La création d’un commandement militaire américain sur le sol d’Afrique était un projet essentiel de l’Administration Bush, mais les Africains n’en ont pas voulu. Mais au fond, ce qui a été rejeté, c’est une entreprise camouflée visant le contrôle des routes du pétrole et des minerais
La création d’un commandement militaire américain sur le sol d’Afrique était un projet essentiel de l’Administration Bush, mais les Africains n’en ont pas voulu. Mais au fond, ce qui a été rejeté, c’est une entreprise camouflée visant le contrôle des routes du pétrole et des minerais, un affrontement économique direct avec la Chine, et la transposition sur le continent d’une guerre contre le terrorisme devenue un véritable fonds de commerce par les temps qui courent. Et même sous Obama, ça continue en plus mesuré.
Par Momar DIENG
L’échec militaire majeur des Etats-Unis en Afrique dans la décennie courante a eu lieu le 1er janvier 2009. Ce jour là, le secrétaire à la Défense Robert Gates, l’Amiral Mike Mullen (chef d’Etat-major interarmes), Henrietta Fore (directrice internationale de l’Usaid et membre du très élitiste Institut Aspen) et le Général William Ward (patron du nouveau démembrement), célèbrent à Stuttgart le lancement du Commandement unifié des forces militaires américaines en Afrique appelé Africom. Stuttgart, siège de l’Eucom, le Commandement des forces militaires américaines stationnées en Europe, en Afrique et dans le pourtour de l’Atlantique ! Echec ? Oui, car c’est sur le sol africain que les Etats-Unis voulaient installer le bébé Africom. En réalité, presque tous les Etats sondés ou consultés ont refusé d’accueillir les Gi’s sur leur territoire, pour des principes liés à leur souveraineté et à leur sécurité. De l’Afrique du Sud au Nigeria, de l’Algérie au Maroc en passant par la Libye, l’Administration Bush a essuyé revers sur revers, obligée au passage de subir les critiques démocrates et même républicaines. C’est de guerre lasse que Stuttgart a été maintenue comme centre de commandement des armées Us engagées en Afrique. Le Général William Ward, l’Afro-américain le plus gradé aux Etats-Unis, vétéran de la guerre des Balkans, ci-devant chargé de coordonner la sécurité entre Israël et l’Autorité palestinienne, n’a pas eu «son» commandement sur la terre de ses ancêtres !
L’Afrique va donc continuer à dépendre des trois têtes de pont établies par les Etats-Unis à travers le monde : le Commandement central (Centcom) qui supervise 27 pays dont 7 africains, le Commandement du pacifique (Pacom) couvrant Madagascar et une partie de l’Est africain, et le Commandement européen (Eucom), le plus vaste, avec une couverture assurée à 91 Etats dont 42 d’Afrique.
En projetant de mettre en place une structure militaire opérationnelle spécifique à l’Afrique, les Etats-Unis, selon Robert Gates, entendent sortir d’un «dispositif désuet remontant à la Guerre froide», et qui ne semble plus adapté aux «exigences» d’une nouvelle configuration géopolitique mondiale marquée, selon les experts américains, par un terrorisme internationaliste présumé sans frontières. L’expression de ce besoin pressant de s’installer sur le continent dans la durée marque une reconnaissance de la «qualité» stratégique de premier plan dont l’Afrique peut se prévaloir en perspective d’une généralisation (en cours) de la «lutte planétaire contre le terrorisme», lancée depuis le 11 septembre 2001. Qu’il est loin le temps où l’ex-Président Georges W. Bush sifflotait fièrement que l’Afrique n’était «pas une priorité stratégique nationale» pour les Etats-Unis !
En février 2006, le plan américain pour l’Afrique prit forme. Africom, selon Bush, «(…) nous permettra d’intensifier nos efforts en vue d’apporter la paix et la sécurité aux peuples d’Afrique et de promouvoir nos objectifs communs en matière de développement, de santé, d’éducation, de démocratie et de croissance économique en Afrique».
GEOPOLITIQUE DU PETROLE ET DES MINERAIS
Pourquoi Africom en Afrique ? A la base, reconnaissent la plupart des experts, des raisons stratégiques et économiques. Sorti des laboratoires du think-tank israélo-américain dé-nommé Institute for Advanced Strategic and Political Studies (Iasps), Africom, que les géopolitologues assimilent à un «quadrillage de l’Afrique», apparaît comme le générique d’une prise de contrôle programmée du continent, de ses ressources naturelles et minières, de ses matières premières. Une entreprise impossible sans la maîtrise des grands axes maritimes et routiers. Sur ce terrain, les adversaires désignés des Etats-Unis sont l’Europe, mais surtout la Chine dont l’activisme commandité par des impératifs de développement cruciaux inquiète fortement. Son agenda de pénétration patiente et profonde du continent commence à porter ses fruits. L’empire chinois commerce aujourd’hui avec les mastodontes que sont Soudan, Algérie, Afrique du Sud, Nigeria, Angola, mais aussi avec Zimbabwe, Mali, Sénégal…
L’Afrique détient aujourd’hui environ ou plus de 10% des réserves mondiales de pétrole, estimation qui ne prend cependant pas totalement en compte les plus récentes découvertes off-shore en Guinée Equatoriale, au Tchad, en Angola, au Soudan, dans les deux Congo, au Cameroun, au Nigeria, à Sao-Tomé-et-Principe, en Mauritanie, etc. Les données quantitatives, même sous-évaluées, placent le continent (tous pays confondus) au quatrième rang des producteurs mondiaux d’or noir derrière le Moyen-Orient très loin devant, l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada) et une partie de l’espace ex-soviétique (Russie, Kazakhstan, notamment), et au deuxième rang pour ce qui est du rapport qualité entre les réserves et la production annuelle1. Si l’Afrique fournit aux Etats-Unis 15% de leurs besoins en hydrocarbures (dont le gaz), le National intelligence policy (Nip) indique dans ses études prospectives que cette dépendance atteindrait environ 25% à l’horizon 2020 dont une bonne part proviendrait du Golfe de Guinée (Gabon, Quinée Equatoriale…). Elément significatif : cette partie du continent a été élevée au rang de «zone d’intérêt vital» par et pour les Etats-Unis depuis le début des années 2000. La création d’une petite base militaire Us à Sao-Tomé-Et-Principe annoncée en 2003 par le Président Bush en personne vise ainsi à «sécuriser» l’accès et l’exploitation des hydrocarbures de la région, selon une note du Centre d’études et de recherche de l’enseignement militaire supérieur (Cerems)2.
GI’S EN «TERRITOIRE» FRANCAIS
Mais l’Amérique est également présente dans la Corne de l’Afrique où elle a fait un retour incontestable après avoir été contrainte d’en partir par les ex-régimes prosoviétiques d’Ethiopie et de Somalie, notamment. C’est après les attaques meurtrières et spectaculaires contre ses ambassades de Nairobi et Dar Es Salam en août 1998 et, surtout, au lendemain des attentats du 11 septembre que l’Administration Bush a estimé urgent de reprendre pied dans cette région stratégique à mi-chemin entre l’Afrique et l’Arabie. C’est ainsi que Djibouti, qui abrite la plus grande base militaire française dans le monde, trait d’union maritime entre la Mer Rouge et le Golfe d’Aden, est devenue concomitamment un vrai pied-à-terre américain avec la création, en octobre 2002, du Combined Joint Task Force Horn of Africa (Force conjointe pour la Corne de l’Afrique), une structure de lutte contre le «terrorisme djihadiste». L’ancien territoire français des Afars et des Issas est aujourd’hui un instrument de sécurité préventive au service des régimes proaméricains désormais établis en Ethiopie et en Erythrée.
Outre l’utilisation possible des 1 200 km de côtes érythréennes sur la Mer Rouge et de l’île stratégique yéménite de Socotra, les Etats-Unis ont également négocié et obtenu que soient mis à leur disposition le port d’Assab, le port et l’aéroport neuf de Massawa, ainsi qu’un «droit illimité» sur l’espace aérien érythréen3. Cet investissement sans précédent de l’Oncle Sam dans une région déstabilisée par les guerres et les désordres ethnico-politiques s’accompagne d’une politique de neutralisation des groupes dits terroristes comme les «Chababs» et les «Tribunaux Islamiques» en Somalie où l’Armée éthiopienne assure la sous-traitance répressive derrière l’intendance américaine, mais également de la pacification des rapports exécrables qu’entretiennent Addis-Abeba et Asmara, les deux alliés de Washington engagés dans un éternel conflit de territoires.
De toute évidence donc, les Etats-Unis semblent avoir élu domicile dans cette zone stratégique pour une durée indéterminée, sauf en cas de coup dur. Et pour cause, leurs services de renseignements sont convaincus que les «barbus» somaliens sont une excroissance d’Al Qaeda. Donald Rumsfeld, l’ex Secrétaire à la Défense en visite dans la région, avait, dès décembre 2003, donné le ton de ce que serait la présence américaine. «Nous devons être là où l’action est (…) Il n’y a aucun doute que c’est une région où il y a de l’action. Il y a des terroristes par exemple juste de l’autre côté, au Yémen, et dans le sud de l’Arabie saoudite. Il y a des problèmes sérieux, (mais) c’est un bon endroit pour avoir un point de vue (sur toute la région) au cours des prochaines années.»4. Barricadés au camp Lemonnier de Djibouti, dont la location à l’année coûte environ 20 milliards de francs Cfa aux contribuables américains, les Gi’s espèrent ne pas faire les frais d’un autre carnage comme celui de Mogadiscio en 1992 sous l’ère Clinton…
Face au Golfe arabo-persique, les Américains assurent directement «le contrôle stratégique de la route maritime qu’emprunte un quart de la production pétrolière mondiale». Ce qui leur permet de dominer «l’extrémité orientale de la vaste bande pétrolière traversant l’Afrique considérée désormais comme vitale pour leurs intérêts stratégiques, une bande allant de l’oléoduc Higleg-Port Soudan (1 600 km) dans le sud-est à l’oléoduc Tchad-Cameroun (100 km) et au Golfe de Guinée dans l’ouest». Dans cette continuité pour la maîtrise des circuits de l’or noir, les Etats-Unis disposent en outre d’un poste d’opération en Ouganda d’où ils ont «la possibilité de contrôler le Sud-Soudan où se trouve le gros des réserves soudanaises de brut»5.
LE SAHEL, ZONE GRISE
Le quadrillage «en douceur» du continent africain6 trouve une réalité jusqu’au Maghreb. Si l’Algérie a refusé d’abriter le siège du Commandement d’Africom, elle a néanmoins initié une intense coopération militaire avec les Etats-Unis. Il s’agit d’une lutte commune contre les militants de l’ex-Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc), dont les «résidus criminels» seraient allés gonfler la nouvelle «peste» dans la région : Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi). Selon diverses sources militaires, la coopération des deux pays s’est traduite par la mise sur pied d’un centre de renseignement commun dénommé Alliance Base, un accord de formation d’unités d’élite de l’Armée populaire de libération (Apl), la présence discontinue de troupes Us dans le sud algérien, vers l’oasis d’Iherir, à environ 220 km de la frontière libyenne. L’existence de cette base militaire n’a cependant jamais été reconnue officiellement par Alger…
Même si les rapports avec l’Algérie semblent au beau fixe – surtout après la visite en janvier à Alger du Major-général Ronald Ladnier, commandant des forces aériennes américaines en Afrique -c’est au Maroc, «pays africain le plus crédible» selon une note passée du Congrès américain, que les stratèges Us espéraient implanter le commandement africain. Le Royaume chérifien, qui dispose de solides infrastructures- contrairement au Liberia éconduit par Washington – est un allié traditionnel bien en cours à Washington. Les Américains avaient jeté leur dévolu sur la localité méridionale de Tan Tan, à l’extrême limite du Sahara occidental. En vain ! Un lieu d’autant bien choisi qu’il aurait donné un prolongement cohérent à la présence militaire américaine grâce à la base aérienne de Ben Jarir, non loin de Marrakech, et facilité la surveillance de la zone sahélo-saharienne.
A cet effet, le Pan Sahel trouve toute sa pertinence aux yeux des décideurs américains. En convaincant la Mauritanie, le Tchad, le Niger, la Mauritanie et même l’Algérie, à s’associer dès 2004 à ce programme de coopération militaire pour endiguer le terrorisme à leurs frontières, les Etats-Unis ont créé dans le Sahel, décrété zone tampon entre l’Afrique subsaharienne et le Maghreb, un véritable partenariat de guerre qu’ils ont eux-mêmes financé.
POLITIQUE EQUITABLE
La vulnérabilité de l’espace sahélien est à l’ordre du jour : annulation surprise du rallye Le Dakar après l’assassinat de quatre touristes français en territoire mauritanien, crash d’un avion Boeing «affrété» par des narcotrafiquants ayant pris le soin de brûler leur marchandise le 5 novembre dernier ; rapt de plusieurs otages européens non encore libérés ; enlèvement le 26 novembre à Ménaka (Mali) d’un hôtelier français, Pierre Camatte, devenu objet de marchandages officieux entre Bamako, des intermédiaires non identifiés, Paris et des coureurs de rançons ; permanence des revendications touarègues contre le Mali et le Niger, le tout dans un no man’s land qui paraît sans limites… Les Américains détestent les zones grises !
Cependant, relève-t-on dans un rapport de l’International crisis group (Icg), il est indispensable, sous peine d’échec, que «l’implication occidentale dans cette région (soit faite plus judicieusement qu’il ne l’a été) jusqu’à présent», car la région n’est pas encore un «foyer d’activistes terroristes»7. Pour l’Icg, les Etats-Unis doivent plutôt promouvoir une «politique équitable» entre plans militaires et programmes civils, en aidant les Etats concernés à recouvrer la totalité de leurs territoires.