui a refusée. Des corps tombent un peu partout dans le pays. Simone et Laurent en ont-ils conscience ? Il y a dix ans, dans ce même décor du palais présidentiel d’Abidjan, Simone versait une petite larme en regardant son Laurent prêter serment en tant que président de la république de Côte d’Ivoire. Puis elle se jeta dans ses bras, éperdue de bonheur. Au même moment, dans le quartier de Yopougon, on assassinait une soixantaine de personnes derrière la prison civile.

Flashback. Nous sommes au début des années quatre-vingt. Les socialistes venaient d’arriver au pouvoir en France. Laurent, qui portait alors des rouflaquettes et des lunettes à monture carrée de bellâtre débarquait en France. Il se proclamait socialiste et fuyait un régime qui ne pouvait que déplaire aux socialistes français. Le vieil Houphouët-Boigny avait certes fait de son pays le plus développé de sa région, mais il était allergique au mot démocratie, du moins tel qu’il était perçu en Europe. Laurent, qui se proposait de chasser le vieillard du pouvoir, afin de bâtir dans son pays le socialisme ne pouvait que plaire aux camarades socialistes français. Le camarade Guy Labertit lui donna le gîte et le couvert, pendant que le camarade Henri Emmanuelli trouvait en lui un frère jumeau. Ils étaient nés le même jour. Les camarades soutiendront Laurent dans son exil, pendant qu’au pays, Simone se débrouillait comme elle pouvait pour faire bouillir la marmite. Elle n’avait pas été gâtée par la nature, Simone. Certaines mauvaises langues l’avaient surnommée Gargamel, du nom de ce personnage de la bande dessinée de Peyo à qui on lui prête une certaine ressemblance. Mais quelle combattante, Simone ! Rien ne pouvait la faire reculer dans sa volonté d’instaurer un régime démocratique et socialiste dans son pays. Cela compensait tout le reste.

En 1990, sous la poussée d’un vent venu de la Russie, le « Vieux », comme on appelait Houphouët-Boigny, parce qu’il était vraiment vieux, avait ouvert son pays au multipartisme. Et Laurent rentra pour créer son parti. Lors de sa première apparition à la télévision, un de ses fidèles lui essuya le visage en s’exclamant : « on dirait Jésus Christ. » D’où son surnom de Christ de Mama, du nom de son village, en pays Bété. Là-bas où, dans la tradition, le chef est tout simplement le plus fort, celui qui arrive à conquérir le pouvoir et à le garder, peut importe comment.

Les camarades de France accompagneront Laurent jusqu’à ce qu’il prenne le pouvoir en ce mois d’octobre 2000. Il avait convaincu Robert Guéï, le tombeur d’Henri Konan Bédié, d’écarter ce dernier ainsi que Ouattara de la course présidentielle. Il avait aussi fait croire au naïf Guéï qu’il le laisserait gagner l’élection et accepterait d’être son premier ministre. Au dernier moment, après que Guéï se soit déclaré vainqueur, Laurent a fait descendre le bon peuple dans la rue, et après un bain de sang, a réussi à chasser l’ancien putschiste du pouvoir. Je vous l’ai dit, à Mama, le chef est celui qui réussit à obtenir le pouvoir et à le garder, peu importe comment.
Dix ans de pouvoir de Laurent ! Quelle tragédie !

Tout ce que les Ivoiriens lui demandaient étaient qu’il réconcilie leur pays déchiré par l’ivoirité créée par Bédié. Laurent choisit de les diviser davantage. Il y eut d’abord ce charnier qui inaugura le règne, puis le refus de laisser Ouattara se présenter aux législatives qui suivirent, les femmes du parti de ce dernier violées par des policiers, et Simone qui s’exclama « Qu’avaient-elles à aller manifester ? » Il y eut aussi cette insouciance. Laurent se dépêcha d’épouser une seconde femme. La loi de son pays dont il est le garant interdit la polygamie, mais les traditions le permettent. Il choisit les traditions. Nady, la nouvelle élue du cœur de Laurent était plus jeune et, disons-le, plus belle que Simone. Tout son entourage lui emboîta le pas, en choisissant de préférence les miss. Et il y eut cette rébellion. Tout le monde dans le pays savait que des déserteurs de l’armée vivaient dans les contrées voisines et menaçaient de revenir. Ils l’avaient déjà tenté une fois, au début du règne de Laurent. Laurent dit aux Ivoiriens : « celui qui s’amuse à attaquer le pays recevra une pluie de feu sur la tête. D’ailleurs je vais créer deux bataillons pour surveiller le nord. » Il oublia de le faire et s’en alla en vacances. Insouciance, insouciance. A son retour, Laurent le socialiste augmenta les salaires de ses ministres, leur offrit de nouvelles limousines, les décora et s’en alla en Italie.

Et les rebelles vinrent. Commença alors la danse macabre des escadrons de la mort. Il n’était pas question de perdre ce pouvoir si chèrement acquis. Benoît Dakoury-Tabley, l’ancien médecin personnel de Laurent, assassiné. Son frère Louis venait de s’afficher comme membre de la rébellion. Le comédien Camara Yérêfè, dit « H », assassiné lui aussi, avec des dizaines d’autres moins connus. Les escadrons tuèrent jusqu’à ce que Laurent et Simone soient menacés de tribunal pénal international. Laurent jura, la main sur le cœur, que jamais, ni lui, ni Simone n’avait armé d’escadron. Et comme par hasard, les escadrons disparurent dans la nature. Il n’empêche qu’un policier trouva le moyen de tuer en plein jour, Jean Hélène, le correspondant de RFI à Abidjan. Les camarades de Paris commencèrent à trouver que le camarade Laurent en faisait un peu trop. Le camarade François Hollande trouva même qu’il était devenu infréquentable.

Mars 2004. Les opposants voulaient manifester pour demander l’application de l’accord de Linas-Marcoussis que Laurent avait entériné à Kleber, en janvier 2003. 120 morts selon l’ONU. 500, selon l’opposition. Novembre de la même année, bombardements des villes de Bouaké et Korhogo. Et cette bombe qui s’égare sur un camp militaire français. Neuf morts. Combien par la suite, dans le bras de fer qui opposa Laurent à la France ? Personne ne le sait. Mais les Français vivant en Côte d’Ivoire expérimentèrent alors les joies du retour au pays en charter. Et puis, et puis… Que de sang versé depuis l’arrivée de Laurent sur le trône ! Que de roublardise ! Que d’argent détourné, que d’enrichissements fulgurants des membres du clan, pendant que le peuple qui avait porté Laurent le socialiste au pouvoir croupissait dans la misère ! Et cette corruption de toute la société !

Et puis, cette élection sans cesse reportée, pendant cinq ans. Cela n’a pas empêché les camarades Jack Lang et Jean-Marie Le Guen de trouver Laurent à nouveau fréquentable, et d’aller faire la bamboula avec lui à la rue Princesse, cette rue où des jeunes garçons et jeunes filles souvent âgés de moins de douze ans sont obligés de se prostituer pour survivre dans la Côte d’Ivoire socialiste du camarade Laurent.

Et, au bout du long parcours, cette élection finalement organisée et… perdue. Et la volonté du peuple confisquée. Quelle tragédie, Laurent. Les camarades de Paris ne veulent plus t’accompagner. Le peuple de Côte d’Ivoire non plus.

Mais nous arrivons au dernier acte, Laurent. Est-ce pour cela que Simone a mis sa robe de mariée ? Elle t’a retrouvé Laurent. Elle tenait à dire au monde entier qu’elle avait toujours été là, à tes côtés, malgré tes infidélités. Elle a toujours été là, depuis le temps où vous militiez dans la clandestinité. Laurent, elle t’a accompagné dans ta tragédie qui fut aussi celle de ton pays. Ton pays qui te demandait tout simplement de l’aimer. Que t’est-il arrivé, à toi, Laurent l’historien ? Le pouvoir rend-t-il vraiment fou ? Ne sais-tu pas comment finissent ceux qui tentent de confisquer un pouvoir que le peuple leur a refusé ? N’est-ce pas toi qui disais à Milosevic qu’il ne pouvait pas avoir raison contre le monde entier ? Penses-tu, à ton tour, pouvoir avoir raison contre le monde entier ? Avais-tu besoin de finir de cette façon ? Oui, je le sais, chez toi, le pouvoir appartient à celui qui sait le prendre et le conserver, peu importe comment.

Tu le sais aujourd’hui, Laurent. Personne ne peut te laisser piétiner la jeune démocratie ivoirienne dont tu as pourtant été l’un des pères. Le camarade Jack Lang te l’a rappelé. Personne ne peut te laisser tuer la démocratie en Afrique. Parce qu’ils sont encore nombreux, ceux qui sont convaincus que malgré tout, malgré les hommes comme toi, comme Tanja du Niger, comme Moussa Dadis Camara de Guinée, une aube nouvelle est toujours possible en Afrique, une aube chargée de promesses en démocratie, en liberté, en justice, et en prospérité.

In lemonde.fr 11/12/2012

*Journaliste indépendant et écrivain

Auteur de « Les Prisonniers de la haine » (NEI 2003), vit et travaille en Côte d’Ivoire.

Il est notamment l’auteur de « Nègreries », 2007 (éd. Frat-mat) ; « Dans la tête de Sarkozy », 2009, collectif, aux éditions du Seuil. « Les Catapila, ces ingrats » (éd. Jean Picollec, 2009) et « Putain 50 ans d’indépendance » (éd. Favre, à paraître début 2011)

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