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IDRISSA DIALLO, MAIRE DE DALIFORT ET PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION NATIONALE DES FAMILLES DES VICTIMES DU JOOLA « On attend 2012 pour en finir avec Wade, et le traîner devant les tribunaux pour l’affaire du Joola »

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Si la mort limite la vie, l’œuvre humaine la perpétue, dit-on. Dix ans déjà que le bateau « le Joola » sombrait au large des côtes gambiennes, emportant avec lui près de 2000 victimes. Un drame sans précédent dans l’histoire du Sénégal. À quelques jours de la commémoration des huit ans de ce douloureux événement, la plaie ne s’est toujours pas refermée pour ceux qui l’ont vécu dans leur chair. Quand Idrissa Diallo, le maire de Dalifort, par ailleurs, président de l’association nationale des familles des victimes, revient sur ce drame, c’est à peine s’il parvient à retenir ses larmes. Seulement, il garde espoir. Espoir qu’en 2012, Wade sera battu et répondra devant les tribunaux.

L’AS : A la veille de la commémoration du naufrage du bateau « le Joola », le constat est qu’il n’y a pas d’engouement. Pourquoi ?

Il n’y a pas d’engouement chez l’opinion nationale et les populations qui ne sont pas directement concernées ; mais au niveau des familles des victimes, il y a l’engouement qu’il faut. C’est normal que 8 ans après, un naufrage de cette ampleur perde son intensité. Il faut de grands événements comme le dixième anniversaire qu’on est en train de préparer, pour faire revenir l’engouement. On n’a pas voulu que cela se passe comme ça. C’est un piège de l’Etat qui a manipulé l’opinion publique dans ce sens. Il a brandi des choses qui ne valaient rien comme les indemnités… Comme si le paiement de ces indemnités pouvait tout régler. L’Etat a voulu que cette affaire soit jetée aux oubliettes. Mais nous les principaux concernés, nous n’oublierons jamais.

Où en est-on avec les pupilles de la nation ?

Justement, c’est la grande farce de ce drame. C’est là que l’Etat a montré son mépris, sa méchanceté par rapport aux orphelins du Joola. Son projet de pupilles de la nation, non seulement n’a rien apporté aux enfants, mais leur a aussi arraché le peu qu’ils avaient. Certaines Ong comme la Croix Rouge Internationale avaient commencé à prendre en charge ces orphelins. Ces Ong ont tout de suite arrêté la prise en charge, dès que le Président a parlé de pupilles de la nation… Cela a mis ces enfants dans un état de dénuement total. C’est de la méchanceté ! Après avoir regardé mourir les parents sans lever le petit doigt, l’Etat a privé les orphelins de leur aide. C’est triste, mais c’est ce qui se passe…

Est-ce que vous avez parlé de cette situation aux Ong ?

On m’a demandé de le faire. On m’a dit que les donateurs ne savent pas que les enfants ne sont pas pris en charge. Mais partout où je fais des interviews, j’en parle. Je le fais depuis 8 ans. Cela n’a pas commencé avec les Ong. C’est quand les mères des enfants orphelins m’ont signalé que ceux qui les aidaient ont arrêté que j’ai, aidé en cela par les membres de l’association, eu à faire des démarches au niveau des écoles qui avaient accordé la gratuité à ces enfants. Mais depuis qu’on a commencé à parler de pupilles de la nation, les gens pensent qu’on se fait de l’argent sur le dos des orphelins, de l’argent destiné à la scolarité des orphelins… Ce n’est pas de l’incompétence, mais de la méchanceté. Le chef de l’Etat ne peut pas s’adresser à la nation en disant qu’il allait élever ces enfants au rang de pupilles de la nation et 8 ans après, toujours rien. On l’a vu ériger un monument à plus de 60 milliards, en un temps record. C’est parce que c’est cela qui l’intéresse. De la même façon qu’il a regardé mourir les parents, il veut regarder disparaître ces enfants, parce qu’il ne veut pas les avoir sur la conscience. Malheureusement pour lui, il ne peut pas les faire disparaître.

Pourtant, le Président avait donné des assurances…des promesses même ont été faites…

Oui, naturellement ! C’est après que j’ai compris que c’était une farce. Quand un chef d’Etat, de surcroît un homme âgé, devant un drame où plus de 2000 âmes ont péri… des compatriotes dont il devait assurer la sécurité…, fait ce genre d’engagement qui est du domaine du possible, je ne peux que le croire. En tant que citoyen normal, pas naïf, je crois aux dires de mon Président. J’y ai cru jusqu’au moment où il m’a montré le contraire. En tout cas, le Président doit se ressaisir. On attend 2012 pour en finir avec lui. Et après, le traîner devant les tribunaux pour l’affaire du Joola. Personnellement, mon souhait le plus cher, juste après Wade, c’est d’être un jour ministre de la Justice pour m’occuper de tous les dossiers que Wade a laissé en suspens.

Où en êtes-vous avec les promesses de Wade…

Les promesses, il y en avait plusieurs. Il y avait des promesses d’ordre politique, psychologique, pour calmer certaines franges de la population, comme les étudiants casamançais. Mais moi, la promesse qui m’intéresse est celle que le Président a faite dans son discours d’Octobre 2002, quelques jours après le drame. Il a dit que toute la lumière allait être faite. Et que les responsables, quel que soit leur rang social, seront sanctionnés. Il est regrettable de constater qu’au Sénégal, on n’a même pas ouvert d’instruction. Et c’est le procureur de la République qui dépend du gouvernement, donc du Président Wade, qui a classé ce dossier sans suite. C’est donc le Président qui a classé le dossier sans suite. La deuxième grande promesse concerne le renflouement du bateau le Joola. J’y tiens, j’y tiendrai jusqu’à la fin de mes jours. Car j’ai perdu 3 enfants, les seuls que j’avais à cette époque. Je n’ai retrouvé aucun corps. On a perdu plus de 2000 compatriotes et l’on n’a retrouvé que près de 580 corps. Donc, il en reste près de 1500. Pour les familles qui n’ont pas retrouvé les corps de leurs parents, le renflouement du bateau signifie beaucoup. C’est un lieu où on peut faire des prières et se recueillir. Wade refuse de faire sortir le bateau pour ne pas faire face à ses responsabilités. Il a peur de regarder la réalité en face et il fait du mal aux familles des victimes.

Qu’en est-il des indemnités ?

Sur ce plan, tous les dossiers ont été traités. À ma connaissance, il n’y a pas de dossier non traité. À ce niveau, il n’y a pas de problème puisqu’il s’agit de sous et que l’Etat pense que l’argent peut tout régler. Wade n’a tenu que 15 a 20% des promesses qu’il avait faites.

Comment comptez-vous commémorer cette journée ?

L’anniversaire sera un moment de recueillement très fort. 8 ans après, le sentiment que j’ai quand je me réveille, c’est qu’on se rapproche de plus en plus de nos parents décédés, du monde des morts. Cela va être un moment de vérité. En tant que croyant, j’y crois. On va aller voir en haut ce qu’on a fait pour nos morts et leurs familles. On a essayé de sensibiliser les familles pour qu’elles sachent qu’on va vers un dixième anniversaire. D’ailleurs, toutes les familles l’attendent. De même que l’Etat. Le huitième, c’est la sensibilisation ; le neuvième, la phase test et le dixième le break. La particularité du dixième anniversaire, c’est qu’il coïncide avec une année électorale, 2012. Mon souhait, en tant que membre des familles des victimes du Joola, est que Wade quitte le pouvoir en 2012. Qu’on rouvre le dossier du Joola au Sénégal, au plus tard le 26 Septembre 2012. C’est mon vœu le plus cher. Je sais qu’il faut des années pour que justice soit faite et c’est justement pourquoi on initie les orphelins pour qu’ils puissent continuer le combat.

On avait aussi évoqué la création d’un monument à la place du souvenir. Où en est-on avec ce projet ?

La place du souvenir, c’était encore une grossière agression de la part de l’Etat contre les familles des victimes. Tout le monde sait que pour cette place, le projet de décret, dans la justification, disait que pour ne pas oublier le naufrage du bateau le Joola, il fallait trouver une place de recueillement. On s’est rendu compte que le président de la République en a fait une place de fête, d’exhibition, de présentations de mode…. Nous avions rencontré en son temps Mame Birame Diouf qui était le ministre de la Culture. On lui avait fait part de notre inquiétude, de notre indignation. Que nous tenons à cette place. Que l’on nous réserve une place, parce qu’il y en a pour tout le monde. Au moins, qu’on puisse se remémorer un peu du Joola en faisant un monument, en parlant du bateau lui-même, des gens qui y sont restés, de prévention des risques… Il nous a alors fait savoir de façon très gentille, très diplomatique dans un premier temps, que l’Etat est en train de l’utiliser et qu’ils vont nous donner une autre place. Et que nous pouvions même chercher. Nous avions répondu que ce n’est pas à nous de chercher la place. À un certain moment, il m’a dit, il nous a dit : « on va faire des cinémas, des boîtes de nuit… ». Mais ça, nous n’en voulons pas. Ça ne rime pas avec l’esprit d’un mémorial. La vie et la mort étant intimement liées, il faudrait que ces activités de souvenance soient intimement liées. Pierre Goudiaby Atépa, alors conseiller du chef de l’Etat, nous a lui aussi reçu. On lui a parlé de ça encore. Jusqu’à présent, rien. Mais nous nous orientons vers l’achat d’un terrain. C’est un projet que nous avons lancé en tant que familles des victimes. Nous ne laisserons pas Wade faire ce qu’il veut dans cette histoire.

Pour nous familles des victimes, si on veut attendre l’Etat pour qu’il nous donne un terrain, on ne l’aura pas. Qu’on fasse une fondation, un prêt…il y a des bonnes volontés au Sénégal qui sont prêtes à donner leur patrimoine pour que l’on en fasse un musée. Que les gens s’investissent…Nous, les victimes, nous allons acheter un terrain, même si cela prendra du temps, pour faire un musée.

Madou MBODJ et Mariama Dianké DIEDHIOU

lasquotidien.info

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