2012 se rapproche, installant le Sénégal dans une tension électorale grosse de dangers et d’incertitudes, et qui peut enfanter plusieurs situations allant du dégonflement au chaos. Et parmi les scenarii possibles, celle à ne pas négliger et qui pourrait mener au chaos : une démission collective des membres du Conseil constitutionnel. L’interpellation de Malick Noël au président du Conseil constitutionnel Cheikh Tidiane Diakhaté, avec ampliation aux quatre autres membres de l’institution, a servi de prétexte pour renforcer le dispositif sécuritaire autour des cinq sages et devant leur domicile. Cette lettre, de l’avis du procureur qui l’a placé sous mandat de dépôt, contient des menaces à prendre au sérieux dans le contexte politique actuel du Sénégal. Un contexte qui, selon certains commentaires, fait qu’on ne peut pas laisser n’importe qui s’inviter aux domiciles des membres du Conseil constitutionnel comme l’a fait Malick Noël Seck qui doit être coffré pour l’exemple. Une pression de plus sur les cinq sages chargés de valider ou d’invalider les candidatures des différents candidats à la Présidentielle de 2012 dont celle qui alimente le débat depuis son annonce : la candidature du Président Abdoulaye Wade pour un troisième mandat. Et voilà une situation qui place les cinq sages du Conseil constitutionnel entre le marteau et l’enclume. Une situation qui ravive le souvenir de l’assassinat de Me Babacar Sèye, vice-président du Conseil constitutionnel en 1994, et qui sera encore plus tendue en cas d’emprisonnement du jeune socialiste.
Une situation grosse de plusieurs scenarii. Mais qu’en serait-il alors si au soir du 27 janvier 2012, en lieu et place d’une liste de candidats, le Conseil constitutionnel sert une démission collective ? «Là, c’est un scénario catastrophe. Ce serait une véritable impasse politique et juridique», répond un juriste sous le couvert de l’anonymat. De l’avis du Pr Pape Demba Sy, si ce scénario se présente, d’autres juges constitutionnels seront nommés et «tout dépendra de la célérité du président de la République à remplacer les démissionnaires et des délais».
Si dès le lendemain d’autres membres sont nommés, «la nouvelle équipe va prendre le dossier en l’état», explique Pr Sy. Pas si facile que cela, si l’on considère avec notre juriste anonyme qu’à propos du «processus électoral, tout est minuté». Certes, le président de la République «devrait se dépêcher pour remplacer les membres qui ont démissionné, mais si à 29 jours des élections, le Conseil constitutionnel dépose une démission collective, c’est le processus électoral qui est complètement bloqué». «Ce serait le chaos, si le Conseil constitutionnel se dérobe ; il n’y aura plus d’arbitre pour le jeu politique», renchérit Ahmet Ndiaye Professeur de droit constitutionnel.
Or, explique Ahmet Ndiaye, le Conseil constitutionnel est en amont et en aval du processus électoral, de la validation des candidatures, à l’organisation et la publication des résultats. «D’ailleurs, c’est le Conseil constitutionnel qui reçoit le serment du nouveau président», indique M. Ndiaye selon qui, même d’ici au mois de janvier, «eu égard le contexte actuel», si un seul membre du Conseil constitutionnel démissionne, le processus électoral sera bloqué, car ce serait interprété comme un malaise au sein de cette structure. Ce serait le cas par exemple d’un membre qui sent que le Conseil va vers une validation de la candidature du Président Abdoulaye Wade. Le cas échéant, «c’est tout le bateau qui va tanguer et toute la crédibilité du Conseil constitutionnel qui va s’étioler».
UN GRAND MOMENT D’INCERTITUDE
Ce qui est sûr, c’est que dans une telle situation, c’est le report des élections qui va s’imposer. En effet, «même si c’est un seul membre qui démissionne, cela va bloquer le Conseil constitutionnel. Alors si ce sont les cinq membres, ce sera encore plus difficile» à gérer, analyse notre juriste. Dans la même veine, Ahmet Ndiaye, Maître assistant associé à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), précise après un moment de pause au bout du fil : «C’est vraiment un scénario extraordinaire. Nous avons réfléchi à toutes les autres pistes, sauf celle-là, (mais) ce serait la meilleure situation pour ne pas organiser des élections.»
Un scénario peut-être extraordinaire, mais bien possible. En effet, si leur vie est en danger, «tous les membres du Conseil constitutionnel peuvent dire : ‘’nous ne sommes pas en sécurité. Cela ne vaut pas de sacrifier nos vies’’», argumente notre juriste qui considère que, pour des raisons de sécurité, les cinq sages pourraient être amenés à une démission collective. Une certitude pour notre interlocuteur : «Beaucoup de choses peuvent arriver. C’est l’élection de tous les dangers. Tout peut bien se passer, comme aussi tout peut basculer. Prions pour que Dieu nous en préserve.» Une vérité confirmée par le constitutionnaliste Ahmet Ndiaye qui estime rare qu’un Conseil constitutionnel, de par le monde, vive une situation aussi défavorable que celle actuelle de l’institution sénégalaise. Et à l’en croire, «tout est possible après la Tabaski». Seulement, le messie pourrait être le Président Abdoulaye Wade. «La seule solution est que Me Wade ne se présente pas», dit le Maître-assistant Ahmet Ndiaye.
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