Le Sénégal vit tous les jours les preuves concrètes de son immobilisme, voire de sa régression et on continue encore à se voiler la face. En 2006 la question de l’émigration clandestine de nos concitoyens vers l’Europe a fait l’objet d’un tintamarre orchestré par les hommes politiques et les politiciens encagoulés de la société civile. Au lieu de méditer sérieusement sur la question on en avait juste fait un problème politicien conjoncturel. Les grands mages de la société civile avaient imprudemment accusé le régime d’alors d’être entièrement responsable de ce phénomène. Aujourd’hui le même phénomène se poursuit et atteint des proportions jamais égalées et nos fameux mages de la démocratie de façade sont aphones. Où sont les Penda Mbow, Jacques H. SY, Alioune Tine, etc. Où sont tous ceux qui avaient exploité les malheurs de centaines de sénégalais à des fins purement politiques. Ce texte qui suit leur servira de rappel.
L’immigration clandestine : du mirage à la servitude volontaire.
L’Afrique est décidément le pays où la culture du désespoir a fini de ronger les ressorts de la persévérance, de l’effort constant à maintenir la foi en soi-même et la recherche du profit à long terme. On a tellement ancré et entretenu dans nos consciences l’illusion dangereuse que la dignité réside dans la possession immédiate des biens matériels que nous sommes tout de suite plongés dans un océan de désespoir dès que ceux-ci nous font défaut. La conjoncture économique de notre Continent est, certes, très difficile à vivre, mais est-ce une raison suffisante de nous dérober pour aller aliéner notre jeunesse et nos forces utiles à l’Occident ? Les hommes politiques, il est vrai, sont parfois blâmables dans leurs choix politiques et économiques, mais est-ce une raison d’abdiquer et de se résigner à l’immigration clandestine avec tout ce qu’elle comporte d’avilissant ? L’immigration est d’une manière générale étroitement liée à la nature humaine, mais cela justifie-t-il l’aventure à tout prix ? Le pessimisme qui a envahi l’âme de la jeunesse africaine est-il entièrement justifié ou est-il le fruit d’une représentation idéologique entretenue à dessein pour casser le socle psychologique sur lequel doit se fonder toute bataille durable et viable pour le développement de soi et de sa collectivité ?
Quitter les siens, s’embarquer témérairement dans ces sortes de « cercueils » flottants pour des destinations hasardeuses, braver la faim et la soif, affronter la baisse brutale des températures- de tels risques ne peuvent pas être encourus par un être raisonnable qui a encore une petite dose d’espoir, une issue prometteuse chez lui. Le mal et le désarroi sont donc intensément vécus par la jeunesse qui semble évoluer dans une atmosphère où tous les repères sont déboulonnés. C’est comme si l’histoire était en train de se répéter : jadis l’insouciance, la cupidité et l’arnaque orchestrée par l’homme blanc avaient contraint nos ancêtres à troquer un homme contre de la pacotille. Aujourd’hui, le luxe, la pauvreté, l’absence de créativité de la jeunesse, les absurdités des politiques structurelles, sont en train de condamner une partie des forces vives de nos pays à s’exiler dans des horizons où elles ne trouveront ni respect, ni amour, ni aucun traitement humain. Quand j’imagine le tourbillon mental qui habite ces jeunes jetés en mer par des « passeurs » sans vertu ni vision, quand je me représente l’espoir fou qui anime ces centaines de jeunes qui s’embarquent frauduleusement dans ces navires du désespoir et du déshonneur, quand je pense à tous ces projets ou rêves de vie de luxe de ces jeunes déboussolés, quand j’imagine le rêve utopique de ces jeunes épouses et de ces braves mamans qui ont tout donné à la nation et à leurs enfants, quand je vois ces femmes délaissées dans la solitude et qui ne cessent de languir dans l’attente d’un retour de l’époux ou de l’enfant prodige, je suis profondément abasourdi et animé par un immense sentiment de révolte intérieure.
Cependant un effort de lucidité me conseille de ne pas aborder ce problème avec la passion et je me demande si ce désespoir est réellement fondé et s’il n’existe pas d’alternative à ce genre de résolution propre aux jeunes: « s’enrichir ou périr en s’y efforçant. » C’est évidemment prêcher dans le désert que de s’efforcer de faire accepter à un jeune aujourd’hui que l’argent ne fait pas le bonheur. Car la magie de l’électronique, l’envoûtement de la mécanique automobile, les reflets paradisiaques de l’architecture actuelle, les images angéliques que les téléfilms déversent quotidiennement dans l’esprit des africains, les plaisirs illusoires des cérémonies mondaines fastes, ont définitivement convaincu les jeunes et même les adultes que l’argent c’est non seulement le bonheur mais c’est aussi la dignité, l’honneur : c’est l’homme tout court. Ainsi la ruée vers les plantations espagnoles est enclenchée avec une vitesse et une intempérance absolument surprenantes. Parce qu’on est pressé de s’enrichir, on quitte ses terres arables, on vend le patrimoine familial, on s’extirpe de l’ambiance précieuse du « Senegalese way of life » pour aller tarir ses forces là-bas et contribuer ainsi à creuser le fossé entre les pays du nord et l’Afrique. Pourtant le vieux dicton qui dit « souffrons pour embellir l’avenir » devrait nous pousser à réfléchir davantage à trouver une alternative à ce drame individuel et collectif. L’avenir ne sera jamais radieux parce que des individualités ont réussi à s’expatrier et à revenir avec des villas de luxe et des véhicules luxurieux. Tant que le cadre macro-économique ne sera pas assaini et assis sur une base d’un développent global toutes les entreprises personnelles resteront éphémères voire chimériques. Ce n’est parce qu’on a réussi à s’en sortir que ses arrière-petit-fils auront une vie décente. Réfléchissons ! Méditons le projet de retour à l’agriculture initié par le Président Wade ! Ces pommes qu’on va récolter en Espagne ou ailleurs sont les fruits d’un dur labeur, d’une patience exemplaire, d’une confiance en soi-même et d’un culte de la rentabilité à long terme. Dans nos pays, c’est justement cela qui nous fait défaut : nous voulons réussir tout de suite et maintenant. Pourtant aller entretenir des plantations dans ces pays c’est contribuer directement à condamner nos pays dans la dépendance alimentaire ; aller vendre son expertise à des pays qui l’exploitent pour nous en revendre les résultats c’est empêcher nos pays de résorber le gap scientifique et technologique qui les sépare des pays du nord. En réalité cette course effrénée vers les pays du nord ne s’explique pas seulement par les difficultés économiques vécues par les jeunes, elle est d’abord psychologiquement et mentalement motivée. On a réussi à nous faire croire que notre situation économique est « incurable », qu’il ne servait à rien de prendre des risques et d’entreprendre chez soi ; on a tellement fait du problème de l’immigration une affaire de politique politicienne qu’on a brisé tous les élans patriotiques et tous les ressorts psychologiques qui pouvaient sauver nos pays du précipice. On entend même des politiciens qui caressent la ménopause politique imputer ce problème à un échec de la politique de jeunesse du régime de l’alternance. Au contraire, nous pensons qu’il est temps de réfléchir sur le type de reportage et de commentaire le plus souvent faits par des média occidentaux et dont l’impact psychologique chez les jeunes est insondable. Ce n’est par simple tendance totalitaire que les autorités chinoises contrôlent la nature et la qualité des images et des discours véhiculés par les média occidentaux. Il faut, nous semble-t-il, prémunir ses citoyens de l’envie systématique de ressembler à autrui, les protéger contre la tentation de copier tout dans la civilisation de l’autre car la souveraineté est un vain mot si psychologiquement on est incapable d’appréhender son identité propre ?
Il semble donc que, pour ancrer nos jeunes dans nos pays, il ne faille pas seulement réfléchir sur des solutions économiques, il faut également engager le combat sur les plans culturel et psychologique. Nous sommes des hommes et, en tant que tels, notre environnement culturel et notre univers intellectuel sont toujours déterminants dans la manière dont nous devons affronter les problèmes de notre existence. Il faut travailler, dans le contexte mondial actuel, à façonner un type d’homme nouveau, un citoyen psychologiquement et culturellement suffisamment armé pour procéder à la dichotomie entre le nécessaire et le superflu, entre l’illusion et la réalité et à bien comprendre le rapport entre le salut individuel et le salut collectif.
Pertinente article, qui est l’auteur?