Entre Imam Massamba Diop et le Rds crée par son ami feu Latif Guèye, c’est bien fini. Le nouveau patron du mouvement Suxali Askan Wi explique son divorce d’avec le Rds par une divergence de vue avec le secrétaire général Mame Matar Guèye. Mais, la vérité est que Imam Massamba Diop affirme qu’il ne pouvait plus moralement continuer à soutenir et à défendre Me Wade qui érige un monument à coup de milliards pendant que les populations vivent dans l’eau.
Wal Fadjri : Vous venez de quitter le Rds, un parti dont vous étiez jusque-là le secrétaire général adjoint. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de votre départ ?
Imam Massamba DIOP : Depuis l’annonce de ma démission, beaucoup de vos confrères ne cessent de m’appeler pour connaître les véritables raisons de ma démission du Rds. Je voudrais d’emblée rappeler que le Rds est un parti qui a été mis sur pied par Abdou Latif Guèye qui fut le secrétaire général et j’en étais le secrétaire général adjoint. Etant membres de la Cap 21, nous avons eu à cheminer avec les autres partis de la mouvance présidentielle jusqu’au moment où on ne se sentait plus à l’aise au sein de ce parti qui, à mon avis, ne disait plus les choses telles qu’elles devaient être dites. Nous n’avons aucun problème avec le secrétaire général actuel (Mame Mactar Guèye, Ndlr) qui est un frère, mais ce sont les visions qui diffèrent. Il voit les choses comme il le veut, et nous les voyons autrement. Donc on ne pouvait plus continuer à cheminer ensemble. Alors nous avons préféré quitter le parti et créer le mouvement Suxali Askan wi (Msa) pour être beaucoup plus crédibles et mieux nous exprimer sur les préoccupations des Sénégalais.
Wal Fadjri : Vous parlez de divergences de vue avec le secrétaire général du Rds, pouvez-vous être plus explicite ?
Imam Massamba DIOP : A ce niveau, je vais juste vous citer le cas du monument de la Renaissance africaine. Vous connaissez certainement sa position sur la question, mais moi, je ne pouvais pas soutenir la construction de ce monument, au moment où les habitants de la banlieue sont toujours dans les eaux. Ces populations survivent au quotidien. Comment alors accepter qu’au même moment, on nous propose de défendre l’érection d’un monument qui a coûté des milliards ? Je ne peux pas défendre cela. Il y a combien de Sénégalais qui ont aujourd’hui des difficultés pour se faire soigner ? Voilà, entre autres, les raisons qui nous ont poussé à quitter correctement le parti non sans avoir discuté au préalable avec Mame Matar Guèye, le secrétaire général pour le mettre à l’aise. Nous lui avons quand même fait comprendre que, désormais, nous serons des adversaires politiques mais jamais des ennemis.
Wal Fadjri : Au-delà des divergences de vue avec votre ex-secrétaire général, n’aviez-vous pas d’autres raisons qui vous ont poussé à la sortie ? Puisque, selon lui, vous n’étiez plus à l’aise avec Me Wade.
Imam Massamba DIOP : C’est la vérité. Je n’étais plus à l’aise avec Me Wade. Je ne pouvais plus continuer à le soutenir et à le défendre. Il n’y avait plus d’autres alternatives que de quitter le Rds. Si je me sentais toujours à l’aise derrière Wade, j’allais rester au Rds. Abdoulaye Wade est un homme politique, nous le sommes. Il a sa vision, nous avons la nôtre qui ne cadre pas avec la sienne.
Wal Fadjri : Pourtant vous avez soutenu Me Wade pendant dix ans. Pourquoi avoir attendu tout ce temps pour rompre avec lui au motif d’une divergence de vue ?
Imam Massamba DIOP : Nous faisons effectivement partie de ceux qui ont porté Wade à la magistrature suprême et nous avons bataillé ferme pour en arriver là. Seulement, nous avons constaté qu’il y a beaucoup de failles aujourd’hui dans la gestion des ressources de notre pays.
Wal Fadjri : Pourquoi avoir attendu le jour où le parti devait investir Me Wade à la présidentielle de 2012 pour claquer la porte du Rds ?
Imam Massamba DIOP : C’est parce que nous pensions que nous ne pouvions pas investir Me Wade. Nous avions fait ce que nous avions à faire pour Wade. Ainsi, nous considérons que Wade a fait son temps, il a eu à réussir beaucoup de choses, il faut quand même l’avouer, mais il reste beaucoup de choses à faire. Alors, quand nous avons discuté, mes amis et moi, nous avons estimé que nous ne pouvions pas assister à la rentrée politique du Rds. Rentrée politique à l’issue de laquelle ce parti allait investir Me Wade comme son candidat à la présidentielle de 2012.
Wal Fadjri : Mais pourquoi n’avez-vous pas choisi d’intégrer un parti politique de l’opposition au lieu de créer un mouvement qui risque d’allonger la liste de ce qu’on peut appeler les regroupements anti-Wade ?
Imam Massamba DIOP : Attention ! Rien que le nom de notre parti en dit long sur notre ambition. Suxali askan wi (Venir au secours des populations, Ndlr), c’est très fort. C’est un mouvement qui va extirper le Sénégal du gouffre profond dans lequel il se trouve. Il y a des mouvements avec lesquels nous discuterons et nous verrons ce que nous pourrons concrètement faire ensemble. Nous sommes en démocratie et celle-ci étant l’école de tout le monde, l’écrasante majorité s’est exprimée en faveur de la création d’un mouvement au lieu d’intégrer un parti politique. Ce mouvement est né, il est installé sur toute l’étendue du territoire national et même au-delà de nos frontières. Ses différentes sections vont un jour converger toutes vers Dakar pour la tenue d’un Conseil national qui décidera de la suite à donner au mouvement Suxali Askan Wi.
Le Msa est composé d’hommes et de femmes sérieux, d’intellectuels, des cadres de très haut niveaux. Un jour viendra, les Sénégalais seront agréablement surpris de voir certains hommes et femmes qui n’ont jamais fait de la politique, s’afficher autour de ma modeste personne pour faire triompher ce mouvement.
Wal Fadjri : Peut-on s’attendre à ce que le Mouvement Suxali Askan Wi intègre la coalition Bennoo Siggil Senegaal ?
Imam Massamba DIOP : Présentement nous ne sommes ni du camp de Bennoo ni de celui de la mouvance présidentielle. Nous sommes un mouvement qui va tirer la sonnette d’alarme pour attirer l’attention des autorités sur la gestion des deniers publics. Je dois dire que nous avons reçu des coups de fil émanant de certains responsables de Bennoo et d’ailleurs. Mais pour le moment nous restons un mouvement, nous attendons la décision du Conseil national et après nous verrons ce qui va se passer.
Wal Fadjri : Donc, il n’est pas exclu que le mouvement Suxali Askan Wi se mue en parti politique ?
Imam Massamba DIOP : Tout peut bien arriver. On ne sait jamais. Mais c’est le Conseil national qui déterminera la suite à donner à ce mouvement.
Wal Fadjri : Etes-vous candidat pour la présidentielle de 2012 ?
Imam Massamba DIOP : (Rires). Seul Dieu sait. Mais je dois vous dire que c’est le Conseil national qui décidera de tout cela.
‘J’ai été contacté pour occuper des responsabilités dans ce pays. Mais j’ai toujours décliné l’offre. C’était du vivant de Latif Guèye. Et ce que je dis là, les membres du bureau politique du Rds le savent. Je n’ai jamais rien demandé, je n’ai jamais rien voulu au sein du gouvernement.’
Wal Fadjri : En tant qu’Imam, quelle appréciation faite-vous du rôle confié à Serigne Abdoul Aziz Sy Junior pour la facilitation du dialogue politique ? En plus clair, êtes-vous convaincu qu’il s’agit de l’homme qu’il faut ?
Imam Massamba DIOP : Absolument. Je connais bien cet homme qui est un guide et un ami pour nous. Serigne Abdoul Aziz Sy Junior a prouvé à la face du monde ce dont il est capable. Donc, nous nous félicitions du choix porté sur sa personne comme facilitateur du dialogue politique. J’avoue qu’il bénéficie d’un préjugé favorable auprès des Sénégalais, il est bien écouté. Et nous ne regretterons pas son choix. C’est un homme de bien, épris de paix et de justice. C’est pourquoi j’estime que c’est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut.
Wal Fadjri : Vous étiez dans la mouvance présidentielle et certains de vos anciens camarades soutenaient la suppression du second tour, comme le font, du reste, des membres de l’opposition. Soutenez-vous toujours cette position ?
Imam Massamba DIOP : Le second tout est un acquis démocratique au Sénégal. Même les pays voisins qui n’ont pas le second tour sont en train de se battre pour l’instituer chez eux. Donc un acquis démocratique, il faut le pérenniser, le fortifier, mais on n’a pas le droit de revenir en arrière. Nous sommes pour le maintien du second tour à l’élection présidentielle et je crois que tous les Sénégalais épris de paix et de justice sont contre la suppression du second tour.
Wal Fadjri : Vous avez fait dix ans de compagnonnage avec Wade au sein de la Cap 21. Etiez-vous vraiment à l’aise dans ce grand mouvement de soutien ?
Imam Massamba DIOP : On avait un plénipotentiaire dans la Cap 21 en la personne de notre secrétaire général Mactar Guèye. J’étais plutôt préoccupé par l’organisation islamique Jamra. Vous m’avez entendu peut-être sur toutes les questions touchant la religion parce que je m’étais un peu retiré de la politique. Au fait, je voyais venir un peu notre divorce d’avec ces gens-là parce que je n’étais pas très d’accord avec ce qui se faisait au Sénégal. J’avoue que si j’étais en phase avec la Cap 21, je serais resté avec eux. Mais, nous avons constaté beaucoup de failles. Cependant, je leur souhaite bon vent et peut-être qu’un jour nous nous retrouverons. Seul Dieu sait.
Wal Fadjri : Votre démission du Rds, ce parti crée par Latif Guèye, ne peut-il pas avoir des incidences sur votre poste de président exécutif de l’Ong Jamra ?
Imam Massamba DIOP : Pas du tout. Cela n’a rien à voir. Il y a l’organisation islamique Jamra que je préside, il y a Rds. L’Ong étant apolitique, ma démission du parti ne saurait avoir aucune incidence. On peut avoir des points de vue divergents au plan politique, mais nous restons toujours des frères, des amis. Ce qui nous intéresse, c’est l’intérêt supérieur de la Nation.
Je fais partie de ceux qui ont envoyé beaucoup de militants assister à la rentrée politique de Mactar Guèye… Comme je l’ai dit, il restera un frère. Nous ne sommes plus ensemble parce que nous avons des divergences de vue.
Wal Fadjri : Après le décès de Latif, Mactar Guèye a été propulsé à un poste de président de conseil d’administration N’avez-vous pas quitté le Rds parce que vous êtes frustré de n’avoir pas bénéficié des prébendes distribuées par le pouvoir ?
Imam Massamba DIOP : Allez demander à Mactar. Il vous dira que plus de deux fois, j’ai été contacté pour occuper des responsabilités dans ce pays. Mais j’ai toujours décliné l’offre. C’était du vivant de Latif Guèye. Et ce que je dis là, les membres du bureau politique du Rds le savent. Je n’ai jamais rien demandé, je n’ai jamais rien voulu au sein du gouvernement. Je travaille, je suis dans mon coin. Ce qui m’intéresse, encore une fois, c’est l’intérêt supérieur de la nation, mais pas mes intérêts personnels.
Wal Fadjri : D’où vous vient votre titre d’Imam ?
Imam Massamba DIOP : (Rires). C’est parce que je suis effectivement un imam et je prêche tous les vendredis. Je suis Imam d’une grande mosquée depuis 1992. Le samedi, je dispense des cours de karaté parce que je suis ceinture noire deuxième Dan. Et le lundi, je suis à mon bureau parce que je suis professeur de mathématiques. Je suis un imam du 21e siècle, comme le disait souvent mon ami Latif. Les gens qui ne comprennent pas souvent l’islam, ont parfois peur. L’islam, c’est la solidarité, la convivialité, l’entraide, la souplesse, le respect de soi, la tolérance surtout.
Wal Fadjri : Mais on ne vous a pas beaucoup entendu quand certains imams protestaient contre la Senelec ou le monument de la Renaissance africaine.
Imam Massamba DIOP : Si ! J’ai fait une sortie sur les ondes d’une radio. J’ai donné le point de vue du collectif des associations islamiques qui s’est réuni au siège sis à la mosquée inachevée à Dakar. A cette occasion, j’avais dit que le monument de la renaissance était une œuvre satanique, interdite par Allah et qu’on ne devrait pas l’ériger au Sénégal.
Wal Fadjri : Ne craignez-vous pas que votre démission du Rds vous éloigne de la famille biologique de Latif Guèye ?
Imam Massamba DIOP : Pas du tout. Latif a une famille biologique et une famille politique. J’appartenais à la famille politique de Latif, mais il fut un frère avec qui nous avons partagé beaucoup de choses. Ses frères, ses sœurs, même ses épouses resteront toujours mes plus proches collaborateurs. Jamais, je ne les quitterai.