DEPUIS qu’il a effectué son entrée à l’hémicycle, en 1993, sous la propre bannière de sa formation politique, la Cdp-Garab-Gi, il ne semble pas facile de prendre à défaut le député Iba Der Thiam sur la rigueur qu’il s’est librement imposée dans l’exercice de son sacerdoce. «Le Député du Peuple», sobriquet qui lui fut collé pour la première fois par Mame Less Dia, le fondateur de l’hebdomadaire satirique «Le Politicien», aura admirablement habitué les Sénégalais, tout au long de ses deux décennies de législature, et sous différents régimes, à ses pertinentes interpellations du gouvernement, à travers de nombreuses questions orales et d’actualité, se faisant ainsi l’écho des préoccupations des couches défavorisées, des «sans voix».
PARTICULIÈREMENT mu par son irrépressible tempérament de syndicaliste (qui lui valut plusieurs embastillements sous le régime senghorien), l’histoire retiendra qu’il aura été l’un des rares parlementaires à dénoncer régulièrement la «marginalisation des Arabisants». Considérant injuste l’exclusion dont cette élite intellectuelle et linguistique est l’objet dans les sphères décisionnelles.
ET IBA DER CONTINUA de se battre pour que les «daaras», ces écoles coraniques traditionnelles, qui ont produit cette élite et qui furent jadis des foyers d’excellence, ayant forgés de brillantes destinées nationales, puissent retrouver leur lustre d’antan.
L’INFATIGABLE député Iba Der Thiam ne répugnait pas à voler au secours de modestes corps de métier, souvent «oubliés» dans la redistribution des dividendes nationales. De la situation des producteurs d’oignons (dont il n’a eu de cesse de dénoncer, depuis 2008, le «dumping» économique qu’on leur inflige et de réclamer l’écoulement prioritaire de leurs productions sur le marché national par l’arrêt des importations), à l’avenir des boulangeries traditionnelles, menacées de disparition; en passant par le déguerpissement des 700 ouvriers-mécaniciens de la Cité Keur Damel, aucun aspect de la vie socio-économique ne laissait indifférent le «député du peuple».
ÉTENDANT ses préoccupation jusqu’à la fameuse «Aide à la Presse», il avait saisi par écrit, en 2013, le Premier ministre Abdoul Mbaye, lui suggérant, compte tenu des nombreuses charges qui pèsent de nos jours sur les entreprises de presse, de revaloriser cette aide, en la faisant passer de 700 millions à 1 milliard de nos francs.
L’INFLUENCE de l’alcool et de la drogue dans la récurrence des accidents de la circulation était aussi dans la ligne de mire de l’inlassable député. Il lui tenait à cœur que l’Etat fasse cerner les véritables causes de ces accidents tragiques, qui endeuillent régulièrement de nombreuses familles, et que l’on attribue tantôt à la vétusté du matériel roulant, tantôt à la défaillance humaine, dans le milieu du transport en commun interurbain.
UNE AUTRE légitime revendication, portée volontiers par Iba Der Thiam, et pour l’aboutissement de laquelle, en ces temps de crise surtout, des milliers de «goorgoorlus» ne béniront jamais assez «leur» député du peuple, reste évidemment la réduction du coût loyer. Le député Thiam avait réussi à obtenir la mise en place d’une commission ad hoc, incluant de dynamiques parlementaires comme Me El Hadji Diouf.
CELUI QUE LA PRESSE affuble alternativement des surnoms de «Député du Peuple» ou de «Recordman des Questions Orales», dû se résoudre, face à la nonchalance du gouvernement quant à la prise charge de la problématique du coût du loyer, à interpeller directement le président Macky Sall pour que son gouvernement vienne devant les députés éclairer la lanterne des populations sur ses réelles intentions. Dans la mesure surtout où un travail colossale avait déjà été abattu par la Commission d’enquête parlementaire, proposée à cet effet par le député Iba Der Thiam, et instituée par la résolution n°2/2008. La mise en œuvre de cet excellent rapport, comprenant 34 propositions, qui tiennent compte des intérêts aussi bien des bailleurs immobiliers que des locataires et de l’Administration était sensée, à terme, favoriser une baisse d’environ 25% sur le loyer, dans les capitales régionales et départementales.
DANS CETTE LANCÉE, le «Député du Peuple», jaloux de la souveraineté de son pays, n’aura pas manqué d’inviter le chef de l’État, dans le cadre du contrôle régalien de l’action de l’Exécutif dévolu à l’Assemblée nationale, «à mettre à la disposition des représentants du peuple le contenu des nouveaux accords de défense», signés par le président Sall avec les présidents français Sarkozy et Hollande, afin que la Représentation parlementaire puisse être édifiée sur «les avantages et changements pouvant en découler pour notre pays. Relativement à sa sécurité, à son Armée, à son leadership dans la sous-région, et à la consolidation de son indépendance».
ILS SONT certainement légion dans l’opinion à ignorer que Iba Der Thiam a été la première personnalité sénégalaise à avoir été proposée par l’ex-président Wade, appuyé en cela par son ministre d’Etat et homme de confiance d’alors, Idrissa Seck, au poste du CRAES (Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales), alors en chantier. Comme ils ont été par la suite nombreux, nos compatriotes (et j’en fus), à en vouloir terriblement au professeur Iba Der Thiam d’avoir décliné cette offre, préférant, disait-il «continuer à servir ses mandants à l’Assemblée nationale». Ce qui devait baliser la voie à l’ancien maire de Rufisque, Maître Mbaye Jacques Diop, qui fut porté, par décret, à la tête de cette prestigieuse institution le 09 août 2004.
UN SECOND «renoncement» de Iba Der Thiam n’aura aussi pas surpris outre-mesure le président Wade qui, quelques années plus tard, en juin 2007, avait vu, ébahi, son «ami et confident» décliner un poste de ministre d’Etat qu’il lui proposait. Iba Der Thiam préféra, là aussi, rester à la Place Soweto, dont la précédente législature aura notée que sur les 139 questions orales posées par les parlementaires, les 135 portaient la signature du député Iba Der Thiam.
NOUS AVONS TOUJOURS été admiratif du combat politique et parlementaire que menait, avec constance et abnégation, ce professeur d’université et parlementaire émérite, que fut Iba Der Thiam. Pour avoir eu l’opportunité d’exercer, sous sa houlette, huit (8) ans durant, la délicate charge de porte-parole de la mouvance présidentielle, la CAP 21, une alliance de 62 formations politiques s’assignant pour mission de défendre le bilan du président Abdoulaye Wade et de rendre visibles ses réalisations, je dois à la vérité de dire que Iba Der Thiam nous aura généreusement inculqué de hautes notions d’éthique politique et de précieuses valeurs de Solidarité et de Partage avec les couches défavorisées.
DANS LA DROITE-LIGNE de son compagnonnage politique avec le défunt fondateur de JAMRA, Abdou Latif Guèye, avec qui la Cdp-Garab-gi était en alliance électorale lors du premier tour de la présidentielle de l’an 2000, ceux qui assurent présentement la pérennisation de l’œuvre de Abdou Latif, auront su, grâce à Dieu, maintenir ces excellents rapports, en continuant volontiers de tirer profit de la générosité intellectuelle du professeur Iba Der Thiam, dont l’immense Savoir Encyclopédique continue de fasciner de larges franges d’intellectuels, d’universitaires et de chercheurs au-delà même de nos frontières !
SOUVENT VICTIME de son honnêteté intellectuelle, que n’aura-t-il pas essuyé comme critiques, comme ce fut le cas, de la part de certains de ses collègues députés, au retour d’une mission d’observation des élections en Guinée-Bissau. Iba Der Thiam fut, en effet, le seul député, sur la demi-douzaine de parlementaires mandatés à cet effet par l’Assemblée nationale, à restituer le reliquat de ses frais de mission, au motif que les observateurs sénégalais avaient eu l’heur d’avoir terminée plus tôt que prévu leur mission d’observation.
DES REMONTRANCES de même nature fusérent lorsque le député Iba Der Thiam s’était rendu compte que le questeur de l’Assemblée nationale (Abdoulaye Diack) lui faisait virer dans son compte bancaire une «augmentation» de salaire que le «Député du Peuple» estimait indue. Les députés s’étaient auto-octroyés cette rallonge salariale en catimini, en violation des procédures ad-hoc régissant les appointements des députés. À la surprise générale, Iba Der retourna au questeur le montant cumulé de ces virements, en lui remettant personnellement un chèque 09 millions de fcfa. Non sans lui enjoindre, par écrit, de «ne plus lui virer cet argent, tant que l’Assemblée nationale n’aura pas légalement légiféré sur le sujet», afin que ce «sursalaire», ainsi régularisé, soit attribué aux députés en toute transparence.
SENTINELLE VIGILANTE de la sauvegarde des bonnes mœurs et de la protection des enfants mineurs, dans une missive adressée au CNRA, en mars 2011, le député Iba Der Thiam interpelle la présidente de cet organe de régulation de l’audiovisuel, Nancy Ndiaye Ngom, en ces termes : «Le docteur Serigne Mor Mbaye, psychologue-clinicien, vient de faire dans le journal l’AS du vendredi 11mars 2011 une déclaration extrêmement grave dans laquelle, en expert maitrisant parfaitement les questions relevant de son domaine de compétence, il affirme que «l’émission Bébé Walf est à arrêter parce que c’est un espace de pédophilie». Ce qui provoqua des grincements de dents dans la direction de ce groupe de presse. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, le «Député du Peuple», prolongea son action de protection des mineurs, relativement aux dérives audiovisuelles, en proposant à l’Assemblée de légiférer pour qu’interdiction soit faite aux producteurs audiovisuels d’utiliser des enfants mineurs dans des productions où la violence où les obscénités sont avérées.
ÉMINENT PROFESSEUR d’université de renommée internationale, ancien ministre de l’Éducation nationale, plusieurs fois élu député, cet agrégé d’histoire, membre du Comité Scientifique de l’Unesco était, au moment où la Grande Faucheuse l’a arraché à notre affection, préoccupé par la finalisation d’un vaste chantier encyclopédique que lui avait confié le Président Macky Sall, portant ré-écriture de «L’Histoire Générale du Sénégal, des origines à nos jours».
À LA TÊTE d’une éminente équipe d’historiens, d’anthropologues, de sociologues, il aura eu le courage d’entreprendre la tâche herculéenne de restitution de notre patrimoine historique, longtemps usurpé et souvent dénaturé par les historiens coloniaux. À travers cette œuvre gigantesque de 25 volumes d’histoire, le professeur Iba Der Thiam, qui s’était attelé depuis 5 ans à cette tâche ardue avec une totale abnégation (il a renoncé à un salaire «substantiel» que voulait lui attribuer le chef de l’État), ambitionnait de nous conférer, à tous, le pouvoir de «ressusciter» nos héros et de mieux connaître les particularismes de toutes ces peuplades qui se sont succédées sur nos terroirs. Aussi, l’historien Iba Der Thiam se plaisait-il souvent à paraphraser le dynamique chroniqueur de la RFI, Alain Foca, dans son émission-culte «Archives d’Afrique» : «Nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, car un peuple sans histoire est un monde sans âme» !
COMPTANT boucler en décembre prochain cette œuvre inédite de restitution de notre véritable histoire, souvent édulcorée, le professeur Iba Der Thiam, en sa qualité de coordonnateur du Comité de rédaction de «l’Histoire Générale du Sénégal», me fit l’honneur, le 17 septembre 2019, de me mandater auprès du secrétaire particulier et cousin du Khalife général des Layénes, Serigne Moussa Guéye Laye, pour soumettre à l’appréciation de ce dernier des fac-similés de «l’Histoire Générale du Sénégal» (Tome III – Volume 1/A), portant précisément sur la séquence temporelle 1817 – 1914, consacrée à une tranche significative de la vie de Seydina Limoumou Laye, où elle est synthétisée de la 268 ème à la 275 ème page. Ce qui eut l’heur d’aplanir quelques quiproquos et de corriger quelques malencontreuses coquilles.
LE SÉNÉGAL se retrouve ainsi subitement orphelin de ce grand patriote, dont les milliers d’admirateurs sénégalais et africains seront sevrés de sa grande disponibilité intellectuelle et de son immense savoir.
QU’ALLAH couvre le Grand Patriote Iba Der Thiam de Son Manteau de Miséricorde. À la faveur de ce mois béni de «Mawlidu Naby», que Iba Der affectionnait tant, qu’Allah lui balise les chemins radieux de «Janatoul Firdaws».
(MMG JAMRA)